On s’est demandé si  l’arrêt du 4 novembre 2010 n’avait pas remisé aux oubliettes l’acceptation des risques dans les contentieux en responsabilité. C’est aller un peu vite en besogne !  S’il est exact que cette décision a mis fin au refoulement de l’article 1384 alinéa 1 dans les litiges impliquant l’utilisation d’un matériel sportif et facilité la réparation des dommages, il ne faut pas en exagérer la portée. L’acceptation des risques a toujours sa place dans les violences entre joueurs comme l’attestent les arrêts des cours d’appel de Paris, Nancy et Toulouse qui rappellent à juste titre qu’il n’y a pas de responsabilité de l’auteur du coup et de son club s’il n’est pas établi qu’il a commis une faute caractérisée. 

1-Alors que l’arrêt du 4 novembre 2010[1]  a ouvert la voie à une nouvelle avancée de la responsabilité de plein droit, voici que réapparait la faute à l’occasion d’accidents survenus lors de matchs de football.

2-Dans la première espèce où la victime se plaignait d’un coup de pied retourné  (CA Nancy, 22 avril 2014) et dans la seconde (CA Paris, 31 mars 2014) où il était question d’un tacle litigieux, les demandeurs n’ont pas réussi à établir que le coup incriminé avait atteint le seuil de la faute qualifiée. Ils ont également actionné le club de l’auteur du geste incriminé comme c’est devenu l’habitude depuis que la Cour de cassation a admis que les groupements sportifs répondent des dommages causés par leurs membres. Mais leur demande n’a pas pu aboutir dès lors que la responsabilité des groupements dépend de la preuve d’une faute caractérisée de leur membre qui n’était pas établie en l’espèce.

3-Dans la troisième espèce (CA Toulouse 27 mai 2014) un joueur blessé à l’œil par un tir au but avait actionné l’assureur en responsabilité de l’auteur du coup à la fois sur le terrain de la responsabilité du fait personnel et sur celui de la responsabilité du fait des choses. Peine perdue ! La encore, les juges ont estimé que les conditions de la mise en jeu de la responsabilité du joueur incriminé n’étaient pas réunies ni sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil en l’absence de faute caractérisée de sa part ni sur celui de l’article 1384 alinéa 1 pour cause de garde en commun du ballon par les participants.

I-Les demandes fondées sur les articles 1382 et 1383 du code civil

4-Il n’y a pas  de régime de responsabilité pour faute sans appréciation du comportement de l’auteur des faits. En l’occurrence, s’agissant d’accidents survenus sur un terrain de football, elle ne peut s’effectuer sans tenir compte du contexte propre aux sports de contact où il n’est guère possible de rechercher la responsabilité d’un joueur pour une faute ordinaire. La doctrine  évoque un relèvement du seuil de la faute et parle de faute qualifiée dont la justification habituelle est tirée de la théorie de l’acceptation des risques (A).

5-Le périmètre de la faute qualifiée suscite des débats sur son étendue notamment lorsque l’accident est survenu à l’entraînement (cour d’appel de Nancy)  ou en dehors de tout cadre institutionnel (cour d’appel de Toulouse) (B).

A-L’exigence de faute qualifiée

6-La  faute qualifiée suppose la réunion de deux conditions : une faute de jeu (1) et une prise de risque délibérée que la doctrine désigne par l’expression de « faute contre le jeu » (2). Cette  exigence de faute qualifiée a été contestée dans l’affaire du coup de pied retourné au prétexte que la jurisprudence de 2010 qui  a mis fin à l’éviction de l’article 1384 dans les compétitions sportives pourrait être étendue à la responsabilité pour faute (3).

1-La  faute de jeu.

7-Il n’y a pas de faute civile sans le préalable d’une faute sportive. La Cour de cassation a censuré une cour d’appel ayant retenu la responsabilité d’un joueur de volley-ball  pour avoir commis une faute sans retenir à son encontre un acte contraire aux règles du jeu[2]. La cour de Paris se fait l’écho de cette jurisprudence en rappelant que « la responsabilité civile en matière sportive ne peut être recherchée qu’en cas de violation des règles du jeu ».

8-Dans la vie courante celui qui blesse autrui est considéré comme fautif s’il ne s’est pas comporté « en bon père de famille ». Mais, sur un terrain de sport, les joueurs ne  suivent pas ce modèle !  La compétition  altère  « les réflexes habituels de prudence[3] ». Elle suppose « l’adoption de comportements qui, dans la vie quotidienne seraient nécessairement qualifiés de risqués ou dangereux »[4]. Les participants acceptent donc implicitement le risque de blessures mais cette acceptation des risques est assortie d’une condition : chaque joueur s’engage au respect des règles du jeu. C’est donc au juge d’apprécier si le  joueur a enfreint le règlement. L’appréciation de son comportement s’effectue non par rapport à l’attitude  du bon père de famille qui se garderait bien d’avoir des gestes susceptibles de blesser son semblable, mais en référence au bon sportif. Or, que fait le bon sportif : il suit la règle de jeu !

9-Si le préalable d’une faute sportive est nécessaire pour établir l’existence d’une faute civile, l’inverse n’est pas vrai. Toute faute sportive n’est pas équivalente à une faute civile. La faute sportive a ceci d’ambiguë qu’elle recouvre à la fois des manquements au règlement n’ayant pour objet que la régulation du jeu et la violation de règles ayant pour finalité la protection physique des joueurs. La première dite « faute de jeu », sanctionnée par un avantage consenti à l’équipe adverse,  n’est pas génératrice de responsabilité civile. S’agissant de la seconde intitulée « faute contre le jeu », la loi XII des Lois du Jeu  de football  fait référence à un coup porté   «par inadvertance, par imprudence ou par excès de combativité ». De son côté, la Cour de cassation évoque « une ardeur intentionnellement intempestive »  un « comportement anormal» ou encore un coup « porté de façon déloyale ou dans des conditions créant pour le joueur un risque anormal » [5].  Il y a donc bien dans « la faute contre le jeu » concomitance entre faute civile et faute sportive.

10-Dans les sports où les joueurs se disputent le ballon, comme le football, les contacts sont inévitables. Il n’y a donc pas de faute contre le jeu lorsque « deux joueurs se sont contrés mutuellement en voulant jouer le ballon »[6]. Pour la Cour d’appel de Riom « la course en direction du ballon n’est pas, dans une partie de football, une entreprise déraisonnable, même si, a posteriori, elle apparaît vouée à l’échec »[7]. Un heurt même viril entre deux joueurs n’est pas constitutif d’une faute civile même s’il a provoqué des blessures. Comme l’indique la cour de Toulouse la « faute ne peut être déduite de la survenance du dommage, aussi grave fût il ».

11-Aucune disposition des lois du jeu de football n’interdit le coup de pied retourné et le tacle. En revanche si ces gestes techniques sont autorisés, ils ne doivent pas être exécutés dans des conditions susceptibles de mettre en péril l’intégrité physique des joueurs. Or, la « loi n°12 » du règlement de la FIFA incrimine le fait de donner par inadvertance un coup de pied à un autre joueur pendant le cours du jeu. Pour la cour de Nancy il y avait  eu faute de jeu dès lors que le coup de pied retourné était la conséquence d’une inattention de la part de son auteur qui ne s’est pas assuré de l’absence de joueurs à proximité de lui. Mais cette « faute de jeu » n’est pas comparable avec la « faute contre le jeu » (voir infra).

12-Il y avait également discussion dans l’espèce jugée par la cour de Paris sur les conditions dans lesquelles le tacle avait été pratiqué. Un  arbitre international faisant office de témoin prétendait que la prise d’élan du joueur ne correspondait pas à la définition du tacle technique qui doit être « glissé »,  c’est à dire effectué les pieds collés au sol,  alors que le joueur avait les deux pieds décollés du sol. La cour de Paris prenant au pied de la lettre la circulaire du 12.05 de juillet 2011 de la Direction Nationale de l’arbitrage de la F.F.F. observe qu’elle ne fait pas de distinction dans sa définition du tacle dangereux entre le fait qu’il soit effectué pied ou non décollé du sol. En revanche, elle relève qu’il y a faute à partir du moment où, selon les termes de la circulaire, le tacle a été effectué avec « la seule intention d’arrêter violemment le joueur adverse, et ainsi de mettre éventuellement en danger son intégrité physique ». Elle introduit ainsi un élément moral dans la définition de la faute : c’est « la faute contre le jeu »

2- La  faute contre le jeu. 

13-La prise de risque peut être comprise de deux manières. Tantôt, c’est la volonté d’abattre l’adversaire, de lui occasionner délibérément des blessures.  Dans ce cas l’auteur du coup a voulu l’acte et le résultat ce qui n’est le cas dans aucune des espèces commentées. Tantôt, il a cherché à tout prix à s’emparer du ballon sans se préoccuper des conséquences possibles pour l’intégrité physique  de son adversaire. Il a voulu l’acte (le coup) mais pas le résultat (les blessures). On lui reproche non pas d’avoir voulu porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui  mais d’avoir pris consciemment le risque de le faire par excès de combativité. C’est ce que la Cour de cassation désigne comme « une ardeur intentionnellement intempestive »  un « comportement anormal » ou encore un coup « porté de façon déloyale ou dans des conditions créant pour le joueur un risque anormal » [8].  La faute civile existe dès lors qu’un joueur a accompli consciemment un geste dont il savait qu’il pourrait  occasionner des blessures aux joueurs du camp adverse.

14-Dans l’espèce jugée par la cour de Nancy, s’il y eu « faute de jeu » par inattention car le joueur ne s’est pas assuré de la présence d’autres participants, il n’y a pas eu de « faute contre le jeu » car « les éléments versés aux débats sont insuffisants pour établir la connaissance qu’avait (le joueur incriminé) de la proximité d’autres participants au jeu au moment où il a entrepris de frapper la balle au moyen d’un ‘retourné ». Quand les juges affirment que la « faute sportive n’est pas équipollente à la faute civile », ils ne peuvent viser que la « faute de jeu » et non la « faute contre le jeu » que rien ne distingue de  la faute civile.

La cour de Paris cite  la circulaire 12.05 de juillet 2011 émanant de la Direction Nationale de l’arbitrage de la F.F.F rappelant les fautes et comportement antisportif de la loi XII des Lois du Jeu et indiquant que « dans le tacle avec violence (…) la seule intention est celle d’arrêter violemment le joueur adverse, et ainsi de mettre éventuellement en danger son intégrité physique ».  Elle relève  que la vidéo montre « deux joueurs courant en direction du ballon et le fait qu’ils ont tous deux lancé le pied dans un même temps pour jouer le ballon». Elle ajoute « qu’aucun élément ne permet de retenir de la part de A une volonté d’arrêter F, ni de mettre en danger son intégrité physique, qui pourrait être appréciée comme une faute grossière susceptible d’engager sa responsabilité ». S’il a pu y  avoir faute de jeu, il n’y a pas eu de faute contre le jeu dès lors qu’il  n’a pas été prouvé que l’auteur du coup a voulu empêcher son adversaire de continuer sa progression.

15-C’est l’occasion pour la cour de Paris de rappeler que l’existence d’une sanction disciplinaire ne lie pas le juge et  que « les règles de la responsabilité civile du joueur sont indépendantes des sanctions prises par les fédérations sportives ». L’ordre juridique étatique n’est pas sous la coupe de l’ordre juridique sportif. « Juge du résultat sportif de la compétition, l’arbitre n’est pas juge de la responsabilité[9] ».

3- La remise en question du relèvement du seuil de la faute:

16-L’arrêt du 4 novembre 2010  a mis fin à l’éviction de l’article 1384 dans les compétitions sportives en abandonnant la théorie de l’acceptation des risques. Tirant parti de cette jurisprudence applicable à la responsabilité du fait des choses, la victime du coup de pied retourné prétendait qu’elle  pourrait être transposée à la responsabilité pour faute. Selon son analyse, si la Cour de cassation a supprimé l’acceptation des risques dans le domaine de la responsabilité du fait des choses pourquoi ne pas admettre que les tribunaux suivant cet exemple l’appliquent également à  la responsabilité du fait personnel  et renoncent à l’exigence d’une faute qualifiée? Si l’acceptation des risques ne fait plus barrage à la responsabilité du fait des choses, pourquoi continuer à l’appliquer à la responsabilité du fait personnel ?   Un coup donné par inadvertance suffirait alors à constituer une faute civile sans que le juge ait à se demander si la prise de risque a été consciente et donc anormale.

17-La cour de Nancy oppose une fin de non recevoir à ce raisonnement. Il faut l’approuver quand elle affirme que le juge doit « porter une appréciation concrète sur le caractère fautif des comportements en cause, ce qui implique de tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit la pratique sportive ». Le « contexte » dont il est question est celui des sports de contact pratiqués en compétition qui implique nécessairement un relèvement du seuil de la faute si on ne veut pas fausser le déroulement de l’épreuve.

18-Les juges ont raison de maintenir la jurisprudence de novembre 2010 dans la limite des circonstances de l’espèce où cette décision a été rendue, en l’occurrence celles d’un coureur motocycliste blessé par la machine  d’un autre concurrent.  La Cour de cassation n’a nullement laissé entendre que l’abandon de l’acceptation des risques dans le domaine de la responsabilité du fait des choses s’étendrait à la responsabilité du fait personnel. Sans doute a-t-on fait remarquer qu’elle ne pourrait pas tenir longtemps cette position sauf à se contredire. En effet, il y a «une incompatibilité radicale entre l’application de l’article 1384, alinéa 1er, et l’exigence d’une faute qualifiée» de sorte que par « un effet domino[10] » la suppression de l’acceptation des risques (et donc l’abandon de la faute qualifiée) pourrait s’applique aussi  à la responsabilité du fait personnel. Mais ses conséquences seraient redoutables pour les compétitions sportives. Elles en fausseraient le déroulement créant des reflexes d’inhibition chez les joueurs par crainte de voir leur responsabilité recherchée pour une faute ordinaire. Elle impliquerait également que la 2ème chambre civile, si elle ne veut pas se contred
ire, remette en question sa  jurisprudence sur la responsabilité des groupements sportifs du fait de leur membre qu’elle subordonne à la commission  d’une faute qualifiée de l’auteur du dommage (voir infra). Il y aurait, en effet, incohérence  à admettre qu’une « faute technique involontaire » puisse suffire pour retenir la responsabilité d’un compétiteur,  alors que, pour le même accident, la preuve d’une prise de risque volontaire de sa part s’imposerait pour engager la responsabilité du groupement.

19-L’exigence d’une faute qualifiée ne règle pas tout. Il faut aussi préciser les contours de son application qui demeurent flous.

B – Le périmètre de la faute qualifiée

20-Dans deux des trois espèces commentées les victimes ont tenté de restreindre le périmètre de la faute qualifiée en démontrant soit que l’accident était survenu à l’entrainement (1) soit en dehors de tout cadre institutionnel (2).

1-Accident survenu à l’entraînement

21-La faute sportive commise au cours d’un match d’entraînement suffit-elle à caractériser la faute civile ?  Dans l’affaire du coup de pied retourné les appelants considéraient qu’en l’absence de toute compétition le joueur incriminé n’aurait du prendre aucun risque. La question est discutée. J. Mouly observe « qu’il est de jurisprudence constante que cette phase de préparation ne relève pas des solutions spécifiques sur la responsabilité des sportifs car il n’y a pas ici à proprement parler d’enjeu pouvant justifier des prises de positions particulières[11] ». Toutefois d’autres auteurs estiment que « la distinction entre entrainement et compétition est une fausse distinction » car « la compétition est inséparable de l’entrainement et la même liberté d’esprit doit présider à celle-ci et celle là[12] ». C’est la position de la cour de Nancy pour qui « l’entraînement en vue de la compétition implique que les joueurs s’exercent à tous les gestes utilisés en compétition ». Il faut convenir qu’il est difficile d’exécuter des gestes qui n’ont pas été répétés à l’entraînement dans les mêmes conditions qu’en compétition. Il est vrai aussi que l’enjeu n’est pas le même à l’entrainement et en compétition. Les tribunaux sont divisés sur ce sujet. Ainsi, une cour d’appel relève, qu’entre  joueurs de squash, un revers excessif qui peut être absous dans le contexte d’une compétition est, en revanche, constitutif d’une faute s’il a été effectué à l’entraînement car les joueurs n’ont pas de raison de jouer « avec la plus grande intensité »[13].

22-La question semble avoir été réglée en faveur de l’assimilation de l’entrainement à la compétition depuis que la Cour de cassation a fait explicitement référence à l’entrainement dans un attendu de principe sur la responsabilité des groupements sportifs du fait de leurs membres[14] et que, dans d’autres arrêts[15], et notamment celui de son assemblée plenière[16]  elle a cessé de faire allusion à la compétition  se bornant à viser « les activités » pratiquées par les adhérents du groupement. Mais faut-il traiter une partie de football entre amis comme les juges l’ont fait pour l’entraînement ?

2-Accident survenu lors d’une partie informelle.

23-La question s’est posée pour l’accident survenu dans une salle de sport dédiée à la pratique du football en salle où trois joueurs se livraient à une partie de tirs au but.  Fallait-il appliquer à un tel jeu les règles du football comme l’a fait la cour de Toulouse qui a subordonné la responsabilité du joueur envers un autre participant à une faute caractérisée par une violation des règles du jeu concerné. Dans cette espèce, l’intimé  affirmait que, s’agissant d’une partie de tirs au but à trois personnes, les règles classiques du football n’étaient pas applicables.  La cour ne répond pas à ce moyen. On pourrait à la rigueur admettre que les participants à un match amical décident d’appliquer les règles du football. Ou encore qu’un jeu consistant à tirer des buts dans une cage prévue à cet effet ressemble singulièrement au football. Par le passé une cour d’appel a d’ailleurs admis que l’acceptation des risques « ne requiert pas nécessairement l’organisation d’un match et un contrôle sévère du respect de ses règles ». Elle estimait qu’il n’y avait pas de raison de considérer que des jeunes jouant sur un terrain de football avec un ballon réglementaire de compétition et en respectant les règles de ce sport « n’acceptent pas les risques du jeu sous prétexte que ne participant pas à un match ils jouent pour leur seul amusement[17] ». Mais, la jurisprudence a, au fil du temps, resserré le champ d’application de l’acceptation des risques au sport de compétition ce que n’est pas une partie de ballon amicale entre non licenciés.

24-Pour autant, le juge ne peut pas faire abstraction du contexte spécifique dans lequel l’accident est survenu. La Cour de cassation affirme « qu’il est dans l’esprit du jeu » que tout joueur qui tente de marquer un but, « utilise toute sa force physique pour donner au ballon la plus grande vitesse possible »[18]. Elle ne fait pas référence ici aux règles du football mais au comportement normal qu’on peut attendre pour tout tir au but. Un tir violent ne serait fautif que si le tireur a délibérément cherché à atteindre la tête d’un autre joueur comme l’observe la cour de Toulouse ce qui  sera  bien difficile à prouver ! Cependant, en l’absence de  faute ne faut-il pas alors rechercher la responsabilité de celui qui a expédié le ballon en qualité de gardien de l’objet ?

II-Les demandes fondées sur l’article 1384  alinéa 1 du code civil

25-L’article 1384 alinéa 1 du code civil a fait fortune ! Non seulement, il sert depuis toujours de fondement à la responsabilité du fait des choses, mais les arrêts de 1995 de la 2ème chambre civile lui ont donné un nouvel essor en instituant une responsabilité des groupements sportifs amateurs du fait de leurs membres[19]. Pourtant, dans l’espèce jugée par la cour de Toulouse  l’action qui consistait à engager la responsabilité du joueur en qualité de gardien du ballon n’a pas aboutie (A). De même, celle formée contre le club de l’auteur du dommage  dans les deux autres espèces n’a pas eu plus de succès (B).

A-L’échec de l’action formée contre le joueur en qualité de gardien du ballon

26-L’article 1384 alinéa 1 s’applique habituellement dans les sports où les participants utilisent du matériel. Il suppose nécessairement que le dommage soit causé par une chose. Un coup de pied retourné est le fait d’un sportif pas d’une chose. Le corps humain ne peut être assimilé à un objet. En admettant que la blessure provoquée par ce geste ait été l’œuvre de la chaussure à crampons, il sera facile d’écarter l’article 1384 alinéa 1 en faisan
t valoir qu’elle n’a eu qu’un rôle passif dans l’exécution du geste et n’a donc pas été l’instrument du dommage.

27-Cependant,  dans l’espèce jugée par la cour de Toulouse ce n’est pas le pied d’un joueur qui a causé la blessure mais le ballon qui a blessé à l’œil un des joueurs. L’article 1384 alinéa 1 devrait donc pouvoir s’appliquer. D’abord, un ballon est bien une chose et le fait qu’il soit entrée en contact avec la victime établit assurément la preuve qu’il a été l’instrument du dommage. Ensuite, l’emploi de l’article 1384 alinéa 1 n’est plus proscrit dans les compétitions sportives depuis l’arrêt du 4 novembre 2010. Enfin, l’article L. 321-3-1 du code du sport, qui a eu pour ambition de limiter la portée de cette jurisprudence, n’est pas concerné ici puisqu’il s’applique uniquement  aux dommages matériels. Mais, c’est oublier la théorie de la garde en commun qui  constitue toujours un  motif d’éviction de la responsabilité du fait des choses.

28-Cette théorie est fondée sur l’idée qu’une chose ne peut avoir qu’un seul gardien et exclut que plusieurs personnes exercent en même temps des pouvoirs de contrôle et de direction sur celle-ci. C’est notamment le cas pour le football où selon l’expression de la Cour de cassation  « tous les joueurs ont l’usage du ballon mais nul n’en a individuellement le contrôle et la direction car le joueur qui a le ballon, est contraint de le renvoyer immédiatement ou de subir les attaques de ses adversaires qui tentent de l’empêcher de le contrôler et de le diriger, en sorte qu’il ne dispose que d’un temps de détention très bref pour exercer sur le ballon un pouvoir sans cesse disputé[20] ».  L’arrêt reprend à son compte ses motifs et ajoute même « que la partie se déroulait en salle, sur un terrain plus limité et à trois ce qui était de nature à favoriser la rapidité d’exécution des tirs et des passes, le pouvoir sur le ballon étant sans cesse disputé et étant exercé par chacun des joueurs ». Pourtant, une partie de tir au but n’est par comparable au déroulement d’un match. Chaque joueur tire à tour de rôle et il n’est pas interdit de penser que chacun prend le temps de viser pour augmenter ses chances de faire entrer le ballon dans le but. Ainsi, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel ayant admis que deux jeunes filles qui à tour de rôle lançaient un ballon de basket dans un panier fixé au mur sans que sa partenaire ait à s’y opposer en avaient alternativement la garde[21]. L’élément essentiel, dans cette espèce, était bien l’absence de confrontation directe entre les deux joueuses. Elles n’avaient pas à se débarrasser rapidement du ballon pour ne pas en être dépossédé de sorte qu’elles disposaient d’un temps de détention suffisamment long pour en acquérir la garde. Mais la cour de Toulouse relève que « les témoignages produits en première instance ne mentionnent pas qu’il s’agissait d’une simple séance de tirs au but. Ils parlent d’une partie de foot en salle » et ajoute que « les attestations produites en cause d’appel ont manifestement été établies pour les besoins de la cause pour faire échec à la motivation du premier juge ». En somme, la victime aurait obtenu de ses camarades complaisants une autre version des faits-celle d’une partie de tir au but-afin d’écarter la garde en commun et obtenir que l’auteur du dommage soit reconnu responsable.

B- L’échec de l’action formé contre le club de l’auteur du dommage

29-Chassez la faute, elle revient au galop ! Dès les arrêts de 1995, fondateurs de la responsabilité délictuelle des groupements sportifs du fait de leurs membres, le silence de la Cour de cassation sur l’exigence préalable d’une faute du membre ayant provoqué le dommage a fait débat. L’arrêt  dit « des majorettes » du 12 décembre 2002[22] avait introduit le doute dans les esprits. L’accident ayant été provoqué par la manipulation d’un bâton, on ne voit guère ce qui pouvait être reproché à son auteur sauf à admettre que la maladresse soit une faute qualifiée[23] ! On s’est alors demandé si la 2ème chambre civile n’avait pas opté pour une responsabilité purement causale des associations sportives. Toutefois, celle-ci ne s’est pas engagée dans cette voie dont les conséquences auraient été désastreuses pour le mouvement sportif. Depuis son arrêt du 20 novembre 2003[24], la deuxième chambre civile a, de façon constante, imposé aux juges du fond de rechercher l’existence d’une faute de l’auteur du dommage sans qu’il y ait d’ailleurs de véritable résistance  de leur part[25]. Cette jurisprudence a  été  consacrée par  l’Assemblée  plénière  dans son arrêt du 29 juin 2007[26].

30-Toutefois, l’expression de « faute caractérisée par une violation de la règle du jeu » que la Haute juridiction a pris l’habitude d’employer a interpellé la doctrine sur sa signification.  Fallait-il comprendre  qu’il ne serait plus nécessaire d’établir une faute caractérisée résultant d’une violation de la règle de jeu mais qu’une faute constituée par une telle violation pourrait suffire ?  Une telle interprétation reviendrait à abandonner la distinction entre faute de jeu et faute contre le jeu. Une simple maladresse constitutive d’une faute de jeu suffirait pour engager la responsabilité de son auteur.

31-L’examen des arrêts de la Cour de cassation montrent qu’elle n’a pas entendu abandonner l’exigence d’une faute qualifiée. Ainsi elle a estimé que la violation des règles de positionnement de mise en mêlée ne caractérisaient pas une faute consistant en une violation des règles du jeu[27]. Elle a ensuite considéré que de  tels motifs étaient insuffisants à établir que l’effondrement de la mêlée avait été délibéré[28].  En revanche, lorsqu’il a été prouvé qu’une mêlée avait été  délibérément relevée par des joueurs qui ne pouvaient ignorer la stratégie  des avants consistant à refuser la poussée adverse, elle a estimé qu’il s’agissait bien d’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu permettant d’engager la responsabilité de leur club[29]. Dans ces conditions, l’action formée contre les clubs des auteurs du coup de pied retourné et du tacle n’avait aucune chance d’aboutir dès lors qu’aucune faute contre le jeu n’a été retenue contre les intéressés.

Leur action en réparation n’aurait pas eu plus de réussite si la responsabilité du groupement avait été recherchée en qualité de gardien du ballon car un club n’en a ni le contrôle ni la direction pendant le temps du match. De surcroît, en admettant qu’il en ait conservé la garde, comme cela a été jugé pour le palet d’un match de hockey sur glace[30], il eut fallut que le ballon ait été la cause du dommage ce qui ne pouvait être le cas en l’absence de contact entre celui-ci et la victime comme l’a relevé la cour de Nancy.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 
En savoir plus : 

Jean-Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Nancy, 22 avril 2014
CA Paris, 31 mars 2014
CA Toulouse 27 mai 2014



Notes:

[1] Civ. 2e, 4 nov. 2010, n° 09-65.947, Bull.civ. 2010, II, n° 176. D. 2010. 2772, obs. I. Gallmeister; D 2011, p. 690, chron. J. Mouly; JCP 2011, n° 12, note D. Bakouche ; RCA 2011. comm. 47. P Jourdain, RTD Civ. 2011 p. 137.

[2] Cass. 2e civ.3 juill. 1991, Bull. civ. II, no 210

[3] P. Jourdain, D. 2003, somm. p. 461.

[4] J. Mouly, « La spécificité de la responsabilité civile dans le domaine du sport – Légitime défense ou inéluctable déclin ? »  RLDC n° 29 juill. / août 2006,  p. 61.

[5] Cass. 2e civ, 15 mai 1972 n° 70-1451 et 21 juin 1979 n° 77-15345

[6] Besançon, 2 oct. 2003, n°02/00864. Juris-Data n° 223828.

[7] Riom, 5 mars 2003, n° 02�0661. Juris-Data n° 208244.

[8] Précité note n°6

[9] H.L.Mazeaud et A Tunc, Responsabilité civile, t.1, n° 532-2, p 622. Ainsi, la Cour de cassation a donné raison à un cour d’appel qui avait retenu la faute d’un cavalier alors que les arbitres du match de polo avaient décidé le contraire . Civ. 2, 10 juin 2004, pourvoi n° 02-18649.  RTD civ. 2005,  p. 137-139, obs. P. Jourdain

[10] J Mouly , note sous Cass. 2ème civ., 4 novembre 2010, n°09-65.947, préc.

[11] « La spécificité de la responsabilité dans le domaine du sport. Légitime résistance ou inéluctable déclin ». Rev. Lamy dr. civ. 2006, n°29, p.67.

[12] G Durry, RTD civ, 1979, p.616. Dans le même sens S. Hocquet-Berg, resp.civ. et ass. Sept 2002, n° 15  p4

[13] Lyon, 28 janv. 2004, n°03�0756. Dict. perm. dr. sport, Bull. 98, p. 7139.

[14] Civ 2, 21 octobre 2004, n° 03-17910 03-18942.

[15] Civ. 2, 22 septembre 2005 n°04-14092 Bull. civ. II, N° 234 p. 208

[16] Ass plein.29 juin 2007, n° de pourvoi: 06-18141

[17] CA Rennes, 20 mai 1969, JCP G 1969, II, juris n° 16040

[18] Civ. 2, 13 janv. 2005, n°03-12884, « Du football et de la mécanique », P. Jourdain.  RTD Civ. 2005, chron. p. 410-412 – LPA. 24 mai 2006, n° 103, note R-D. Martin – RJE sport,  n° 75 juin 2005, p. 69,  obs. F. Lagarde et J-P. Boucheron.

[19] Civ 2, 22 mai 1995 92-21871 et  92-21197 

[20] Civ 2, 13 janvier 2005 n° 03-18918, Bull.civ  II N° 9 p. 8

[21] Civ 2, 21 février 1979 n°77-12878Bull.civ n° 58 p. 43

[22] Civ 2, n°00-13553, bull. civ. II n° 289 p. 230

[23] F. Chabas,  Dr. et patr. n° 122, janv. 2004, p. 86.

[24] Civ, n° 02-13653, bull. civ. II n° 356 p. 292

[25] Selon une étude effectuée par le Centre de droit et d’économie de Limoges et citée par l’avocat général dans son avis à l’Assemblée plénière, trois Cours d’appel sur 16 (Bordeaux, 20 mars 2001, Juris-Data n° 140816 et 22 mai 2001, Juris-Data n° 150084 – Agen, 5 déc. 2000, Juris-Data n° 140828 – Lyon, 9 févr. 2000, Juris-Data n° 122242) auraient adopté une responsabilité de plein droit  pour la période de 2000 à 2006.

[27] Cass.civ 2, 13 mai 2004, n°03-10.222, D 2004 I.R. p1711.

[30] En l’occurrence les juges du fond ont admis «  que dans un jeu collectif comme le hockey sur glace, si les joueurs ont un usage temporaire du palet, ils ne disposent pas des pouvoirs de surveillance et de contrôle qui restent exercés par son propriétaire à savoir, l’association Hockey club de Morzine Avoriaz ». CA Grenoble, 4 septembre 2012, R.G. N° 11/00383

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