Les arrêts rendus par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 17 décembre 2015 mettent fin au litige entre la Confédération nationale des éducateurs sportifs (CNES) et quatre fédérations sportives délégataires à propos des titres portés par leurs éducateurs sportifs bénévoles[1]. Le pourvoi en cassation formé par cette organisation syndicale contre plusieurs fédérations sportives pour obtenir qu’il leur soit interdit d’utiliser les titres de moniteur, entraîneur, instructeur et animateur dans la présentation de leurs actions de formation d’éducateurs bénévoles est donc rejetée. Toutefois la portée de cette décision demeure limitée puisqu’elle ne se prononce pas sur le sort des poursuites pénales susceptibles d’être engagées contre des éducateurs sportifs bénévoles pour usurpation de titre.

 

 

1-L’article L. 212-8 du code du sport réprime le fait « d’exercer contre rémunération l’une des fonctions de professeur, moniteur, éducateur, entraîneur ou animateur d’une activité physique ou sportive ou de faire usage de ces titres ou de tout autre titre similaire » sans être en possession « d’un diplôme, titre ou certificat de qualification inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ». La rédaction imprécise de ce texte soulève  une question majeure à l’origine du contentieux qui oppose le CNES qui fédère des syndicats d’enseignement sportif et les fédérations sportives. Celles-ci, compétentes pour former leur cadre en vertu de l’article L211-2 du code du sport, peuvent-elles intituler leur diplôme en utilisant les titres énumérés à l’article L. 212-8  sans encourir le grief d’usurpation de titres protégés ?

2- Pour le CNES qui fédère des syndicats d’enseignement sportif, ce texte ne fait pas de distinguo entre bénévoles et professionnels. Il soutient que les titres « d’entraîneur » et « d’animateur » sont légalement protégés et ne peuvent être utilisés que par les professionnels. Pour les fédérations sportives, au contraire, son champ d’application est limité à l’enseignement contre rémunération d’une activité physique ou sportive et n’affecte pas l’enseignement bénévole.

3-La cour d’appel de Paris infirmant la décision des premiers juges avait tranché en faveur des fédérations sportives et rejeté la demande formée par le CNES (notre commentaire du 5 décembre 2014 ). La Cour de cassation approuve son analyse et considère, à son tour, que  les fédérations sportives peuvent faire usage des titres litigieux dans l’intitulé de leurs diplômes bien que ceux-ci ne donnent droit qu’à l’exercice d’un enseignement bénévole.

4-Cette décision a de quoi rassurer les éducateurs sportifs bénévoles menacés de  se trouver privés de tout port de titre pour désigner leur activité. En effet, l’article L. 212-8 du code du sport n’interdit pas seulement l’usage des titres qu’il énumère mais aussi de « tout titre similaire ». Par voie de conséquence, tous ceux utilisés pour désigner l’activité d’un éducateur bénévole pourraient être assimilés à ceux cités à l’article  L. 212-8 . Dans ces conditions,  il ne serait plus possible aux éducateurs sportifs bénévoles de se faire reconnaître.

 

5-Dans son analyse de la rédaction de l’article  L. 212-8 , le tribunal avait estimé que ce texte envisageait deux hypothèses distinctes et séparées par la conjonction « ou ». La première concernait l’exercice contre rémunération et devait s’appliquer aux professionnels. La seconde  tenant à l’usage de ces titres ou de tout titre similaire, devait s’appliquer indifféremment aux professionnels et aux bénévoles.

6-La cour d’appel est d’un autre avis. Elle estime que cette analyse est contredite par l’emplacement de la mention « sans posséder la qualification requise au I de l’article L 212-1 » qui se rapporte à la fois à l’exercice contre rémunération et à l’usage des titres, faisant donc de l’incrimination un tout indivisible en lien avec l’article L 212-1 qui réglemente l’enseignement contre rémunération.

7-La cour d’appel observe, par ailleurs, que l’article  L. 212-8  se trouve inséré dans le chapitre II du code du sport intitulé « Enseignement du sport contre rémunération » qui édicte, dans quatre sections, l’ensemble des règles qui ne sont applicables qu’à l’exercice rémunéré de l’enseignement du sport. Aucun des autres articles figurant dans ces quatre sections ne s’applique à un exercice bénévole. Dans ce chapitre, seul l’article L 212-9, placé en section II dénommée « Obligation d’honorabilité », énonce des règles applicables à l’exercice des fonctions à titre rémunéré ou bénévole. Cette extension à l’exercice bénévole est expressément prévue par le texte, contrairement à l’article  L. 212-8  qui n’évoque que l’enseignement rémunéré. Les juges en déduisent que l’article  L. 212-8 limité aux seules activités nécessitant une qualification, c’est-à-dire à celles exercées contre rémunération, constitue le volet pénal de l’article L212-1.

8-Le CNES soutenait, également, que le port par un éducateur bénévole d’un des titres énumérés à l’article  L. 212-8  enfreint l’article 433-17 du code pénal qui interdit l’usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique. Or, selon son analyse, l’usage d’un titre pour désigner des diplômes fédéraux qui n’ouvre pas droit à l’encadrement rémunéré est constitutif d’usurpation de titre au sens de ce texte.

9-La cour de Paris avait également écarté ce moyen en faisant valoir que les fédérations sportives sont chargées, aux termes de l’article L211-2 du code du sport, d’assurer la formation et le perfectionnement de leurs cadres bénévoles. Interdire l’utilisation de ces titres ou de tout autre titre similaire, par les cadres fédéraux reviendrait à empêcher les fédérations sportives d’assurer leur mission de formation des bénévoles.

10-La Cour de cassation, approuve sans réserve la cour d’appel et affirme, à son tour, que le champ d’application de l’article L. 212-8  est limité à l’exercice de l’enseignement contre rémunération d’une activité physique ou sportive. Elle en déduit qu’une fédération sportive peut faire usage des titres énumérés dans ce texte dans l’intitulé des diplômes qu’elle délivre aux éducateurs bénévoles.

 

11-Cette décision ne règle cependant pas toutes les difficultés suscitées par l’application de l’article L. 212-8 . En effet, l’arrêt de rejet a été rendu par une chambre civile de la Haute Juridiction. D’ailleurs, celle-ci s’est bien gardée de se prononcer sur l’incrimination de l’article 433-17  dès lors que cette question n’entrait pas son champ de compétence.

12-La chambre criminelle n’a pas encore eu son mot à dire sur le sujet et on ne peut soutenir d’avance qu’elle se rangera à la position de la 1ère chambre civile. Elle pourrait, même, avoir intérêt à la contredire pour forcer le législateur à revoir sa copie. En effet, le débat en cours sur le port du titre par les éducateurs bénévoles aurait pu être évité par une meilleure rédaction de l’article L. 212-8 . La possibilité d’usage de titres analogues par les professionnels et les bénévoles n’est pas satisfaisante, faute de lisibilité. Les pratiquants qui s’adressent à un éducateur sportif doivent savoir à l’avance s’il s’agit d’un professionnel ou d’un bénévole. L’enseignement sportif est une profession réglementée qui met à la charge  des professionnels des obligations de déclaration et de qualification dont les éducateurs bénévoles sont dispensés. Il est donc juste qu’ils puissent bénéficier du monopole de leurs titres.

13-Pour régler la question, la Fédération française de hockey sur gazon avait posé la question prioritaire de constitutionnalité fondée sur le non-respect par l’article  L. 212-8 de l’exigence de précision de la loi pénale constamment réaffirmée par le Conseil Constitutionnel. Elle fut transmise par la cour d’appel de Paris qui avait admis que le motif d’inconstitutionnalité allégué n’était « pas dépourvu de caractère sérieux », dès lors que l’ajout des termes « ou tout autre titre similaire» avait un « caractère général et imprécis  de nature à créer une insécurité juridique pour les fédérations sportives sur la dénomination à donner aux diplômes qu’elles dispensent » [2]. Mais, la Cour de cassation, qui fait office de filtre, la déclara irrecevable[3] au motif que l’ordonnance du 23 mai 2006, créant le code du sport, n’ayant fait l’objet d’aucune ratification législative, les dispositions contestées du code du sport avaient un caractère réglementaire et ne figuraient pas au nombre des dispositions législatives dont le conseil constitutionnel est habilité à contrôler la constitutionnalité.

14-Une nouvelle intervention du législateur s’impose donc. Celui-ci pourrait s’inspirer des dispositions de l’article L 131-18 du code du sport qui protègent la délivrance des titres sportifs par les fédérations sportives délégataires. Ce texte prévoit, en effet, que les fédérations sportives agréées ne peuvent délivrer des titres de champion national ou fédéral et des titres régionaux ou départementaux qu’à la condition de faire suivre ces titres de la mention de la fédération.  Pourquoi ne pas transposer cette solution aux éducateurs sportifs et imposer à ceux qui exercent comme bénévoles de faire suivre systématiquement cette qualité de leur titre d’éducateur, de moniteur ou d’entraineur dans leurs documents publicitaires ?  Elle aurait l’avantage de la lisibilité et permettait d’éviter toute confusion possible entre professionnels et bénévoles.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
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Jean-Pierre Vial



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CIV 1 17 DEC 2015 

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