Le sport cycliste est un des terrains privilégié de la responsabilité du fait des choses. La théorie de l’acceptation des risques qui faisait barrage à son emploi en compétition a été remisée aux oubliettes. La victime n’est plus confrontée comme par le passé au fardeau de la preuve d’une faute. L’auteur d’une chute collective survenue lors de l’épreuve cycliste d’un triathlon est de plein droit responsable des dommages causés par le fait de son engin à un des concurrents comme l’atteste l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix en Provence le 13 septembre 2018.

1-Les chutes collectives lors d’épreuves cyclistes font partie des risques habituels de la compétition. En l’occurrence c’est une bourrasque de vent qui a surpris un triathlète et lui a fait faire un écart alors que 2 concurrents le doublaient par la gauche. Il heurte l’un d’eux qui, à son tour entraine la chute du troisième. Ce dernier sérieusement blessé assigne en réparation celui qui l’a fait chuter lequel appelle en garantie l’organisateur de l’épreuve et son assureur.

2-Ecartons d’abord l’action en responsabilité contractuelle qui aurait pu être formée contre l’organisateur car elle n’avait aucune chance d’aboutir. En effet, celui-ci n’est tenu qu’à une obligation de sécurité de moyens de sorte que sa responsabilité est soumise à la preuve d’une faute de sa part dont la preuve incombe à la victime. Or les circonstances de l’accident révèlent que la chute en série est la conséquence directe de l’écart soudain d’un des participants du à une bourrasque de vent. Sans doute pouvait-on reprocher à l’organisateur d’avoir maintenu l’épreuve s’il était établi que les conditions atmosphériques imposaient de l’annuler. Mais il n’y est fait allusion par aucune des parties.

3-Engager la responsabilité du club organisateur sur le fondement de la responsabilité de plein droit des groupements sportifs du fait de leurs membres est également une fausse piste. En effet, le participant mis en cause n’est pas  adhérent du club organisateur.

4-Inutile encore de rechercher la responsabilité du concurrent ayant provoqué la chute sur le fondement de l’article 1240 du code civil en l’absence d’un comportement fautif de sa part. En effet, l’écart qu’il a fait n’est pas constitutif d’une faute car rendu inévitable par celui effectué par le coureur sous l’effet de la bourrasque.

5-En définitive, le seul fondement qui s’imposait était celui de la responsabilité du fait des choses. Encore fallait-il que la voie soit ouverte. En effet, les tribunaux ont pendant longtemps fait barrage à l’application de ce régime de responsabilité sur le fondement de la théorie de l’acceptation des risques. Selon cette doctrine, les comportements de compétiteurs ne sont constitutifs de faute que s’ils sont effectués en violation des lois fédérales ou du règlement de l’épreuve. Pour le reste, ils sont la conséquence des risques inévitables de la compétition comme peuvent l’être les collisions entre coureurs. Aussi les coureurs cyclistes blessés en compétition n’avaient guère d’autre possibilité que d’agir sur le fondement de la responsabilité pour faute. La Cour de cassation a levé cet obstacle dans son arrêt du 4 novembre 2010[1] où elle affirme que « la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ». Confirmée à plusieurs reprises cette jurisprudence a soulevé la levée de boucliers du mouvement fédéral. Aussi le législateur a du intervenir pour limiter la portée de cette jurisprudence. La loi du 12 mars 2012  a inclus dans le code du sport un article L 321-3-1  qui écarte la responsabilité du fait des choses pour les dommages matériels causés par un pratiquant à un autre par le fait d’une chose qu’il a sous sa garde à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement. Curieusement les premiers juges ont fait application de ce texte à la présente espèce en  mettant à la charge de la victime la preuve d’une faute de l’auteur du dommage qu’elle était bien incapable de produire. C’est oublier que l’article L 321-3-1 ne s’applique qu’aux dommages matériels alors qu’il est question ici de dommages corporels sauf à considérer, comme l’ont fait certains auteurs, que le terme employé par le législateur n’est pas celui de dommages aux biens, distinct du dommage à la personne, mais de dommages matériels[2]. Or comme le dommage corporel a une composante  patrimoniale – donc matérielle – (comme les dépenses de santé, les pertes  de salaires, le déficit fonctionnel temporaire et permanent, etc.) on pourrait admettre que leur indemnisation est subordonnée à la preuve d’une faute qualifiée. Néanmoins il eut fallut pour cela que la loi du 12 mars 2012  soit applicable au moment de l’accident ce qui n’est pas le cas puisque celui-ci est survenu le 30 juillet 2009. Dans ces conditions, la jurisprudence du 4 novembre 2010 qui a levé l’exigence de  preuve d’une faute demeurait applicable à la présente espèce. Aussi faut-il approuver l’arrêt qui fait application sans restriction de la responsabilité du fait des choses dont les conditions d’application sont ici réunies qu’il s’agisse de l’attribution de la garde ou du fait de la chose.  Nul ne conteste que le concurrent qui a fait chuter la victime avait « l’usage, le contrôle et la direction » de son engin. De même, l’accident est bien de son fait même s’il conteste avoir eu une part active dans sa survenance en faisant valoir l’absence de preuve d’un contact quelconque entre les deux vélos. En effet, s’il n’y a pas eu de collision, le rôle actif de son engin est néanmoins attesté par l’écart effectué par le premier participant qui, à son tour, a provoqué le sien.

6-Tenu de plein droit responsable le défendeur n’avait pas d’autre alternative pour s’exonérer de sa responsabilité que d’établir une faute de la victime, le fait d’un tiers ou la  force majeure en sachant que pour obtenir le bénéfice de l’exonération intégrale les deux premiers doivent présenter les caractères de la force majeure. En l’occurrence, aucun de ces cas d’exonération n’est établi d’autant que les circonstances de l’accident révèlent qu’il n’était pas imprévisible si on en juge par le comportement souvent erratique d’un groupe de coureurs.

Une dernière voie s’offrait encore au défendeur, celle d’appeler en garantie l’organisateur de la manifestation et son assureur. En effet, celui-ci est tenu de souscrire des garanties d’assurance en responsabilité civile (Article L331-9 C. sport) couvrant sa responsabilité civile et celle des participants (L331-10 C.sport), obligation légale d’ailleurs retranscrite dans le règlement de la compétition. Dûment inscrit à l’épreuve, le défendeur a donc été relevé et garanti de l’ensemble des condamnations prononcées contre lui.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus : 
CA AIX EN PROVENCE 13 SEPT 2018

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Accident de triathlon CA AIX EN PROVENCE 13 SEPT 2018



Notes:

[1]Bull.civ. 2010, II, n° 176.JCP G 2011, doctr. 435, n° 6, obs. C. Bloch ; Resp. civ. et assur 2011 étude 3, S. Hocquet-Berg ; D. 2011, p. 641, obs. H. Adida-Canac ; D. 2011, p. 690, chron. J. Mouly ; RTD civ. 2011, p. 137, obs. P. Jourdain

[2]S. Hocquet-Berg. Resp.civ. et assur. n° 6, Juin 2012, comm. 149. J.Mouly, D 2012 p. 1070

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