Dans son rapport de « Simplifications des associations » transmis au Premier ministre le 05 novembre 2014, le député Yves Blein propose de réformer le statut fiscal des institutions sans but lucratif (ISBL). Pour ce dernier, « la fiscalité des associations n’est plus adaptée à la réalité du monde associatif actuel ». Si la plupart des propositions contenues dans ce rapport vont incontestablement dans le bon sens, celle visant à remettre à plat le régime fiscal des associations, des fondations et fonds de dotation apparaît totalement en décalage avec la logique suivie par le gouvernement actuel.

Dans un courrier du 19 octobre 2014 transmis au Premier Ministre Manuel Valls à l’appui de son rapport de « Simplifications des associations », le Député Yves Blein a tenu à faire part de sa conviction, « celle du nécessaire renouveau de la fiscalité des associations ». Selon lui, « la fiscalité des associations n’est plus adaptée à la réalité du monde associatif actuel. Elle est le produit d’une accumulation des règles et de raffinements normatifs produits au cours des dernières décennies par la loi, le règlement et la doctrine fiscale. La dichotomie entre la fiscalité commerciale et la fiscalité applicable au secteur non lucratif crée une zone d’incertitude qui fragilise les secteurs de l’activité associative qui sont à la frontière du secteur lucratif et du secteur non lucratif, tels que l’insertion par l’économie ».

Pareil constat peut paraître surprenant à bien des égards : d’une part, parce qu’il n’existe pas une seule réalité associative qui justifierait l’engagement d’une telle réforme ; d’autre part, parce que le régime fiscal actuel des ISBL (association, fondation et fonds de dotation) est au contraire parfaitement adapté aux spécificités du mode d’intervention économique[1] de ces structures ; enfin, parce que la montée en puissance des ISBL d’utilité sociale, voire même d’intérêt général[2], commande le maintien d’un soutien particulier apporté à ces organismes, notamment en temps de crise au moment précis où les financements publics ont tendance à se raréfier[3]. Quant aux dispositions fiscales applicables aux organismes d’insertion par l’économie, celles-ci sont particulièrement limpides[4] dans la mesure où elles prévoient un régime de non imposition à l’IS avec, pour ceux qui le souhaitent, la possibilité d’opter pour le régime de TVA[5].

Pourquoi dès lors envisager une réforme fiscale des ISBL dans un tel contexte ?

Réformer ce qui fonctionne : une spécificité française ?

Régulièrement menacé, le régime fiscal actuellement applicable aux ISBL constitue un socle permettant de différencier efficacement les différents modes d’intervention économique (lucratif – non lucratif). Sur ce point, il complète utilement la loi du 31 juillet 2014 relative à l’Economie sociale et solidaire[6] laquelle s’inscrit parfaitement dans la même démarche en cherchant avant tout à séparer « le bon grain de l’ivraie » (c’est-à-dire à identifier les entreprises de l’ESS parmi les autres modes d’entrepreneuriat existants). Pour cette raison, mais aussi parce que les ISBL ont elles aussi besoin de stabilité, envisager une telle réforme en pleine période de crise n’apparaît pas très opportun, contrairement à ce que prône le rapport de mission remis par le Député Yves Blein au Premier Ministre le 05 novembre 2014[7].

Depuis le 15 septembre 1998[8], les ISBL peuvent intervenir dans la sphère économique[9] tout en conservant leur statut d’organisme non assujetti aux impôts commerciaux (IS, TVA pour l’essentiel). Pour autant, il ne s’agit pas de conférer à ces entités un statut privilégié qui aurait pour conséquence de créer des distorsions de concurrence avec le secteur marchand traditionnel. Pour continuer à bénéficier d’un tel statut, des contreparties doivent être apportées par ces organismes, notamment en termes d’utilité sociale (règle des « 4P[10] »). Par son aspect incitatif, le statut fiscal actuel a pour effet de renforcer la spécificité du mode d’intervention économique des entreprises à but non lucratif dont la gestion doit, en outre, demeurer désintéressée[11].

Ce régime fiscal est utilement complété par un certain nombre de franchises et d’exonérations[12] destinées à encourager les activités des associations, fondations ou fonds de dotation. Par ailleurs, le régime de mécénat[13] permet à ces ISBL d’accroître  leurs ressources privées et ainsi de compenser la diminution des financements publics. Dans cette même logique, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’Économie sociale et solidaire vient d’ouvrir la possibilité pour les associations créées depuis au moins trois ans et reconnues d’intérêt général de recevoir des libéralités (dons et legs), à l’instar des associations reconnues d’utilité publique. Enfin, trois instructions fiscales du 13 juin 2014 viennent sécuriser les opérations de fusion, scission et apport partiel d’actifs entre associations. Attendus depuis longtemps par le secteur des ISBL, ces textes administratifs complètent utilement un régime fiscal désormais stabilisé et accepté par tous les acteurs.

Qui peut avoir intérêt à réformer le statut fiscal des ISBL ?

Mis à part peut-être le MEDEF[14], qui continue de voir dans les ISBL des concurrents déloyaux, qui peut raisonnablement parier sur une réforme du statut fiscal pour simplifier la vie de ces organismes ?

Au contraire, au moment précis où un certain nombre d’ISBL sont en grande difficulté, envisager une réforme de cette ampleur – sans en préciser les contours – risque d’apparaître comme contreproductif voire même d’aggraver la situation de ces organismes. C’est d’ailleurs vers ce constat que s’achemine la Commission d’enquête parlementaire sur les difficultés du monde associatif[15] après avoir auditionné, le 07 octobre 2014, la Direction générale des Finances Publiques (DGFIP). Cette dernière préconise le statu quo en matière de fiscalité des ISBL et, pour une fois, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Certes, quelques améliorations à la marge peuvent être envisagées, telles que le rehaussement du seuil de la franchise commerciale[16]  ou encore l’harmonisation de la doctrine fiscale sur les notions d’intérêt général ou de cercle restreint de personnes, comme l’a récemment préconisé le créer de l’emploi, y compris en période de crise, tout en payant elles-aussi de l’impôt (IS sur toute ou partie de leurs activités[17] et/ou IS sur les revenus du patrimoine[18])

Mais pour l’heure, il est urgent de ne rien changer !

Colas AMBLARD, Directeur des publications
 
 
En savoir plus :

Colas AMBLARD : « Exonérations et franchises – Statut fiscal : comment l’optimiser ?« , ISBL CONSULTANTS 15 octobre 2014.
Cet article a fait l’objet d’une publication aux éditions Juris-associations (Dalloz) dans le n°505 du 1 octobre 2014 :Télécharger l’article

Colas AMBLARD, « Restructuration des associations : le régime fiscal est enfin précisé !« , ISBL CONSULTANTS 12 septembre 2014

Concurrence : marché unique, acteurs pluriels. Pour de nouvelles règles du jeu, rapport juillet 2002

Haut Conseil à la vie Associative dans son rapport du 13 mars 2014

INSEE – L’économie sociale en 2012

Rapport vie associative

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Documents joints:

JA_n° 505, 1 octobre 2014 – statut_fiscal
Medef, Rapport juillet 2012
L’économie dans les associations
HCVA-rapport_définitif_financement
Rapport-Vie-associative
Simplification associations – octobre 2014



Notes:

[1] C. Amblard, Associations et activités économiques : contribution à la théorie du Tiers-secteur, Thèse de droit, juin 1998
[2] C. Amblard, Intérêt général, utilité publique ou utilité sociale : quel mode de reconnaissance pour le secteur associatif ? XXIIème Colloque ADDES, Paris, 10 mars 2009
[3] V. Tchernonog, Les données présentées ici sont issues d’un ouvrage intitulé « Le paysage associatif français – mesures et évolutions», 2ème édition, Dalloz Juris éditions, 2013 :  « La masse des subventions publiques en direction des associations a baissé de 17% – soit à un rythme annuel de -3% entre 2005 et 2011 – tandis que les commandes publiques ont augmenté durant la même période de 70%, soit un rythme annuel de croissance de 10% par an ».
[4] BOI-IS-champ-10-50-10-20-20120912, § 750 et s.
[5] BOI-TVA-champ-30-10-30-20-II-A-2
[6] L. 2014-856 du 31 juill. 2014 (JO du 1er août 2014, p. 12666)
[7] Y. Blein (député PS), Simplifications pour les associations, rapport, oct. 2014
[8] Instr. du 15 sept. 1998, BOI 4 H-5-98
[9] C. Amblard, L’association, un statut pour entreprendre, Bulletin CPCA n°9, janv. 2007 : « L’association sans but lucratif signifie que les profits, quand ils sont réalisés, demeurent dans la structure. Cela ne signifie pas la recherche d’une absence de résultat ».
[10] Produit, Public, Prix, Publicité
[11] BOI-IS-champ-10-50-10-20-20120912, § 50 et s.
[12] C. Amblard, Exonérations et franchises : statut fiscal des isbl, comment l’optimiser ? Dalloz Juris associations, n°505, 1er oct. 2014, p. 36-38
[13]CGI, art. 200 et 238 bis
[14] MEDEF, Concurrence : marché unique, acteurs pluriels. Pour de nouvelles règles du jeu, rapport juillet 2002
[15] Ass. Nat., Commission d’enquête parlementaire sur les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, 7oct. 2014, compte rendu n°23
[16] Le Haut Conseil à la Vie Associative préconisait dans son rapport définitif du 13 mars 2014 consacré au financement privé des associations de modifier l’article 2016, 1 bis du CGI afin de permettre un rehaussement du seuil de la franchise commerciale pour leurs activités commerciales accessoires à « 72.000 € ou 3% du total de leurs ressources ».
[17] CGI, art. 206-1
[18] CGI, art. 206-5

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