La mise en cause d’un club pour avoir manqué à son obligation de sécurité et à celle d’information sur les assurances de personne est assez classique, comme le révèle un arrêt du 12 janvier 2006 de la cour d’appel d’Amiens. En l’occurrence, les juges ont estimé que l’entraineur d’un club d’aïkido dont un membre avait été blessé à la suite d’un heurt avec un autre adhérent avait bien pris les mesures de sécurité nécessaires pour prévenir les collisions à l’entrainement. En revanche elle a estimé que la simple remise de la notice d’information relative à l’assurance de groupe souscrite ne suffisait pas à prouver que l’association avait informé l’adhérent des limites de la garantie souscrite, et de son intérêt à souscrire une garantie complémentaire.

1-L’arrêt de la cour d’appel d’Amiens porte sur deux sujets très classiques du contentieux des accidents sportifs : celui de l’obligation de sécurité de l’organisateur d’activités sportives, d’une part, et celui de l’obligation d’information sur l’assurance individuelle accident, d’autre part.

2-L’obligation de sécurité, accessoire à tout contrat de prestation sportif, est habituellement qualifiée de moyens en raison du rôle actif du pratiquant qui ne permet pas au moniteur d’avoir une complète maitrise de ses gestes. Dès lors, le juge doit apprécier s’il a accompli les diligences normales au regard des mesures de précaution qu’imposait sa mission. Comment les évaluer ? Deux critères servent ordinairement à la détermination de l’existence d’une faute : la dangerosité de l’activité et le niveau du pratiquant. Lorsque l’activité est réputée à risque et qu’elle s’adresse à des débutants, le moniteur doit redoubler de vigilance, de sorte que l’appréciation que le juge exerce sur son comportement est plus stricte. En l’occurrence, deux pratiquants étaient entrés en collision en effectuant une roulade au sol alors qu’ils s’échauffaient avant une séance d’aïkido. L’activité n’était pas sans risque ce jour là, compte tenu des conditions dans lesquelles s’effectuait la séance. En effet, un seul moniteur encadrait 19 personnes évoluant sur le tatami. Un groupe de 4 personnes occupait environ 1/3 de l’espace et se préparait à un passage de grades, tandis que le reste du groupe, dans lequel figurait la victime, poursuivait l’échauffement. Les juges avaient donc une double vérification à effectuer. D’une part, rechercher si avant le début de la séance le moniteur avait pris les dispositions nécessaires, compte tenu du nombre de participants et de la surface du tatami, pour les mettre à l’abri de collisions ; d’autre part, s’il assurait normalement son devoir de surveillance pendant le déroulement de la séance.

Les mesures de sécurité prises avant le début de la séance

3-Le moniteur avait divisé les participants à l’échauffement en 7 binômes en ayant donné pour consigne à chaque binôme d’accomplir à tour de rôle des roulades avant et arrière. Ce modus opérandi permettait, compte tenu du nombre élevé d’élèves et de l’espace réduit disponible, que 4 personnes au maximum d’une même rangée effectuent leurs roulades en même temps sur les quelques 9 mètres de largeur du tatami laissés à leur disposition. Or les juges observent que cette consigne n’a pas été respectée par la victime, puisque la collision est survenue au moment ou les deux membres du binôme effectuaient une roulade en même temps : l’un en avant, l’autre en arrière. La Cour en déduit l’absence de lien de causalité entre l’accident et « l’étroitesse prétendue de l’espace laissé à chaque binôme ». En l’espèce, c’est la faute de la victime qui n’a pas suivi les instructions du moniteur qui est le fait générateur du dommage. L’accident ne se serait pas produit si les deux membres du binôme avaient respecté la consigne et s’étaient exécutés à tour de rôle. La constatation d’absence de causalité est constitutive à elle seule d’exonération totale de responsabilité. Elle suffit à écarter les prétentions de la victime et dispense les juges d’aller rechercher si la mesure prise par le moniteur était ou non suffisante pour éviter les collisions entre les binômes, question qui se serait inévitablement posée si la victime avait heurté le membre du binôme voisin. Aussi, les circonstances de l’accident ne permettent pas d’affirmer aussi catégoriquement que le font les juges, que le moniteur avait « adapté l’exercice de manière à prévenir les risques de collision entre eux ». Par ailleurs, il restait à s’assurer qu’il accomplissait normalement son devoir de surveillance lorsque l’accident est survenu.

La surveillance effectuée pendant la séance

4-Les juges observent que le moniteur était posté entre les deux groupes, ce qui rendait possible, selon eux la surveillance de leurs entraînements respectifs. Commençons d’abord par relever que les tribunaux admettent la pratique du travail par atelier[1]. La cour d’appel d’Amiens va dans le même sens en précisant que «  l’obligation de surveillance pesant sur l’enseignant, fût-elle renforcée, n’interdit ni la conduite d’un cours collectif ni la constitution de sous-groupes effectuant des exercices différents ». En l’espèce il eut été difficile de reprocher à l’enseignant cette forme de travail en atelier qui s’imposait pour d’évidentes raisons de sécurité. Bien évidemment,  il n’avait pas matériellement les moyens de se tenir aux côtés de chacun des participants et de surveiller en permanence chacun des 19 élèves présents, comme l’observe la cour d’appel. Ce faisant, les consignes préalables à l’échauffement devaient compenser l’absence de surveillance rapprochée. C’est en tout cas le sens qu’il faut donner aux remarques de la cour d’appel pour qui les participants étaient capables de comprendre l’importance des consignes et de les appliquer car il s’agissait d’adultes et non d’enfants.

Le défaut d’information sur l’assurance individuelle-accident

5-L’obligation d’information instituée par l’article 38 de la loi du 16 juillet 1984 et transposée à l’article L 321-4 du code du sport ne se limite pas, pour les clubs, à inciter leurs adhérents à prendre une assurance individuelle-accident ou leur faire connaître qu’ils en ont souscrit une pour leur compte. Elle se double d’une obligation de renseignement sur les limites de la garantie[2]. Cette exigence s’est imposée lorsque des sportifs ont découvert à l’occasion d’accidents graves dont ils avaient été victimes que les minimas souscrits à leur intention étaient insuffisants pour les indemniser de leur préjudice. Ils ont alors formé avec succès des actions en réparation contre les clubs et leurs fédérations pour manquement à leur obligation d’information. Ainsi, la Cour de cassation a reproché à plusieurs fédérations de ne pas avoir signalé à leurs membres qu’ils avaient à prendre une garantie plus étendue que les minimas souscrits[3].

6- La cour d’appel d’Amiens parle à cet égard d’une obligation renforcée. Ce terme est habituellement utilisé en cas de renversement de la charge de la preuve. C’est le cas, ici, puisque l’arrêt épouse la jurisprudence qui dispense le souscripteur d’établir le défaut d’information et impose au club de prouver qu’il s’est acquitté de son obligation d’information. Le niveau d’exigence de cette preuve est élevé. L’emploi du terme d’obligation renforcée prend ici tout son sens. Ainsi, le fait qu’un club soit mentionné sur l’annuaire des clubs membres d’une ligue où sont précisées les modalités de la licence d’assurance souscrite par ces clubs a été jugée insuffisant[4]. Il en est de même de la chronique publiée dans le numéro d’une publication fédérale attirant l’attention des joueurs sur l’importance de souscrire des garanties complémentaires facultatives[5]. Il a encore été jugé qu’une licence ne comportant que les mentions consacrées aux assurances n’était pas de nature à établir que le membre du club sportif ait été informé de la nécessité de souscrire une assurance personnelle[6]. La Cour de cassation est même allée jusqu’à affirmer que la mention selon laquelle «  le titulaire déclare avoir pris connaissance … des conditions du contrat » ne satisfaisait pas aux exigences de la loi[7]. Il n’est donc pas surprenant que la cour d’Amiens ait estimé que la simple remise à la victime d’une notice d’information relative à l’assurance de groupe souscrite par le club, ne suffisait pas à établir qu’elle avait pris connaissance des limites de la garantie souscrite et de son intérêt à prendre une garantie supérieure. En pratique, le club aurait exécuté normalement son devoir d’information en faisant porter sur la demande de licence la mention par laquelle le souscripteur reconnait « avoir pris connaissance des garanties d’assurances liées à la licence ainsi que des possibilités de garanties complémentaires offertes par l’assureur » comme l’ont admis certains tribunaux[8]. Toutefois, la cour de Versailles a estimé que cette mention était insuffisante pour un sportif de haut niveau. Il eut fallut, selon son arrêt, que la fédération  « apporte un soin particulier à la délivrance d’une information personnalisée, qui dans un tel contexte ne pouvait se limiter à la seule signature, sans réflexion suffisante, de la demande de souscription d’une licence, par l’intermédiaire du club sportif du jeune champion » (lire notre commentaire).

7-La constatation d’un manquement du club et de sa fédération à l’obligation d’information ne résout pas tout. Il faut encore déterminer que la victime aurait bien souscrit des garanties complémentaires si le club avait normalement exécuté son devoir d’information. Or une telle preuve est, en pratique, impossible à produire. Aussi, les tribunaux en sont-ils réduits à des présomptions. Ainsi, la Cour d’appel de Chambéry a estimé, que les risques élevés de préjudice corporel d’un coureur cycliste préparant des championnats du monde sur piste – à savoir une vitesse importante en présence d’autres compétiteurs et sans autre protection du corps que le casque – rendait indispensable la souscription d’une assurance complémentaire[9]. Pour sa part, la cour d’Amiens relève qu’un sportif débutant comme la victime n’aurait pas manqué de souscrire une telle garantie au regard des risques de chutes et fractures susceptibles de survenir dans la pratique d’un art martial.

8-Une fois que le principe de la souscription d’une garantie complémentaire est acquis, il faut en déterminer son montant. Certaines décisions ont condamné les clubs à indemniser les victimes de l’entier dommage[10]. La jurisprudence dominante considère cependant qu’il ne saurait y avoir lieu à réparation intégrale, mais seulement à indemnisation d’une perte de chance d’obtenir une indemnité plus élevée. La charge de la preuve des chances perdues pèse sur le demandeur en réparation. C’est à lui de produire le contrat d’assurance au titre duquel il aurait pu obtenir une indemnisation supplémentaire par rapport à celle qui lui a été allouée. En effet, la Cour de cassation impose aux juges de fond de rechercher la garantie maximale susceptible d’être souscrite, ainsi que son coût[11]. La cour d’appel de Bourges avait estimé qu’il était peu probable que la victime ait contracté la garantie la plus élevée dans la mesure où elle avait choisi de découvrir ce sport en toute sécurité par le biais d’une initiation à la longe et en cinq séances uniquement[12]. La cour d’appel de Metz, en revanche, a refusé toute indemnisation à un sportif qui n’avait pas été en mesure de prouver la garantie supplémentaire à laquelle il aurait pu prétendre[13]. La cour d’Amiens a été plus indulgente. Bien que la victime n’ait pu donner d’indication sur l’éventail des polices de dommages corporels offertes sur le marché de l’assurance à la date de son adhésion, et des garanties complémentaires maximales dont elle aurait pu bénéficier, elle a évalué la perte de chance à 40% du préjudice corporel subi. Tout ceci donne un peu l’impression d’une loterie !

 
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
 
En savoir plus : 
CA Amiens 12 janvier 2016

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Amiens 12 janvier 2016

Notes:

[1] Aix-en-Provence, 5 févr. 2003, Ech Chichi c/ Préfet des Bouches-du-Rhône et 21 nov. 2000 M. Burgio c/ Préfet des Bouches-du-Rhône.

[2] En ce sens, F. Alaphilippe et J-P. Karaquillo, D. 1983, somm. p. 257.

[3] Fédération française des sports de glace : : Civ. 1, 16 juill. 1986, n°84-16903. Bull. civ. I, n° 209, p. 200. RJE sport, 1987, n° 2, p. 101, obs. G. Durry. RGDA, 1986, p. 453, note J. Bigot. Fédération française handball ; Civ. 1, Civ. 1, 4 févr. 1997, Fédération française de handball c / SA Lloyd Continental, Bull. civ. II, n° 89. D. 1998, somm. p. 50, note H. Groutel, Resp. civ. et assur. Délégation nationale des sports équestres. Cass. civ. 1ère 13 févr. 1996, n° 94-11726. Bull. civ. I, n° 84, D. 1997, somm. 181, obs. J. Mouly.

[4] CA Douai, 3e ch., 29 août 2002, Association Olympique Raismois c/ Sail, Juris-Data no 2002-199.878.

[5] Civ. 1, 14 janv. 2003, n°00-16605, Assoc. Limoux rugby à XIII c/ Axa assur. RGDA n ° 2003 avr./juin 2003, p. 321, note A. Favre-Rochex.

[6] Cass. civ. 1ère, 12 nov. 1998, n°96-22625 ,Axa et Association Vélo club du bocage bressuirais c/ Thibaudeau et autres, 2e esp., RGDA no 1999-2, avril-juin 1999, p. 426, note Kullmann.

[7] Cass. civ. 1ère 13 févr. 1996, n° 94-11726 . Bull. civ.1, I n° 84 p. 5, déjà cité

[8] En ce sens, Rennes 24 juin 1995 R.G n° 14/00513.

[9] CA Chambéry, 11 mars 2008 Sulpice.

[10] Cass. 1ère civ. 16 juill. 1986, n° 84-16903. Bull civ. n° 209 p. 200. RJE Sport, 1987, no 2, p. 101, obs. G. Durry.

[11] Cass. Civ, 2, 21 févr. 2002, n° 99-20711. Bull civ. II n° 16 p. 15.

[12] CA Bourges, 29 avr. 2010, no 09/00687. Les juges ont estimé qu’une garantie complémentaire adaptée aurait permis à cette époque à la victime d'obtenir une prise en charge de son préjudice global à hauteur de 60 %.

[13] CA Metz, 5 janv. 2016, n° 14/01198, 15/00598.

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