Voici une décision qui devrait retenir l’attention des organisateurs de rallyes automobile. Faisant écho à une jurisprudence de la Cour de cassation, l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 20 novembre 2016 rappelle que le strict respect des prescriptions sportives n’exonère pas une association de ses devoirs en matière de sécurité. L’obligation de sécurité au sens ou l’entendent les juges n’est pas le décalque des règlements fédéraux dont elle dépasse le cadre pour confiner à l’obligation de résultat dans les sports à risque.

1-Un pilote participant à une épreuve spéciale chronométrée du Rallye Régional du Médoc, quitte la route juste après un virage, effectue un tête à queue et percute un arbre, avant de prendre feu. Le copilote gravement brûlé assigne en responsabilité l’organisateur de l’épreuve et son assureur. Ceux-ci sont condamnés par les premiers juges au motif d’un manquement à l’obligation de sécurité. La condamnation est confirmée en appel.

2-Cet arrêt s’inscrit dans le courant jurisprudentiel qui met à la charge des organisateurs de compétitions sportives, et spécialement des épreuves de course automobile, une obligation de sécurité alourdie. Celle-ci comprend, d’abord, les prescriptions édictées par l’arrêté d’autorisation de la course qui reprend habituellement les réglementations fédérales. Rappelons, pour mémoire, que dans chaque discipline sportive une fédération sportive détient un pouvoir réglementaire qui lui a été délégué par le ministre des sports (Art.131-14 C.sport). Ces fédérations dites « délégataires » ont notamment en charge l’édiction des règlements de sécurité relatifs à l’organisation de toute manifestation ouverte à leurs licenciés (Art. L131-16 C.sport). Aussi, est-ce en toute logique que la cour d’appel de Bordeaux fait mention de l’obligation pour l’organisateur de « respecter les règles de sécurité posées par les autorités compétentes et les fédérations sportives concernées ».

3- Dans la présente espèce, il était reproché à l’organisateur d’avoir enfreint deux prescriptions édictées par la Fédération française des sports automobile. La première impose la présence à chaque poste d’un commissaire expérimenté alors que celui qui se trouvait à proximité du lieu de l’accident n’était que stagiaire. La seconde prévoit que chaque commissaire doit être muni d’un extincteur. Or le commissaire stagiaire n’en était pas équipé puisqu’il avait dû précipitamment aller en récupérer un auprès d’un autre commissaire. Cette perte de temps a pu être à l’origine des brulures subies par le copilote dont l’extraction du véhicule a été retardée. Il y avait donc bien une relation de causalité entre le manquement au règlement de la fédération française des sports automobile et le dommage.

4-La Cour de Bordeaux aurait pu s’en tenir à ces constatations pour engager la responsabilité de l’organisateur. Mais elle ne s’arrête pas là. Elle observe que l’extincteur s’est révélé inadapté à combattre le véhicule en feu. Pourtant le règlement fédéral ne comporte aucune disposition sur les qualités attendues de l’appareil. Il n’y a donc pas eu de manquement au règlement. Cependant les juges considèrent que le « seul respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives est insuffisant pour exonérer une association de ses devoirs en matière de sécurité ». C’est la reproduction d’un attendu de principe de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation qui affirme dans une espèce où un joueur de hockey sur glace s’était blessé en heurtant la balustrade de la patinoire « que, au-delà d’un strict respect des prescriptions sportives, il existe à la charge (des associations sportives) une obligation de prudence et de diligence »[1]. Le périmètre de l’obligation de sécurité est donc plus large que celui fixé par les instances sportives. Il revient, alors au juge d’apprécier, dans chaque espèce, si des mesures de sécurité plus contraignantes que celles imposées par l’instance fédérale aurait permis d’éviter le dommage. C’est une façon de réaffirmer l’indépendance des tribunaux par rapport au pouvoir sportif ce que la cour d’appel de Bordeaux ne se prive pas de faire.

5-On aura bien compris que toute mesure de précaution quelle qu’elle soit, y compris si elle n’est pas édictée par un règlement fédéral, entre dans le champ de l’obligation de sécurité s’il est établi que sa mise en œuvre aurait permis d’éviter le dommage. On devine les conséquences d’un tel raisonnement sur l’intensité de l’obligation de sécurité. Reprocher à un organisateur un défaut d’organisation des secours pour ne pas avoir équipé ses commissaires d’extincteurs appropriés à chaque type de véhicule revient pratiquement à mettre une obligation de résultat à sa charge. Il ne lui reste guère plus que la preuve d’une cause étrangère, comme la faute de la victime pour l’exonérer de sa responsabilité.

6-Précisément, l’organisateur prétendait que la cause de l’accident provenait d’une erreur de pilotage. Ce moyen n’avait guère de chance d’aboutir. En effet, une jurisprudence solidement établie admet que le pilote est autorisé à s’affranchir des règles du code de la route. Solution logique. Son comportement ne peut guère être apprécié par simple référence au comportement d’un bon père de famille[2]. La finalité des courses de vitesse lui imposant de parcourir la distance en un minimum de temps, il ne peut pas conserver en permanence la maîtrise de son véhicule[3]. Ainsi, une cour d’appel a admis qu’il pouvait dégager du fossé son véhicule « par une manœuvre risquée ou hardie », sans cesser de rouler[4]. La Cour de cassation a, pour sa part, rappelé dans un attendu de principe, qu’on ne pouvait faire grief à un pilote « d’avoir forcé sa vitesse de manière à l’emporter sur les autres concurrents »[5] et que le fait de perdre le contrôle de son véhicule dans un virage ne suffisait pas à rapporter la preuve d’une faute caractérisée par la violation des règles de la conduite sportive automobile[6]. Toutefois, cette jurisprudence ne s’applique qu’aux rapports entre pilotes. Ceux-ci ne bénéficient pas d’une telle immunité lorsque les victimes sont des spectateurs. Ainsi, la Cour de cassation considère, que si le pilote peut « forcer sa vitesse », il lui « incombe néanmoins de tenir compte de ses possibilités et de celles de son véhicule » [7]. De même, dans son arrêt du 8 mars 2005[8], elle admet que si « la finalité d’une épreuve de vitesse est pour chaque pilote d’obtenir le meilleur temps et donc de rechercher de façon permanente la vitesse maximale et les meilleures trajectoires », il n’est cependant pas autorisé, « sous prétexte d’être en compétition », de « faire abstraction de ses obligations générales de prudence ».

7-En admettant que la vitesse du pilote ait été excessive et que la cour d’appel ait estimé qu’il y avait une faute de sa part, il est peu probable qu’elle ait été retenue en l’absence de lien de causalité avec le dommage. En effet, la sortie de route n’est pas à l’origine des blessures de la victime qui ne souffrait pas de fractures mais de brûlures imputables à l’incendie du véhicule.

8-Voilà un arrêt qui n’est pas fait pour rassurer les organisateurs. L’obligation de sécurité à leur charge confine à l’obligation de résultat et, à tout le moins, son contenu est laissé à la discrétion des tribunaux.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
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CA BORDEAUX 10 OCT 2016 SPORT AUTOMOBILE

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA BORDEAUX 10 OCT 2016



Notes:

 [1]16 mai 2006, n° 03-12537 Bull. civ I n° 249 p. 218

[2] « Plus aucune course ne pourrait être organisée si on s’avisait de réprimer pour défaut de maîtrise (ou conduite dangereuse) quand des coureurs viennent négocier des virages à gauche à l’intérieur : c’est là justement le meilleur moyen de réduire les distances parcourues et donc de gagner du temps pour prendre l’avantage sur les autres participants ». G. Daverat. « Mort accidentelle de spectateurs pendant une course d’automobile et responsabilité pénale des pilotes et des organisateurs », Gaz. Pal. 14 déc. 1989, p. 732.

[3] Douai, 3 avr. 1997, no 96-03167, Bacquet et a. et 16 sept. 2005, Juris-Data n° 287535.

[4] Poitiers, 24 mai 1974, Gaz. Pal. 1974, 2, p.784, obs. G. Durry.

[5] Civ1. 2 oct. 1980, Bull. civ. II n° 199, p. 135, note G. Durry. RTD civ. 1981, p. 401. D. 1982, Inf. rap. p.93   obs. F. Alaphilippe et J-P. Karaquillo.

[6] Civ. 2, 4 nov. 2004, Bull. civ. II, n°485, p.413. D. 2004, Inf. rap. 3117.

[7] Civ1. 2 oct. 1980, Bull. civ. 1980, n° 199, p. 135. D. 1982, Inf. rap. p. 93, note F. Alaphilippe et J-P. Karaquillo. RTD civ. 1981, p. 401, obs. G. Durry.

[8] Bull. crim. 2005, n° 78, p. 275. RSC 2006, n° 1, chron. 1, p. 72-75, obs. J-P. Delmas Saint-Hilaire.

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