L’arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen (14 mars 2018) est une nouvelle application de l’obligation de moyens qui subordonne le succès de la demande d’indemnisation à la preuve d’une faute de l’organisateur d’activités sportives dont la charge incombe à la victime et qu’elle ne sera pas en mesure de produire s’il est établi que la cause de l’accident est imputable à une imprudence de sa part.

1-Assister à une séance d’initiation au ski nautique n’est pas sans risque ! C’est la mésaventure survenue à un père de famille victime d’une chute alors qu’il s’apprêtait à sortir du bateau remorqueur qui tractait sa fille. Après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert pour évaluer l’étendue de son dommage, il assigne la ligue de ski nautique et de wakeboard organisatrice de l’activité devant le tribunal de grande instance d’Evreux qui rejette sa demande. La cour d’appel de Rouen confirme le jugement au motif que l’appelant ne rapporte pas la preuve d’une faute de la ligue.

2-Dans cette espèce, le débat portait pour l’essentiel sur deux points de droit. Le premier concernait la nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité en jeu. Les juges ayant tranché dans le sens d’une responsabilité contractuelle, la discussion s’est ensuite engagée sur  la question de savoir si l’obligation de sécurité de la ligue était de résultat ou de moyens.

 

I-Le débat sur la nature de la responsabilité

3-La ligue soutenait que les prétentions de l’appelant relevaient de l’application de la responsabilité délictuelle au motif que n’étant ni adhérent ni même licencié auprès de la fédération de ski nautique, il n’avait « qu’un simple rôle de spectateur d’un événementsportif gratuit ». En somme, elle n’aurait pris aucun engagement vis-à-vis de l’intéressé.

4-L’absence de formalisme du contrat qui naît d’un seul accord des volontés est la règle dans le cas de services gratuits et d’actes de pure courtoisie, comme c’était le cas en l’espèce où la ligue offrait gracieusement aux proches des skieurs de prendre place dans le bateau remorqueur pour assister au plus près à l’initiation. Aussi, certains ont conclu que ses actes de complaisance ou de désintéressement  n’engageaient pas juridiquement leurs auteurs car ils « paraissent inconciliables avec la volonté de se lier fermement qu’implique l’engagement contractuel »[1].

5-Sur cette question, la jurisprudence est assez incertaine. Ainsi dans le champ sportif, la Cour de cassation a considéré qu’aucun contrat n’avait été conclu entre une cavalière et la personne qui lui prodiguait des conseils bénévoles pour la monte de l’animal (Civ. 2, 21 mai 1997, n° 95-19118. Bull. civ. II n° 156 p. 90). En revanche, elle a admis l’existence d’une convention d’assistance dans le cas du sauvetage bénévole et même estimé que les juges du fond n’avaient pas à relever le consentement express de l’assisté dès lors que l’offre d’assistance se faisait dans l’intérêt exclusif du destinataire (Civ. 1, 1erdécembre 1969. Bull. civ.1, n° 375)[2].

6-Qu’en est-il dans le cas de spectateurs d’un événement sportif gratuit ? L’existence d’un contrat ne fait pas de doute pour les spectacles payants. A l’évidence les deux parties ont la volonté de se lier de sorte qu’en cas de dommage le litige sera tranché sur le terrain de la responsabilité contractuelle (Civ. 2, 9 janvier 1963, Bull. civ. 2, n° 32). La solution est, en revanche, plus incertaine dans le cas de  spectacles donnés à titre gratuit. En principe, il n’y a pas de contrat lorsque le spectacle est offert gracieusement à la vue de tous comme c’est le cas du passage d’une course cycliste ou d’un rallye automobile. A l’inverse, la Cour de cassation considère qu’un contrat s’est formé entre l’organisateur et les spectateurs lorsque ceux-ci sont conviés à participer activement au spectacle comme cela a été jugé pour  une course de taureaux (Civ. 1, 23 novembre 1966, bull civ. 1, 521) et pour un match de football entre un club local et une équipe de joueurs recrutés par haut-parleur (Civ. 1, 13 juillet 1982, n° 81-13493. Bull. civ. 1, n° 264). Elle a admis aussi que certains spectateurs, comme les journalistes qui, en qualité  d’invités, ne payent pas leur place puissent obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Civ. 1, 21 janvier 1981. Bull. civ. 1, n° 26).

7-Dans l’espèce commentée, le père de famille était à première vue dans la position de celui qui assiste passivement à une démonstration puisqu’il ne pilotait pas le bateau remorqueur. Pour autant, il n’avait pas suivi les évolutions de sa fille depuis la berge en simple spectateur. Il  a bien eu de la part de la ligue une offre de prendre place à côté du pilote qu’il a acceptée en montant dans le bateau. La première s’est comportée à l’égal de l’organisateur d’un spectacle sportif qui met  des places assises gratuites à disposition de ses invités et le second a eu l’attitude du spectateur qui s’installe à la place qui lui a été affectée. Les deux protagonistes ont donc bien eu l’intention de se lier. Mais s’il y a eu entre eux un accord de volonté et donc naissance d’un contrat, jusqu’à quel point la ligue a-t-elle entendue s’engager ? Il ne fait pas de doute qu’elle était assujettie à une obligation de sécurité comme tout organisateur d’activités sportives. Mais cette obligation de sécurité était-elle de résultat ou de moyens?

 

II-Le débat sur l’obligation de sécurité

8-La victime soutenait que la ligue était tenue d’une obligation de résultat, ce qui revient à dire qu’elle s’était engagée à ce qu’il regagne la berge sain et sauf. L’arrêt affirme, au contraire, que l’obligation était de moyens dès lors que le père de famille n’avait pas eu un rôle purement passif puisqu’il avait pris place à bord. Les juges ajoutent que « participant à l’activité nautique, il a accepté de prendre un risque ». L’acceptation des risques est un des fondements de l’obligation de moyens qui se réfère à la volonté probable des parties. Il vient préciser le critère de l’aléa selon lequel l’obligation est de moyen chaque fois qu’il n’est pas possible de garantir un résultat. En l’occurrence, il était raisonnable de penser que l’appelant avait accepté l’aléa inhérent au fait d’une chute toujours possible pour l’embarquement et le débarquement. Par ailleurs les circonstances de l’accident se prêtaient bien au critère du rôle actif ou passif de la victime qui se conjugue habituellement avec celui de l’aléa. Selon ce critère, l’obligation est de moyen chaque fois que la victime dispose d’une liberté d’action dans l’exécution de la prestation ce qui est la règle en matière sportive. Il s’applique notamment aux contrats à exécution successive où s’enchainent des phases durant lesquelles le créancier de l’obligation de sécurité est tantôt libre de son action tantôt sans prise sur l’exécution de la prestation comme c’est le cas du skieur empruntant un télésiège qui a successivement un rôle actif à l’embarquement, puis passif pendant le temps de transport et à nouveau actif au débarquement. Il s’ensuit un découpage de l’obligation de sécurité qui est de moyen dans les phases d’embarquement et de débarquement et de résultat durant la remontée (Civ. 1, 10 mars 1998, n° 96-12141. Bull. civ. I n° 110 p.73)[3]. La responsabilité de l’exploitant est une responsabilité pour faute prouvée à l’embarquement et au débarquement et une responsabilité sans faute pendant le temps de transport. En d’autre terme,  la charge de la preuve d’une faute de l’exploitant incombe à la victime si l’accident survient lorsqu’elle prend place dans le télésiège  et lorsqu’elle en descend. En revanche, l’exploitant est de plein droit responsable du seul fait du dommage si l’accident survient en cours de remontée.

9-Si on transpose cette jurisprudence au présent cas d’espèce (dès lors qu’il est admis qu’il ne s’agissait pas d’un contrat transport stricto sensu mais plutôt d’une prestation d’activités sportive ce qui se discute)[4], il faut en  déduire que la ligue n’était tenue que d’une obligation de moyens lors de la survenance de l’accident puisque l’appelant qui s’apprêtait à sortir du bateau se trouvait dans une phase active. Il lui revenait donc de rapporter la preuve d’une manœuvre imprudente ou d’un défaut de consignes du pilote. En l’espèce, les juges ont estimé, à l’examen des pièces produites par les parties que l’accident était imputable à l’imprudence de l’appelant qui se serait levé avant l’arrêt complet du bateau, déstabilisant ainsi l’embarcation et provoquant sa chute. Il eut été intéressant, toutefois, de savoir si le pilote avait invité son passager à attendre l’accostage du bateau sur la berge avant de se lever. Une telle consigne se serait, en effet, imposée si ce dernier n’avait aucune expérience de la navigation et était monté pour la première fois à bord d’une embarcation. Dans ce cas, les juges auraient pu décider d’un partage de responsabilité.

10-Si le bateau avait chaviré lors de l’opération de tractage, l’obligation de sécurité à la charge de la ligue aurait été de résultat puisque la victime assise à côté du pilote était totalement passive à ce moment là. Encore faut-il nuancer. Tout dépend des circonstances de l’espèce et des caractéristiques de l’embarcation. Ainsi, la Cour de cassation a estimé que les passagers d’un bateau qui les acheminaient sur un lieu de plongée étaient tenus d’une participation active pendant cette phase du déplacement dès lors qu’ils étaient installés sur les boudins d’une embarcation semi-rigide et qu’ils avaient été préalablement instruits par leur moniteur sur le comportement et les positions qu’ils devaient adopter pendant le trajet (Civ. 1, 1eroctobre 2014, n° 13-24699, lire notre commentaire).

11-Par ailleurs, en admettant que les juges aient conclu à une obligation de résultat, il n’est pas acquis que la ligue aurait été tenue d’indemniser la victime. En effet, le débiteur d’une obligation de résultat a toujours la possibilité de s’exonérer en établissant une faute du créancier[5].

12-Le sort de la victime aurait-il été différent si les juges avaient statué sur le terrain de la responsabilité délictuelle ? Il n’y a guère de raison de  penser qu’une telle action aurait abouti que ce soit sur le fondement de la responsabilité du fait personnel ou sur celui de la responsabilité du fait des choses. Dans le premier cas, où s’applique une responsabilité pour faute prouvée, on se serait trouvé dans la même situation que précédemment où la victime n’est pas parvenue à établir la faute du pilote. Dans le second cas, la victime libérée de la charge de la preuve d’une fausse manœuvre du pilote aurait, en revanche, été contrainte d’établir l’intervention matérielle du bateau dans la survenance de sa chute. Et, en supposant qu’elle eut bénéficié de la présomption du rôle actif du bateau, la ligue n’aurait pas manqué de faire valoir son imprudence pour s’exonérer de sa responsabilité.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

 

En savoir plus : 

Cour d’Appel de Rouen, 14 mars 2018

 

 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

 

 



Notes:

[1]P. Jourdain. Obs. s. cass. Civ. 1, 27 janv. 1993. RTDC 1993, p. 584.
[2]Dans le même sens CA Paris 25 janv. 1995 à propos d’un accident de plongée subaquatique.
[3]Contrairement à l’obligation du transporteur qui est de résultat à partir du moment où le voyageur commence à monter dans le wagon jusqu’au moment où il achève d’en descendre (Civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-19136. Bull. civ. I n° 288 p. 194).
[4]En effet, lorsque l’utilisateur d’un télésiège est un piéton et ne l’emprunte qu’à la seule fin d’être transporté, les tribunaux considèrent que l’exploitant est tenu par une obligation de résultat pour tout accident survenu au débarquement (TGI Albertville, 6 févr. 1996, Juris-Data n° 040745. CA Chambéry, 21 mars 1999, Juris-Data n° 045213).
[5]L’exonération est totale si la maladresse ou l’imprudence présente les caractères de la force majeure et partielle dans les autres cas.

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