La courte absence d’un maitre nageur attelé à une autre tâche n’est pas constitutive d’un défaut d’organisation de la surveillance si les  circonstances n’imposaient pas de surveillance ininterrompue. Surtout elle n’a pas de rapport direct avec la noyade mortelle d’un amateur d’apnée victime de sa propre imprudence comme le laisse entendre l’arrêt rendu le 8 novembre 2018 par la cour administrative d’appel de Versailles.

 

1-L’usager d’un centre « Aquaforme » se noie dans l’espace de balnéothérapie alors qu’il effectuait une séance d’apnée. La surveillance de cette zone avait été confiée à un personnel qui en plus de la surveillance du bassin se consacrait à des activités de maintenance des installations. L’instruction a révélé qu’au moment de la noyade, cet agent le dos tourné au bassin, procédait à de menues tâches liées aux cabines de sauna et hammam avant de se diriger vers la salle de pause et que durant ce bref moment il a quitté le bassin des yeux.

2-La veuve de la victime assigne le SIVOM et la société concessionnaire de l’exploitation de l’établissement aux fins de l’indemniser de son préjudice moral et économique. Par jugement en date du 22 décembre 2016 le Tribunal administratif de Versailles rejette sa demande. La cour administrative d’appel de Versailles confirme la position des premiers juges.

3-L’appelante soutient que l’organisation du service de surveillance était défectueuse car le bassin de balnéothérapie a été laissé momentanément sans surveillance, que la mise en œuvre des premiers secours a été retardée puisqu’il se serait écoulé une période de dix minutes entre l’immersion de son époux et sa sortie de l’eau. Par ailleurs, elle prétend que l’asthme et le diabète dont il souffrait sont sans lien avec sa noyade.

4-Il est acquis que l’unique surveillant de bains en service n’a pas vu la noyade puisque l’alerte a été donnée par les usagers qui ont sorti le corps inanimé de la victime du bassin de balnéothérapie. Pour autant, les juges considèrent que la mise en œuvre des premiers secours n’a pas été retardée, comme le prétend l’appelante. Ils relèvent, à la lumière des constatations faites par l’instruction, « que le maître‑nageur sauveteur a immédiatement pratiqué les gestes de secours appropriés et mis en œuvre l’appareil de défibrillation jusqu’à l’arrivée du Samu dont il n’est pas prouvé qu’il n’aurait pas été appelé rapidement avec la diligence nécessaire ». En revanche, ils ne se prononcent pas sur le temps qui s’est écoulé entre le début de la noyade et la découverte du noyé que l’appelante a évalué à 10 minutes. Or il a déjà été jugé qu’un laps de temps important entre une noyade et la découverte du noyé est révélateur d’un défaut de surveillance. Ainsi dans une espèce voisine, la cour administrative d’appel de Marseille observe que « la circonstance que la perte de connaissance d’C… E… n’ait été découverte qu’après plusieurs minutes et par une nageuse du public révèle une surveillance défectueuse[1] ».  Aussi, il ne suffit pas d’observer que le maitre nageur, occupé à d’autres tâches, a « quitté des yeux le bassin durant un bref moment » pour en déduire, comme l’ont fait les juges de Versailles, l’absence de faute de surveillance alors qu’il était de la plus grande importance de savoir quelle a été la durée réelle de cette absence. Cette question est d’autant plus cruciale que l’article 322-7 du code du sport met à la charge des exploitants une obligation de surveillance constante des piscines d’accès payant pendant les heures d’ouverture au public. Pris à la lettre, ce texte signifie qu’à aucun moment le service de surveillance ne peut être interrompu surtout si le maitre nageur est seul en surveillance, comme c’était le cas ici. Il va de soi qu’il ne peut être distrait par d’autres missions. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs affirmé de longue date que les tâches de surveillance ne peuvent entrer en concurrence avec d’autres fonctions[2]. Aussi, le motif allégué par l’appelante d’une défaillance du service de surveillance  n’était-il pas sans fondement.

5-Mais c’était sans compter sur les circonstances de l’espèce en toute matière décisives. En effet, à chaque fois que les juges ont estimé qu’une absence momentanée révélait une surveillance défectueuse le risque d’accident était élevé et impliquait une surveillance renforcée. Dans un cas, il n’y avait pas de séparation matérielle entre le grand bain et le petit bain[3]. Dans l’autre, la configuration et la surface du complexe aquatique intérieur étaient trop grandes pour un seul et unique surveillant[4]. Ici, au contraire, l’exigence de surveillance exclusive et vigilante a perdu de sa force dès lors que les dimensions de l’espace de balnéothérapie étaient relativement restreintes, que le bassin était de faible profondeur,  que la fréquentation était peu élevée à l’heure de l’accident, qu’il n’y avait pas d’enfant parmi les usagers, tous éléments de contexte de nature à alléger l’exigence de  surveillance constante. Aussi les juges en déduisent-ils que la présence d’un seul surveillant sollicité par d’autres fonctions qui l’ont conduit à quitter des yeux le bassin durant un bref moment n’est pas constitutive d’une faute dans l’organisation de la surveillance de l’établissement ni un manquement à l’article L. 322-7 du code du sport. A l’évidence, ils n’entendent pas appliquer l’obligation de surveillance constante au pied de la lettre !

6-Pour autant, ces constatations ne devraient pas suffire à elles seules à dégager l’exploitant de sa responsabilité. En effet, on pourra toujours affirmer que si le maître nageur avait été à son poste de surveillance au moment de l’accident, la noyade aurait pu être évitée ou tout au moins ses conséquences eussent été moins graves.

7-Il fallait donc d’autres circonstances de nature à établir que la cause du décès ne pouvait  résulter d’un défaut de surveillance. A cet égard, les juges relèvent que « la victime est décédée rapidement sans manifester aucun signe de détresse ». Il n’est donc pas à exclure que même si le maitre nageur avait été en position de surveillance, son attention n’aurait pas nécessairement été attirée par la noyade de sorte que le lien de causalité nécessaire au succès de toute action en responsabilité aurait fait défaut.

8-Ensuite, la victime a enfreint le règlement intérieur en pratiquant une séance d’apnée sans l’autorisation du maitre nageur que celui-ci ne lui aurait sans doute pas accordée en sachant qu’il devait momentanément détourner son attention du bassin. De surcroît, elle s’est délibérément mise en danger puisqu’elle était « asthmatique, diabétique insulino‑dépendant et en affection de longue durée ». Il serait donc tentant d’en déduire que son imprudence a rompu  le lien  de causalité entre l’absence du surveillant et son décès, si bien qu’elle en serait la cause unique. Une telle conclusion eut été possible si les causes précises de sa mort avaient été connues, ce qui n’est pas le cas, faute d’avoir été recherchées par l’autorité judiciaire.

9 Pourtant, allant un peu vite en besogne, les juges considèrent que la noyade  « résulte clairement de la pratique d’apnées sans autorisation », alors que la victime « était par ailleurs asthmatique, diabétique insulino‑dépendant et en affection de longue durée ». Il eut été plus judicieux, à notre sens, d’appliquer la théorie de la causalité adéquate qui a les faveurs des juridictions administratives. A la différence de l’équivalence des conditions qui prend en compte toutes les conditions nécessaires de la réalisation d’un dommage, elle ne retient que celles ayant une vocation particulière à provoquer ce dommage. De toute évidence, l’absence momentanée du maître nageur n’a été qu’une cause médiate et non déterminante du décès alors que sa cause prépondérante n’est autre que la grave imprudence de la victime.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus : 

CAA VERSAILLES 8 NOV 2018

 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CAA VERSAILLES 8 NOV 2018



Notes:

[1]CAA Marseille, 25 juin 2018, n°17MA02147.

[2]CE 14 juin 1963, Hébert. Les deux maîtres nageurs donnaient des leçons particulières. CE  5 oct. 1973, n° 84273. Ville de Rennes.Le maître nageur en charge de la surveillance de la piscine était occupé à ouvrir une cabine d’habillage, tâche au nombre de celles qui lui étaient imparties.

[3]CE 5 oct. 1973,op.cit.

[4]CAA Marseille, 25 juin 2018, op.cit.

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