L’épouse d’un sauveteur bénévole qui s’est noyé en se portant au secours d’une personne en péril a droit à réparation. C’est une responsabilité de plein droit pour les communes, dont elles doivent s’acquitter du seul fait de la survenance du dommage, comme le montre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 7 juin 2012. Il fournit l’occasion de faire le point sur les conditions de mise en œuvre de ce régime de responsabilité.

1-Un baigneur, témoin de la détresse d’autres baigneurs menacés d’être emportés par le courant vers le large, est lui-même happé par le courant et se noie, alors qu’il se portait à leur secours. Le jugement condamnant la commune est annulé en appel pour irrégularité formelle. La cour administrative d’appel évoque l’affaire au fond et confirme la position des premiers juges qui ont retenu la responsabilité de la commune sur le fondement de sa responsabilité sans faute à l’égard d’un collaborateur occasionnel du service public.

2-Cette décision est sans surprise. Elle applique une jurisprudence fermement établie depuis l’arrêt Commune de Saint-Priest-la-Plaine[1], en vertu de laquelle la responsabilité des collectivités locales est une responsabilité sans faute pour les dommages survenus à leurs collaborateurs bénévoles.

3-La responsabilité de plein droit de la commune dans cette circonstance répond à une exigence d’équité car le collaborateur occasionnel subit un préjudice anormal excédant les inconvénients habituels de la vie en société. Il serait  choquant alors qu’il a pris « les risques inhérents à une telle intervention », comme le souligne l’arrêt, de lui faire supporter, ainsi qu’à ses proches, les conséquences accidentelles d’un acte de sauvetage gratuit.

4-Ce régime de responsabilité est toutefois soumis à certaines conditions. Il faut établir que l’intervention entrait bien dans le cadre d’une mission de service public et qu’elle était justifiée. En l’espèce ces deux conditions sont parfaitement remplies.

5-Le sauvetage des personnes en péril relève des missions de police que le maire tient de l’article 2212-1 du code des collectivités territoriales. Par ailleurs,  l’article L. 2213-23 dont l’arrêt fait allusion et qui concerne la police spéciale des baignades, précise explicitement que le maire « pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ». Aussi quand un de ses administrés accomplit une opération de sauvetage en lieu et place des services municipaux, il est normal que la commune réponde des conséquences dommageables de cet acte sans que le sauveteur accidenté ou ses ayants droits aient à administrer la preuve d’un défaut de fonctionnement du service public. C’est particulièrement le cas, s’il n’existe pas de service public organisé et qu’on ne peut pas reprocher à la collectivité locale de ne pas l’avoir mis en place dès lors que rien n’imposait l’organisation d’un tel service. Ainsi dans l’arrêt Tesson, l’accident, ayant coûté la vie au sauveteur qui s’était jeté à l’eau pour porter secours à un enfant emporté par la mer, avait eu lieu au mois de décembre dans un endroit connu pour être dangereux. A cette époque de l’année, la commune n’avait, bien évidemment, aucune obligation de mettre en place des moyens de sauvetage contre le risque de noyade. De même, dans la présente espèce, rien ne l’obligeait à organiser un service de surveillance dès lors que la baignade n’était pas aménagée.

6-L’usager qui se substitue à la collectivité locale pour assurer un service public,  doit justifier son intervention. Normalement il a dû faire l’objet d’une réquisition. En effet, le particulier est présumé agir dans un intérêt privé et doit donc démontrer qu’il est intervenu pour le compte du service public. Cependant, la jurisprudence est peu formaliste sur les modalités de la sollicitation par l’autorité publique. L’urgente nécessité peut servir de justification à une intervention spontanée. Le Conseil d’Etat avait admis dans l’arrêt Commune de Batz-sur-Mer que le sauveteur pouvait agir sans attendre la permission du maire pour porter assistance à un noyé[2]. Le présent arrêt ne fait que reprendre cette jurisprudence en relevant qu’il avait une « urgente nécessité d’intervenir »[3].

7-Enfin, la collaboration doit être justifiée. « S’il faut louer le courage, il ne faut pas encourager la témérité ». Le collaborateur bénévole doit s’abstenir si l’intervention est au-dessus de ses forces. Dans son arrêt Commune de Batz-sur-mer, le Conseil d’Etat relève que le sieur Tesson « n’a pas commis de faute dans sa tentative de sauvetage ». Dans une espèce voisine le tribunal administratif de Nantes note « qu’il n’est pas allégué que la configuration de la plage, notamment sa déclivité, et l’état de la mer étaient de nature à réfréner la spontanéité » du sauveteur « eu égard à la faible distance le séparant de la fillette »[4].

8-La cour administrative d’appel de Bordeaux est particulièrement explicite sur ce point. Elle relève que la victime n’avait aucune contre-indication physique à intervenir : elle était sportive, savait nager et n’avait aucun problème de santé. Toutefois la commune prétendait encore que son intervention était irréfléchie, mettant ainsi le décès du malheureux au compte de son imprudence. Le moyen est repoussé par un argument sans réplique. Le sauveteur se trouvait, comme l’évoque l’arrêt, devant le spectacle de  détresse d’un père à la vue de ses enfants emportés par le courant. « Confronté à la nécessité de prendre une décision dans une extrême urgence » avait-il le temps de prendre la mesure du danger pour lui-même alors que, comme l’ont souligné les juges,  l’interdiction de baignade au lieu de l’accident était à peine visible ? N’est-il pas indécent de lui reprocher d’avoir agi sans réfléchir alors qu’il ne faisait qu’accomplir l’obligation sanctionnée pénalement de porter secours à personne en péril ?

9-Les circonstances de l’espèce révèlent, par ailleurs, que l’épouse de la victime aurait pu également obtenir la mise en jeu de la responsabilité de la commune sur le fondement de la responsabilité pour faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police. En effet, ou bien la baignade était aménagée et le maire avait alors l’obligation de mettre en place un service de surveillance, ce qu’il n’a pas fait. Ou bien, en l’absence d’aménagement, il s’agissait d’une baignade « au risque et péril de l’usager ». Or pour ce type de baignade non surveillée, mais faisant l’objet d’une fréquentation importante, il est de jurisprudence constante que la commune a l’obligation de signaler les dangers.  Si la baignade était interdite à hauteur de la passe, en revanche,  le panneau d’interdiction n’était guère visible car  partiellement dissimulé par les arbres. De surcroît, il ne mentionnait pas l’existence d’un courant dangereux. Il y avait donc là matière à mettre en évidence une faute dans l’exercice des missions de police administrative du maire et une raison supplémentaire, pour l’épouse de la victime d’obtenir la condamnation de la commune.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs -Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 pour commander l’ouvrage

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 7 juin 2012



Notes:

[1] CE 22 nov. 1946

[2] CE 25 sept. 1970, Rec. Lebon p 541. Voir également l’arrêt du 1er juill. 1977, Cne de Coggia, Lebon 301, AJDA 1978. 286, concl. Morisot

[3] Il a même été admis, dans le cas d’une plage dotée d’un poste de secours, que le sauvetage bénévole puisse être effectué en l’absence de réquisition car un service de secours ne saurait garantir à coup sûr la survie des baigneurs. Au demeurant, dans cette espèce, l’éloignement du poste de secours rendait d’autant plus opportune la décision du sauveteur bénévole. TA Nantes 23 mai 1997, Juris-Data n° 932274.

[4]  Dans cette espèce, les juges observent  même qu’il « n’est pas établi qu’il se trouvait dans une phase de digestion qui aurait dû le dissuader de se mettre à l’eau. » TA Nantes 23 mai 1997.

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