Le jugement rendu le 31 mai 2017 par le tribunal de grande instance de Mont de Marsan est l’occasion d’un rappel des conditions de mise en jeu de la responsabilité civile d’un groupement sportif en qualité d’organisateur d’une épreuve sportive. Sa responsabilité contractuelle n’est engagée qu’à la condition d’établir que l’inexécution de l’obligation de sécurité dont il s’est rendu coupable est la cause du dommage. La responsabilité délictuelle du groupement peut être également recherchée s’il est prouvé que l’auteur du préjudice en est membre et qu’il a commis une faute caractérisée.

1-Les chutes accidentelles lors des sprints disputés par les coureurs cyclistes ont souvent des conséquences graves en raison de la grande vitesse propre à cette séquence de l’épreuve comme l’attestent à la fois l’accident dont avait été victime un de nos champions, aujourd’hui retiré de la compétition, à l’arrivée à Armentières lors du Tour de France 1994 et plus récemment celui survenu au terme de la 4ème étape de cette épreuve où un des favoris s’est soudainement déporté vers les barrières barrant la route à un autre candidat à la victoire d’étape.

2-C’est à un scénario voisin dont a été victime un coureur disputant un sprint pour l’octroi d’une prime dans une épreuve cycliste départementale. Sa roue avant avait touché la roue arrière du coureur le précédant et provoqué sa chute lui causant un traumatisme facial avec une perte complète de la vue de l’œil gauche. La victime aurait pu mettre en cause ce coureur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses qui est le régime de responsabilité le plus adapté aux collisions entre cyclistes même si certaines décisions réservent des surprises. (voir notre commentaire du 29 septembre 2014). En effet, deux des conditions de l’ancien article 1384 du code civil étaient ici réunies. D’une part, le coureur qui précédait la victime était assurément gardien de son engin[1]. D’autre part, son vélo avait bien été l’instrument du dommage dès lors que les deux bicyclettes étaient entrées en contact. La présomption du rôle actif de sa bicyclette pouvait donc jouer à plein depuis que la Cour de cassation a admis qu’un cycliste « formait un ensemble avec la bicyclette sur laquelle il se tenait et que la collision survenue entre lui-même et l’autre cycliste impliquait que sa propre machine avait été l’instrument du dommage »[2]. S’il fut un temps où les compétiteurs pouvaient opposer l’acceptation des risques à leurs coreligionnaires et les priver ainsi du bénéfice de la responsabilité du fait des choses, celui-ci est révolu depuis que la Cour de cassation a fait sauter ce verrou dans son arrêt de principe du 4 novembre 2010. Mais, dans la présente espèce, la voie de la responsabilité du fait des choses était d’emblée fermée dès lors que le coureur impliqué n’avait pas été identifié. Aussi la victime n’avait guère d’autre ressource que d’assigner en responsabilité le club organisateur de l’épreuve. Elle le fit en agissant concurremment sur le fondement de la responsabilité contractuelle et subsidiairement sur le fondement de la responsabilité délictuelle au mépris, faut-il le signaler, du principe du non-cumul des responsabilités. Mais le tribunal qui avait là un motif de rejet de la demande de réparation n’en a pas tiré les conséquences.

I-Responsabilité contractuelle

3-Il est admis que l’organisateur d’une épreuve sportive et les compétiteurs passent un contrat en vertu duquel l’organisateur autorise le coureur à participer à l’épreuve et s’engage à prendre toutes mesures nécessaires à sa sécurité. De son côté le coureur s’oblige à respecter le règlement de la course et à s’acquitter des frais d’inscription.

4-Les compétiteurs participant activement à l’exécution du contrat, l’organisateur n’est tenu qu’à une obligation de sécurité de moyens. En l’espèce, le tribunal avait mis également à la charge de l’organisateur une obligation d’information ainsi qu’une obligation de prudence et de diligence. On ne voit guère ce qui distingue ces deux obligations de celle de sécurité. Alerter avant le départ les coureurs sur tout danger susceptible de se présenter sur le parcours ou les tenir informé par des signalisations de l’approche d’un danger font partie des mesures de protection propres à l’obligation de sécurité. Aussi l’obligation de prudence et de diligence n’est guère que l’autre face de l’obligation de sécurité.

5-Lorsque cette obligation est de moyens le régime de responsabilité applicable est celui de la responsabilité pour faute. A charge pour son créancier – en l’occurrence la victime – de démontrer que le débiteur – ici l’organisateur – n’a pas tenu par l’engagement qu’il a pris.

6-En l’espèce, le débat autour de la faute portait sur l’application du règlement. Le tribunal avait relevé que l’épreuve était soumise au respect des dispositions du règlement des épreuves cyclistes sur la voie publique édicté par la Fédération français de cyclisme. Celle-ci prévoit que le nombre de participants à une course cycliste ne peut excéder 200 coureurs. Or le nombre de ceux inscrits s’élevait à 317. L’organisateur objectait qu’il n’avait pas enfreint le règlement fédéral car l’épreuve comprenait deux épreuves successives chacune regroupant deux catégories de coureurs avec des départs différés pour chaque catégorie

7-Le tribunal considère, au contraire, que la limitation du nombre de coureurs à 200 s’appliquait à la compétition dans son ensemble aussi bien au regard de la lettre que de l’esprit du texte. Il observe, d’une part, que le règlement fédéral emploi le terme générique de « compétition » sans opérer de distinction entre les différentes épreuves. D’autre part, il constate que la limitation numéraire correspond à un objectif de sécurité. Pour les juges, l’appliquer à chaque épreuve, comme le soutenait l’organisateur, « reviendrait à annihiler l’objectif sécuritaire, aucune organisation cohérente ne pouvant alors être mise en place eu égard à la possibilité pour les coureurs de s’inscrire jusqu’au dernier moment, avant le début de chaque épreuve ».

8-Ce motif n’est pas convaincant. En effet, rien n’interdit à l’organisateur d’une course cycliste départementale de faire courir dans la même épreuve toutes les catégories de coureurs. Dans ce cas la limitation numéraire prend tout son sens. L’organisateur doit alors refuser d’inscrire tout nouveau coureur une fois que le nombre de 200 participants a été atteint pour l’ensemble des catégories. Il en va différemment s’il décide de faire courir chaque catégorie de coureurs séparément en échelonnant les départs comme c’était le cas ici. On peut alors considérer que la limitation à 200 coureurs inscrits s’applique à chaque départ d’un groupe de coureurs. Non seulement l’objectif sécuritaire n’est pas perdu de vue par cette organisation, mais elle permet également de prendre en compte les différences de niveau entre coureurs. Aussi retenir une faute contre l’organisateur pour s’être affranchi d’un règlement ayant pour objet de limiter le nombre de concurrents en course alors précisément que cet objectif avait été atteint pas des départs échelonnés est discutable. En effet, au moment où l’accident s’est produit, l’épreuve précédente était terminée, comme le relève d’ailleurs le jugement, et les coureurs n’étaient pas en surnombre, puisqu’il n’y en avait que 126 en course.

9-Pourtant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la solution retenue par le tribunal doit être approuvée. En effet, il a, à juste titre, relevé que l’inobservation du règlement fédéral n’était pas le fait générateur du dommage et n’y avait pas concouru. S’il n’est pas établi de lien de causalité entre la faute et le dommage l’action en responsabilité ne peut pas aboutir même si la faute est gravissime. En l’occurrence, il aurait fallu établir que la chute avait été provoquée par la formation d’un peloton compact composé d’un grand nombre de coureurs de sorte que la perte d’équilibre d’un des participants aurait inévitablement provoqué celle des autres coureurs. Tel n’a pas été le cas ici. L’accident n’était pas imputable à un surnombre de participants car le sprint s’est disputé entre quelques concurrents et un seul a chuté.

Responsabilité délictuelle

10-Le deuxième fondement retenu par la victime concernait, cette fois-ci, le terrain délictuel.

La mise en jeu de la responsabilité des groupements sportifs amateurs, du fait des dommages causés par leurs membres, a fait fortune dans les milieux du football et du rugby. C’est d’ailleurs dans cette dernière discipline qu’elle a été pour la première fois appliquée dans une espèce où un joueur de rugby amateur avait été gravement blessé par un adversaire non identifié. La Cour de cassation s’est engouffrée dans la brèche qui avait été ouverte par l’arrêt Blieck contre le refus de prendre en compte d’autres répondants que ceux visés par l’ancien article 1384, alinéa 1 du Code civil. Elle a, dans une déclaration de principe, affirmé que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion »[3].

11-Ce régime de responsabilité est subordonné à deux conditions. D’abord, que l’auteur du dommage ait commis une faute caractérisée par une violation de la règle du jeu. Ensuite, qu’il soit membre du groupement mis en cause.

12-La Haute Juridiction n’avait fait aucune allusion à la faute de l’auteur du dommage dans ses arrêts du 22 mai 1995. Aussi, la doctrine s’est demandée si l’existence d’une faute de sa part était une condition préalable à celle du groupement. Question majeure : allait-on aligner la responsabilité des groupements sportifs amateurs sur celle des parents qui répondent des dommages causés par leur enfant mineur, y compris en l’absence de faute de celui-ci[4] ? Cette solution n’a pas été retenue. Depuis un arrêt du 20 novembre 2003, la deuxième chambre civile, approuvée par l’Assemblée plénière[5], a imposé aux juges du fond de rechercher l’existence d’une faute caractérisée du joueur ayant blessé son adversaire[6]. Cette « résurgence de la faute dans la responsabilité du fait d’autrui »[7] a mis un coup d’arrêt « au spectre du fait causal »[8] que redoutaient les dirigeants des clubs sportifs. La faute dont il est question ici n’est donc pas une faute quelconque mais bien une faute qualifiée qui expose les autres participants à un risque anormal.

13- Dans les épreuves cyclistes, les chutes provoquées par des écarts entre concurrents font normalement partie des risques normaux acceptés par les participants[9]. Lorsqu’un peloton sprinte, les coureurs au coude à coude ont tendance à zigzaguer. Entouré par ses voisins chaque coureur se trouve enfermé et ne peut guère que suivre les mouvements erratiques du peloton. Ainsi, le coureur qui renverse un commissaire s’étant imprudemment avancé lors du sprint final n’engage pas sa responsabilité[10].

14-Il faut toutefois réserver le cas d’un écart anormal exécuté délibérément pour barrer le passage au poursuivant. Ce type de comportement mis en évidence lors d’une arrivée d’étape dans le dernier tour de France porte atteinte à l’éthique du sport. Il est exactement à la jonction entre la loi du sport (qui réprime un sprint irrégulier)[11] et la faute civile. Il appartient à la victime d’en établir l’existence. Une sanction disciplinaire pourra toujours faire office de preuve, même si les tribunaux ne s’estiment pas liés par les décisions des fédérations sportives[12]. Mais dans la présente espèce « l’opacité entourant les circonstances causales de l’accident » ne permettait pas d’établir s’il y avait eu une faute du coureur incriminé et a fortiori si cette faute était caractérisée.

15-De surcroît, il manquait la seconde condition à la mise en jeu de la responsabilité de l’organisateur. En effet, un groupement ne répond que des fautes imputables à ses membres. Or le coureur qui avait provoqué la chute n’ayant pas été identifié, il n’était pas possible de savoir s’il était ou non membre du club organisateur.

16-Cet échec sur toute la ligne est lourd de conséquence pour la victime dont le dommage corporel est important. C’est dans de telles situations critiques que l’on mesure toute l’importance de l’assurance individuelle accident. Pour l’heure, les groupements sportifs ont pour unique obligation d’informer leurs adhérents de l’intérêt à souscrire de telles garanties (art L. 321-4 C. sport). Un progrès important a été réalisé en faveur des sportifs de haut niveau avec la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 modifiée par celle du 1er mars 2017 dont les dispositions figurent à l’article L321-4-1 du code du sport.  Elle met à la charge des fédérations sportives délégataires l’obligation de souscrire des contrats d’assurance de personne pour leur compte. Il serait bienvenu que cette obligation légale puisse être étendue à tous les organisateurs d’épreuves sportives quel que soit le niveau des compétiteurs.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.

En savoir plus : 
TGI MONT DE MARSAN 31 MAI 2017

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

TGI MONT DE MARSAN 31 MAI 2017



Notes:

[1] En effet, il s’agissait d’une course amateur. En revanche, si l’épreuve s’était disputée entre professionnels, les conditions relatives à la garde de la bicyclette n’auraient pas été réunies car le préposé n’est jamais gardien du matériel mis à sa disposition par son employeur.

[2] Crim. 21 juin 1990, Bull. crim. 1990, n° 257, p. 662 pourvoi n° 89-82632.

[3] Civ. 2, 22 mai 1995 pourvoi n° 21871, Bull civ. II, II n° 155 p. 88. Gaz. Pal., 1996-01-09, n° 9, p. 26, note F. Chabas. LPA, 1996-02-02, n° 15, p. 16, note S. Hocquet-Berg. Semaine Juridique, 1995-12-13, n° 50, p. 507, note J. Mouly.

[4] Cass. Plén. 13 déc. 2002 pourvoi n° 00-13787. JCP G 2003,II, 10010, note A. Hervio-Lelong ; D. 2003, jurispr. p. 231, note P. Jourdain ; Gaz. Pal. 7-8 mars 2003, p. 52, note Fr. Chabas ; LPA 18 avr. 2003, p. 16, note J-B. Laydu ; H. Groutel, Resp. civ. et assur. 2003, chron. n° 4.

[5] 29 juin 2007 n° 06-18.141 Bull. 2007, Assemblée plénière, n° 7.

[6] Civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10222. Bull. civ. II, 2004, n° 232 p. 197 – Civ. 2, 21 oct.  2004, n° 03-17910 03-18942, Bull. civ. II 2004, n° 477, p. 404, Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092, Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208 – 13 janv. 2005,03-18617. Bull. civ. II, 2005, n° 10 p. 10 – 5 oct. 2006,05-18494. Bull. civ. II 2006, n° 257, p. 238.

[7] L’expression est de Ch. Rade, Resp. civ. et assur. juill./août 2004, p. 6.

[8] F. Leduc, « Le spectre du fait causal », Resp. civ. et assur. 2001, chron. n° 20, p. 4.

[9] Grenoble, 8 déc. 1986, Juris-Data n° 044279. Poitiers, 25 févr. 1987, Juris-Data n° 041392. Paris, 14 mars 1984, Juris-Data n° 021403. Lyon, 28 févr. 1991, Juris-Data n° 045320. Rennes, 7 mai 1991, Juris-Data n° 047529.

[10] Crim. 5 janv. 1957, Bull. crim. n° 17.

[11] Art R 36 Titre XII chapitre II. Barème des pénalités du règlement disciplinaire de la FFC.

[12] Dans un arrêt rendu à propos d’un match de polo, la Cour de cassation approuve les juges du fond ayant retenu une faute alors que les arbitres avaient au contraire jugé qu’il n’y en avait pas. Civ. 2, 10 juin 2004, pourvoi n° 02-18649. RTD civ. 2005-01, n° 1, p. 137-139, obs. P. Jourdain.

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