La constitution d’un bloc de compétence judiciaire pour le contentieux en responsabilité de l’exploitation du domaine skiable fait l’affaire des victimes, au détriment des communes. En effet, même si l’obligation de sécurité mise à leur charge est de moyens, elle n’en est pas moins alourdie dès qu’il y a un danger anormal dont le juge judiciaire a une conception plus large que le juge administratif, lequel avait par ailleurs pour habitude de retenir facilement l’imprudence des skieurs. Les arrêts des cours d’appel de Douai (12 mai 2016) et de Pau (6 avril 2016) confirment cette jurisprudence protectrice des intérêts des victimes.

1-Les collisions entre skieurs et les heurts avec des équipements se trouvant en sortie de piste sont ce que les amateurs de skis ont le plus à craindre. C’est la mésaventure survenue à deux skieurs ayant chuté après avoir glissé sur une plaque de verglas. L’un et l’autre sont passés au travers d’un filet de protection défectueux. Le premier s’est gravement blessé en tombant sur la tête (CA Douai). Le second a terminé sa glissade en heurtant un canon à neige (CA Pau).

2- Les victimes ont assigné les deux communes devant le juge judiciaire pour manquement à l’obligation de sécurité. Ces actions soulevaient deux questions. D’abord, celle de la compétence du juge judiciaire pour traiter ce contentieux alors que les accidents étaient survenus sur des pistes exploitées en régie directe par des communes. Ensuite, celle de l’étendue de l’obligation de sécurité mise à leur charge.

Le juge judiciaire compétent

3-Dans la première espèce, la commune avait soulevé devant la cour d’appel de Douai l’exception d’incompétence faisant observer que la demande d’indemnité aurait dû être soumise au juge administratif dès lors que la piste se trouvait dans un parc de loisirs exploité en régie directe par la commune et non concédée à une société commerciale. Sans se prononcer sur le fond, celle-ci répliqua qu’une telle exception aurait dû être soulevée avant toute défense au fond, comme c’est la règle. Elle ajouta qu’elle ne pouvait être relevée d’office par le juge, sauf violation d’une règle de compétence d’attribution et à condition que celle-ci fut d’ordre public. Or, cette condition n’était pas remplie en l’espèce puisque la commune appelante n’avait pas demandé « de prendre position sur la légalité de textes administratifs ou sur des statuts et responsabilités de fonctionnaires, lesquels sont indiscutablement réservés aux juridictions administratives ». La cour d’appel avait donc conclu au rejet de l’exception « en l’absence de caractère flagrant d’incompétence ». Ce motif de rejet mérite une explication. En effet, il laisse entendre que la compétence du juge judiciaire aurait pu être discutée si l’exception d’incompétence avait été soulevée en temps utile. Faut-il rappeler, pour comprendre le sens de cette exception, que le contentieux en réparation des accidents de skis survenus sur des domaines skiables exploités en régie directe par des communes étaient de la compétence du juge administratif jusqu’à ce que le tribunal des conflits pour l’exploitation des remontées mécaniques,[1] puis le Conseil d’État pour l’entretien du domaine skiable,[2]  l’attribuent au juge judiciaire ? Solution logique à partir du moment où on qualifie cette activité de service public industriel et commercial dont le juge naturel n’est autre que le juge judiciaire puisque les liens des usagers avec un tel service sont des liens de droit privé. Sans doute s’agissait-il ici non d’un domaine skiable classique, mais d’une piste artificielle implantée dans une base de loisirs. Cependant, cette différence de structure ne doit pas avoir d’incidence sur la répartition des compétences car elle n’affecte pas son mode de gestion qui demeure celui d’un service public industriel et commercial relevant de la compétence du juge judiciaire.

La responsabilité de la commune peut toujours être recherchée devant le juge administratif, lorsque l’action est fondée sur une faute de la commune dans l’exercice de ses pouvoirs de police. Mais une telle action ne peut guère être envisagée que pour les accidents survenus en dehors des pistes puisque leur entretien se trouve désormais compris dans l’aire de compétence du juge judiciaire. Une saisine du juge administratif aurait pu être envisagée sur le fondement de l’inaction du maire au titre de son pouvoir de police ou sur le fondement d’un dommage causé par un ouvrage public, si le rapport d’expertise avait conclu à un traumatisme crânien causé par le heurt avec le muret. Mais aucune des trois hypothèses évoquées par les experts sur les causes du dommage n’ayant été retenue (heurt sur la piste ; collision avec une attache du filet de protection ou sur un muret après le passage forcé entre la jupe caoutchoutée et le sol) la compétence éventuelle du juge administratif devenait hasardeuse.

4-Quoiqu’il en soit la question méritait d’être posée d’autant que les décisions rendues par les juridictions administratives avant que le juge judiciaire ne s’en saisisse étaient nettement moins favorables aux usagers des pistes.

 

Une jurisprudence plus favorable aux usagers de la piste

5-La compétence juridictionnelle n’est pas sans conséquence sur le fond puisque ce sont les règles de la responsabilité civile qui s’appliquent ici aux lieux et place de celles de la responsabilité de l’administration. La question préalable de la nature de la responsabilité civile -contractuelle ou délictuelle- ne s’était pas posée ici car il allait de soi que les deux litiges relevaient de la responsabilité contractuelle puisque l’usager des pistes passe un contrat avec l’exploitant. Ce contrat comporte, comme pour toute prestation sportive, une obligation de sécurité à sa charge. Celle-ci est nécessairement de moyen dès lors que l’exploitant n’a pas la maitrise du comportement du skieur. Il « n’est pas tenu de préserver les skieurs de tout risque de chute, risque intrinsèque lié à la pratique de ce sport en milieu naturel soumis aux facteurs climatiques »[3].

6-On fera remarquer que la présence de plaques de verglas qui ont provoqué la chute des deux victimes est un risque ordinaire sur une piste de ski, faisant partie de ceux normalement acceptés par les skieurs. C’était la position habituelle du juge administratif. Ainsi, la cour administrative d’appel de Lyon a relevé que la présence d’une plaque de verglas était un « obstacle fréquent sur les pistes de ski »[4] et celle de Marseille que les skieurs doivent s’attendre à rencontrer de tels défauts sur une piste située à environ 2.000 mètres d’altitude, même proposée comme un parcours facile[5]. Mais cette jurisprudence n’est plus d’actualité comme il a été dit depuis que le Conseil d’État a redéfini le partage des compétences entre juge administratif et juge judiciaire en attribuant à ce dernier le contentieux des dommages causés par un défaut de sécurisation du domaine skiable. Or celui-ci est plus bienveillant que le juge administratif pour les usagers de la piste (notre commentaire). Il met à la charge de l’exploitant une obligation de sécurité alourdie chaque fois qu’il existe un danger spécifique – habituellement un obstacle en bordure de piste – nécessitant des mesures de signalisation ou de protection. Cela a été jugé pour une balise et un piquet métallique non matelassés, situés en bordure d’une piste bleue[6] ; pour une cabane de chronométrage insuffisamment protégée compte-tenu du faible enneigement[7] ; pour un élastique indétectable barrant l’accès à un téléski[8] ; pour l’absence de filet de protection alors qu’un torrent coulait en contrebas de la piste[9], que des rochers affleuraient du fait d’un faible enneigement[10] ou encore du risque de chutes de pierres en cas de température positive provoquant la déstabilisation du manteau neigeux[11]. Dans un arrêt très médiatisé, la cour d’appel de Montpellier avait retenu la responsabilité d’une commune pour défaut de signalisation d’une plaque de verglas située dans une portion de la piste bordée d’un côté par un tremplin et de l’autre par des arbres et des rochers[12] (notre commentaire).

7-Les conditions d’un risque spécifique paraissaient réunies dans les deux espèces. La cour d’appel de Douai observe que la victime était débutante, qu’elle évoluait sur une piste synthétique et que la présence de neige était exceptionnelle dans cette région. Le risque de chute s’en trouvait donc accru. Le filet de protection qui avait été installé à l’endroit de la chute aurait normalement dû éviter une sortie de piste. Mais cet équipement n’a pas pu remplir sa fonction puisque, faute d’être suffisamment tendu, il a permis le passage du skieur sous la jupe de protection du filet. D’où cette constatation un peu curieuse de l’arrêt qui observe que « sans constituer un défaut de sécurité » cet équipement « constituait un manquement à l’obligation de vigilance et de prudence de l’exploitant ». Cette distinction est douteuse. En effet, si l’équipement était défectueux, c’est-à-dire ne pouvait pas stopper toute glissade, c’est qu’il n’offrait pas la sécurité que l’usager était en droit d’en attendre. L’obligation de prudence de l’exploitant doit s’appliquer non seulement à l’existence d’un équipement de sécurité mais aussi à son bon fonctionnement. Qu’il fasse défaut ou qu’il soit défectueux revient au même : dans les deux cas, l’exploitant a manqué à sa promesse d’assurer la sécurité de l’usager. On relèvera, par ailleurs, que l’inexécution de l’obligation de sécurité se double ici du manquement à l’obligation d’information et de conseil. Manquement à l’obligation d’information, d’abord, par «  le défaut d’avertissement suffisant du public (…) des risques spécifiques liés aux conditions météorologiques particulières du jour des faits ». Manquement à l’obligation de conseil, ensuite « du fait de l’absence d’avertissements suffisants de la grande opportunité du port d’un casque eu égard aux conditions météorologiques et à l’état de la piste ». On le voit, les circonstances de temps et de configuration des lieux sont déterminantes dans le renforcement des obligations de l’exploitant. Celles-ci n’ont pas de format fixe. Elles sont plus ou moins alourdies selon le degré de gravité du danger. L’arrêt de la cour d’appel de Pau en offre une autre illustration. En l’occurrence, les juges signalent l’existence d’une plaque de verglas particulièrement dangereuse puisque plusieurs accidents sont survenus le même jour et que le filet de protection n’est pas parvenu à stopper la glissade de la victime qui s’était terminée par un heurt avec un canon à neige. L’arrêt relève que la plaque de verglas n’était ni signalée en amont, ni sécurisée. Il en déduit que l’exploitant a « manqué à son obligation de sécurité, en s’abstenant de mettre en place un dispositif destiné à signaler la plaque de verglas, et protéger efficacement les usagers de la piste du grave danger qu’elle constituait ». Une précision, ici, s’impose. Toute plaque de verglas n’a pas nécessairement à être signalée, ce qui reviendrait à mettre l’équivalent d’une obligation de résultat à la charge de l’exploitant. L’obligation de signalisation ne s’impose que si la configuration des lieux l’a rendue dangereuse. Ainsi dans l’arrêt rendu par la cour de Montpellier la plaque de verglas était située dans une portion de la piste rétrécie bordée d’un côté par un tremplin et de l’autre par des arbres et des rochers[13]. Dans la présente espèce, le risque provenait de la présence d’un canon à neige à proximité et de la défectuosité du filet censé protéger les skieurs contre le risque de sortie de piste.

8-Cette série de décisions favorables aux victimes, puis qu’aucune faute n’a été retenue contre elles, a de quoi inquiéter les communes plus habituées à la bienveillance du juge administratif. En effet, celui-ci considérait non seulement que les difficultés rencontrées sur les pistes-comme les plaques de verglas – font habituellement partie des risques normaux car ils n’excèdent pas ceux contre lesquels les usagers peuvent se prémunir mais il retenait facilement la faute de la victime allégeant du même coup la responsabilité de la commune. Il est vrai que ce souci de ne pas alourdir la charge fiscale du contribuable, n’est pas dans la culture du juge judiciaire !

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
 
En savoir plus :
CA Douai 12 Mai 2016
CA Pau 6 avril 2016
 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Douai 12 Mai 2016 CA Pau 6 avril 2016

Notes:

[1]T. confl. 29 oct. 1990, Cne Megève : D 1990, IR. p. 289. Plus récemment, T. confl., 15 déc. 2003, n° 3380. CAA, Nancy, 14 déc. 2006 n° 05NC01012. [2] CE,19 févr. 2009, n° 293020. Note G. Mollion, Dr Adm. n° 5, mai 2009, comm. 76. [3] CA Grenoble, 5 mai 2009, Pirreda c/ SEM des Ecrins. [4] CAA Lyon, 7 juin 2005 Commune des Allues. [5] CAA Marseille, 6 févr. 2006, n° 02MA01204. [6] CA Pau 25 nov. 2008, n° 07/00548 et CA Chambéry, 3 févr. 2009, n° 08/00042. [7] CA Chambéry, 14 oct. 2008, n° 07/1279. [8] CA Chambéry, 24 juin 2008, n° 06/02806. [9] Civ. 1, 17 févr. 2011, n° 0971880. [10] CA Grenoble, 14 sept 2010, n° 08/011776. [11] Aix-en-Provence, 24 nov. 2010, n° 2010/44. [12] Montpellier du 21 déc. 2011, n°11/02934. [13] Montpellier du 21 déc. 2011, n°11/02934.

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