L’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 4 novembre 2010 (voir notre précédant commentaire ci-joint) n’a pas fini de faire couler de l’encre ! En revenant sur le principe d’exclusion de la responsabilité civile du fait des choses dans le domaine du sport, la Haute juridiction menaçait de remettre en question la spécificité du sport, au point que la doctrine a pu parler de « révolution culturelle ». Une proposition de loi déposée en janvier dernier vient d’être adoptée selon la procédure d’urgence pour contenir les effets de cette décision redoutable pour le mouvement sportif. A l’examen, le nouvel article L. 321-3-1, inséré dans le code du sport par l’article 1 de la loi du 12 mars 2012, paraît avoir été écrit pour les besoins de la fédération des sports automobiles ce qui en limite singulièrement la portée.

1-Malgré les coups de boutoir de la doctrine qui souhaitait sa disparition [1], la théorie de l’acceptation des risques et son corollaire, la spécificité des règles de la responsabilité civile entre sportifs, avaient tenu bon. Cette spécificité se manifestait de deux manières. D’une part, la responsabilité du fait des choses était exclue entre compétiteurs. D’autre part, le seuil de la faute était relevé. La responsabilité d’un sportif ne pouvait être engagée que pour une faute qualifiée. L’arrêt du 4 novembre 2010 [2] sonne le glas de la prohibition de l’article 1384 alinéa 1 en décidant dans un attendu de principe que « la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ».

2-Sans doute, y avait-il des signes avant coureurs de ce revirement. Au fil du temps, le périmètre de refoulement de l’article 1384 alinéa 1 s’était rétréci. Les arrêts du 28 mars et du 4 juillet 2002 avaient admis, coup sur coup, que ce texte puisse s’appliquer à un jeu improvisé par des mineurs [3] et à une activité pédagogique organisée sous l’autorité et la surveillance d’un moniteur [4]. La compétition demeurait le dernier bastion de l’acceptation des risques. L’arrêt du 4 novembre 2010 lui porte un coup sévère. Les compétiteurs peuvent, désormais, invoquer entre eux la responsabilité du fait des choses.

3-Cette décision fait courir une grave menace à la spécificité du sport. Comme l’a écrit le professeur Mouly « la cour régulatrice pourrait bien avoir déclenché une lame de fond emportant avec elle toute sa construction prétorienne en matière de responsabilité sportive [5] ». Par un effet « domino » l’arrêt du 4 novembre 2010 est susceptible de remettre en question l’exclusion de la loi de 1985 dans les accidents de compétition automobile et motocycliste, ainsi que la théorie de la garde en commun. Surtout, c’est le deuxième pilier de l’acceptation des risques qui menace à son tour de s’effondrer. Comment maintenir l’exigence d’une faute qualifiée après avoir mis fin au refoulement de l’article 1384 dans les activités sportives ?

4-Mais pourquoi s’alarmer ? Ne faut-il pas se réjouir que les victimes d’accidents sportifs soient mieux protégées ? En effet l’article 1384 présente l’énorme avantage pour elles de ne pas avoir à prouver la faute de l’auteur du dommage. Il leur suffit d’établir que la chose en a été l’instrument pour mettre en jeu la responsabilité civile délictuelle du gardien de la chose. De surcroît, celui-ci ne peut pas s’exonérer en établissant qu’il n’a pas commis de faute mais uniquement en alléguant une cause étrangère (force majeure, faute de la victime, fait d’un tiers).

5-L’explication de l’inquiétude qui s’est emparée des fédérations sportives en charge les sports mécaniques est la conséquence directe du système des assurances obligatoires. Il faut se rappeler que l’article L. 321-1 du code du sport met à la charge des associations et des fédérations sportives l’obligation de souscrire des garanties d’assurance en responsabilité civile. Cette garantie doit couvrir non seulement la structure, mais également ses préposés et ses propres pratiquants. Ainsi, lorsqu’un accident survient et que la responsabilité du licencié est retenue, son dommage est pris en charge par l’assureur du groupement sportif. Le refoulement de l’article 1384 alinéa 1 contraignait, jusque là, les victimes à actionner l’auteur du dommage sur le fondement du régime de responsabilité pour faute des articles 1382 et 1383. Elles n’avaient donc aucune chance d’obtenir réparation lorsque les circonstances du dommage étaient demeurées indéterminées, ce qui limitait pour l’assureur le risque d’avoir à indemniser la victime. Bien évidemment, le passage d’un régime de responsabilité pour faute à un régime de responsabilité sans faute a une incidence immédiate sur la responsabilité de l’organisateur qui sera plus facilement retenue et, par un effet collatéral, conduira à des interventions plus fréquentes de l’assureur pour la prise en charge de la réparation. Il y a donc un risque certain d’augmentation des primes d’assurance.

6-La Cour de cassation, elle-même, n’hésitait pas à justifier son entêtement à maintenir la théorie de l’acception des risques, malgré les critiques de la doctrine, en faisant valoir que sa suppression ne manquerait pas « de peser fortement (…) sur le poids de l’assurance obligatoire des associations et clubs sportifs et, partant, sur la pérennité de certains d’entre eux, aux moyens financiers limités » [6]. Dans ces conditions, il y a de quoi être surpris de sa volte face. Comme le fait remarquer l’auteur du rapport de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, « il apparaît pour le moins curieux que, sept ans plus tard, ces justifications n’aient plus retenu l’attention de la plus Haute juridiction judiciaire française ». On serait tenté d’ajouter que la préoccupation de ne pas imposer une charge assurantielle trop lourde aux organisateurs n’avait pas été étrangère à la décision de l’assemblée plénière d’imposer la preuve d’une faute aux victimes actionnant les groupements sportifs du fait des dommages causés par leurs membres [7].

7-Le rapporteur de la proposition de loi observait que « du fait de l’impact de la responsabilité de plein droit sur la sinistralité, les primes d’assurance subiront immanquablement une augmentation très substantielle» [8] . Il en concluait que l’assurance des groupements sportifs ayant un caractère obligatoire dont le respect est pénalement sanctionné, toute défaillance d’un organisateur «  signera l’arrêt, dans un cadre organisé et compétitif, des activités sportives ou physiques concernées ».

8-L’intervention du législateur va-t-elle suffire à faire disparaître le risque de surenchère des primes d’assurances et à maintenir intacte la spécificité du sport ? La lecture du nouvel article L. 321-3-1 du code du sport montre que son impact sera extrêmement limité. Il dispose, en effet, que « Les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont sous leur garde, au sens du premier alinéa de l’article 1384 du code civil, à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique ».

9-Ce texte ne concerne que les activités sportives et les contentieux entre pratiquants. Rien de surprenant puisque c’est le cadre naturel de l’acceptation des risques. Le refoulement de l’article 1384 alinéa 1 ne se justifie qu’entre sportifs, pour les nécessités de l’entraînement et de la compétition sportive. L’article 321-3-1 ne s’appliquera donc pas aux contentieux entre pratiquants et non pratiquants. Le piéton ou le spectateur renversé par un coureur cycliste pourra toujours lui opposer l’article 1384 alinéa 1.

10-La loi du 12 mars 2012 a, également, le mérite de clarifier le périmètre d’exclusion de la responsabilité du fait des choses qui concerne à la fois l’entraînement et la compétition. L’article 1384 alinéa 1 continuera donc à s’appliquer à tous les accidents survenus en dehors des compétitions et des entraînements y préparant dans les sports où les pratiquants utilisent du matériel comme le ski, le cyclisme, le patinage, le hockey, etc.

11-L’article 321-3-1 est limité aux dommages survenus sur les lieux réservés de manière permanente ou temporaire à la pratique sportive. Les lieux permanents ne peuvent être que des installations sportives affectées exclusivement à un sport, comme un circuit automobile ou motocycliste. En ce qui concerne les lieux temporaires, on pense immédiatement aux courses cyclistes et aux épreuves dites « spéciales » des rallyes automobiles se déroulant sur des voies publiques temporairement fermées à la circulation automobile. En revanche, s’agissant des entraînements, l’article 1384 alinéa 1 devrait continuer à être mis en œuvre pour ceux qui se pratiquent hors des lieux affectés de manière permanente à la pratique sportive. Ainsi, l’article 1384 alinéa 1 s’appliquera aux accidents survenus entre coureurs cyclistes lors de leurs entraînements sur route. En revanche, c’est l’article 321-3-1 qui servira de fondement à une collision entre deux pistards à l’entraînement sur la piste d’un vélodrome.

12-Toutefois, cette différence de régime juridique selon le lieu de l’accident, comme c’est le cas dans le présent exemple, ne concerne que les dommages matériels. L’article 1384 alinéa 1 s’appliquera indifféremment à ces deux situations pour les dommages corporels qui constituent l’essentiel des préjudices. On touche ici du doigt à la principale disposition de l’article 321-3-1 qui ne concerne que les dommages matériels. C’est ce qui réduit sa portée à la portion congrue car, hormis les sports mécaniques, le coût des accidents sportifs est avant tout un coût humain. Ainsi, le nouveau texte ne s’appliquera pas aux accidents survenus sur les terrains de sports où le dommage causé par un ballon n’a que des conséquences corporelles. Si la Cour de cassation abandonne la théorie de la garde en commun un joueur victime d’un dommage causé en compétition où à l’entraînement par un ballon, une balle ou une raquette pourra réclamer à son partenaire ou adversaire des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1.

13-La loi du 13 mars 2012 paraît donc bien avoir été cousue de toutes pièces pour les besoins des sports mécaniques et spécialement de la Fédération des sports automobiles. Les accidents survenus dans des courses sur piste entraînent des dégâts matériels importants, comme lors des dernières Vingt-Quatre Heures du Mans où une Audi et une Ferrari entrées en collision ont été détruites sans faire de blessés. Le compte-rendu de la séance du mardi 31 janvier 2012 de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation est, à cet égard, éclairant. Le président du groupe d’études sur les sports mécaniques fait remarquer dans son intervention qu’en « 2011, les compagnies d’assurance ont augmenté de 25 % les primes d’assurance des compétiteurs et des organisateurs d’événements sportifs mécaniques et cette augmentation sera appliquée pendant quatre ans ». Un autre membre de la commission déclare « Nous avons bien compris que cette proposition de loi répondait à une demande des fédérations françaises de sports mécaniques, inquiètes des conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation remettant en cause la théorie de l’acceptation des risques ».

14-Texte sans grande portée, l’article 1 de la loi du 12 mars 2012 aura au moins le mérite d’inscrire dans le marbre de la loi une disposition propre au sport dans le droit de la responsabilité civile. Jusque là, la spécificité du sport n’était que le fruit de l’œuvre des juges. La voici enfin consacrée par le législateur, mais d’une main tremblante !

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

Du même auteur :

Jean-Pierre VIAL, ISBL consultants, février 2012, « Accident de motocyclisme à l’entraînement » : voir en ligne

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] S. Hocquet-Berg, Vers la suppression de l’acceptation des risques en matière sportive ?, RCA 2002, chron. n° 15. P. Jourdain RTD civ. 1995 p. 904

[2] S. Hocquet-Berg, L’acceptation des risques en matière sportive enfin abandonnée ! Responsabilité civile et assurances n° 2, Février 2011, étude 3. P. Jourdain, RTD Civ. 2011 p. 137. J Mouly, D 2011, p. 690. JP Vial, PA, 02 mars 2011 n° 43, P. 11

.[3] Civ. 2e, 28 mars 2002, D. 2002. 3237, note D. Zerouki ; RTD Civ. 2002. 520, obs. P. Jourdain.

[4] Civ. 2e, 4 juill. 2002, D. 2003. 519, note E. Cordelier et 461, obs. P. Jourdain.

[5] Op. cit, note n°2

[6] Rapport 2003 de la Cour de cassation, troisième partie : «  La jurisprudence de la Cour », Documentation française, 2004, p. 405

.[7] Cass., ass. plén., 29 juin 2007. J. François, D. 2007 p. 2408. Vignon Barrault PA, 2007 janv. 2008 n° 5, P. 12. J. Mouly PA 2007, n°191 p. 4. P Jourdain, RTD civ. 2007 p. 782.

[8] Le conseil d’administration du groupement de réassurance pour les manifestations de sports mécaniques (AMSRé) avait annoncé en juin 2011 sa décision de réviser l’ensemble de ses dossiers de sinistres ouverts et de doubler l’encaissement annuel des primes auprès de ses souscripteurs, dans un délai maximum de cinq ans (soit une hausse annuelle de 20 %).

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