L’article 1384-1 du Code civil, en vertu duquel les groupements sportifs répondent des dommages commis par leurs membres, est à nouveau en lice. Deux arrêts de cours d’appel viennent d’être censurés par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation pour en avoir fait une mauvaise application. S’il est aujourd’hui acquis que la responsabilité délictuelle des groupements sportifs est subordonnée à une faute de leur membre, la consistance de cette faute caractérisée par « la violation des règles du jeu » fait encore débat, comme l’attestent les deux arrêts de cassation du 8 juillet et du 16 septembre 2010. A cet égard, les dommages ayant été, dans ces deux espèces, causés par le fait de choses, il faut se demander s’il n’existe pas une autre voie que celle de la faute qualifiée d’un joueur pour engager la responsabilité des groupements sportifs. La possibilité d’une combinaison entre la responsabilité du fait des choses et celle du fait d’autrui mérite donc d’être explorée.

1. L’article 1384 alinéa 1 du Code civil n’a pas fini de faire couler de l’encre ! On se souvient que les fameux arrêts de 1995 s’inspirant de la jurisprudence Blieck ont consacré le principe d’une responsabilité de plein droit des groupements sportifs pour les dommages causés par leurs membres. Par la suite, il a surtout été question du domaine et des conditions d’application de ce nouveau régime de responsabilité et spécialement du point de savoir si la responsabilité du groupement était ou non subordonnée à la faute de son membre. Dans son arrêt du 29 juin 2007, l’Assemblée plénière a mis fin aux discussions sur ce sujet en affirmant l’exigence d’une faute « caractérisée par une violation des règles du jeu ». En revanche, elle ne s’est pas prononcée sur le contenu de cette faute. La 2ème chambre civile, au fil de ses décisions, est parvenue à éclairer la doctrine sur le sens de cette fameuse formule. L’arrêt du 8 juillet 2010 lève un nouveau coin de voile sur sa signification puisque la Haute juridiction prend pour la première fois position sur les fautes sans rapport avec le jeu (I).

2. Dans ces deux affaires, il est important de relever que les blessures ont été provoquées par le fait d’une chose. Une chaussure à crampon dans la première espèce et un palet de hockey dans la seconde. Il faut donc examiner l’éventuelle responsabilité du groupement imputable non pas à la violation d’une règle de jeu d’un de ses membres mais au fait d’une chose dont il a la garde (II).

3. Enfin, sur un autre terrain d’action, celui de la responsabilité contractuelle, l’arrêt du 16 septembre confirme une jurisprudence constante qui met une obligation de sécurité renforcée à la charge des organisateurs de manifestations sportives (III).

I- Définition de la faute caractérisé par une violation des règles du jeu

4. Dans la première espèce, un joueur avait profité d’une altercation générale pour frapper et blesser l’un de ses adversaires en utilisant sa chaussure comme une arme. La Cour d’appel de Rouen, dont nous avions commenté l’arrêt dans la dernière newsletter, avait relevé que cette agression ne s’était pas déroulée au cours d’une action de jeu. Elle en avait alors conclu à l’absence de faute de jeu et rejeté l’action en réparation de la victime formée contre la Ligue de football, dont était membre l’auteur du coup. En cassant cette décision, la 2ème chambre civile signifie que les violences sans rapport avec le jeu entrent bien dans le champ d’application de l’article 1384 alinéa 1 contrairement à la position de la doctrine dominante. 5. Dans la seconde espèce, la victime qui assistait à une rencontre du championnat de France de hockey sur glace avait été atteinte au visage et blessée par le palet envoyé depuis la zone de jeu dans les gradins. A l’inverse de la précédente affaire, la Cour d’appel de Colmar retint la responsabilité du club du joueur auteur du dégagement accidentel. L’arrêt est également cassé, mais pour n’avoir pas relevé, cette fois-ci, de faute caractérisée par une violation des règles du jeu de hockey sur glace. On observera, au passage, qu’à la différence de l’autre espèce, la victime n’était pas un joueur. Ceux-ci ne sont pas forcément les seuls bénéficiaires de la nouvelle jurisprudence. L’article 1384 alinéa 1 a aussi vocation à s’appliquer aux dommages subis par des tiers s’ils sont victimes de la faute qualifiée d’un joueur.

6. Jusqu’à présent, les discussions ont surtout porté sur la nature des fautes en relation directe avec le cours du jeu comme il en était question dans l’arrêt du 16 septembre 2010. Celui du 10 juillet 2010 dévoile la position de la Haute juridiction sur les fautes étrangères au jeu.

• La faute en rapport avec le jeu

7. On peut sans grand risque d’erreur considérer que l’expression de « violation des règles du jeu » ne vise pas les manquements aux règles ayant trait à l’organisation du jeu. Ces fautes habituellement qualifiées « de fautes de jeu » ne sont que des fautes sportives relevant de la seule sanction de l’ordre sportif à la différence des fautes « contre le jeu » qui sont reconnues par les tribunaux comme portant atteinte à l’ordre juridique étatique (par exemple, un tacle à retardement sur la jambe de l’adversaire).

8. De même, dans les rapports entre joueurs, il n’y a pas de faute civile lorsque le geste incriminé n’est que le résultat d’une simple maladresse, c’est-à-dire du manque de maîtrise du geste à accomplir. Le joueur de football qui frappe du pied son adversaire en voulant s’assurer la prise du ballon, commet « une faute de jeu » mais « pas de faute contre le jeu ». C’est aussi le cas du joueur de hockey qui rate son tir par maladresse et envoie le palet dans la figure d’un de ses adversaires. Une faute ordinaire ne suffit pas. La faute civile suppose plus qu’un simple manquement technique. Une faute qualifiée est nécessaire pour engager la responsabilité d’un joueur comme l’exige une jurisprudence constante qui s’inspire de la théorie de l’acceptation des risques. Le seuil de la faute en deçà duquel la responsabilité d’un joueur ne peut pas être engagée est au minimum une prise anormale de risque.

9. Cette jurisprudence doit-elle être transposée à la responsabilité des groupements sportifs ? L’ambiguïté de la formule utilisée par la 2ème chambre civile dans son arrêt du 20 novembre 2003 [1] a pu laisser penser, soit qu’elle englobait toutes les fautes de jeu, imprudences comprises soit, au contraire, qu’elle ne visait que la « faute contre le jeu ».

10. Les décisions ultérieures de la 2ème chambre civile ont donné raison aux partisans d’une interprétation restrictive. L’arrêt du 13 mai 2004 [2] écarte la faute ordinaire et met l’accent sur l’exigence d’une faute qualifiée. Il reproche aux juges du fond d’avoir retenu la responsabilité résultat d’une faute « de nature technique ». Jurisprudence confirmée, dans des circonstances analogues, par l’arrêt du 22 septembre 2005 [3] qui relève l’absence de faute délibérée des joueurs du club impliqué et par celui du 5 octobre 2006 [4] qui en constate, au contraire, l’existence. A cet égard, il faut préciser que l’emploi du terme de faute délibérée n’implique pas nécessairement que l’action des joueurs ait été « poussée à l’excès et conduite avec brutalité ou d’une façon déloyale ». S’ils ont enfreint délibérément les règles de la poussée en mêlée en sachant qu’ils prenaient le risque de blesser un joueur de l’équipe adverse, rien dans les circonstances de l’arrêt du 6 octobre 2010 ne révèle qu’ils avaient pour intention de provoquer des blessures. La prise anormale de risque a ceci de plus sur la faute ordinaire, que le fautif a agi avec la conscience, en enfreignant le règlement, de prendre un risque anormal pour autrui, et ceci de moins sur la faute intentionnelle, qu’il n’a pas forcément recherché le résultat dommageable. La « faute caractérisée par une violation des règles du jeu » n’est donc pas réductible à la faute intentionnelle.

11. Dans l’arrêt du 16 septembre, en revanche, il n’est question ni de faute intentionnelle ni de prise anormale de risque. Le joueur qui a dégagé maladroitement son palet a seulement commis une faute technique. Elle n’est autre qu’une maladresse. On devine bien que ce dégagement raté n’a pas été volontaire et que son auteur n’a jamais eu l’intention de blesser le malheureux spectateur. De même, aucune circonstance de l’espèce ne révèle qu’il a cherché à prendre un risque délibéré pour conserver les chances de victoire de son camp. L’action fondée sur la responsabilité d’un club pour faute qualifiée de son joueur n’avait aucune chance d’aboutir. Il fallait donc s’attendre à ce que le pourvoi qui reprochait à la cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité du club « sans constater un manquement du joueur à la règle du jeu » soit couronné de succès.

12. A l’inverse, dans l’espèce du 8 juillet 2010, où une chaussure de sport a été utilisée comme une arme, l’intention malveillante de son propriétaire est évidente. On ne se trouve pas dans la situation d’un accident survenu à l’occasion de la conquête du ballon où il est parfois difficile de déterminer la part entre la « faute contre le jeu » et la simple faute technique sans conséquence juridique [5]. Mais les circonstances dans lesquelles, l’auteur des coups a agi font débat en raison de son comportement sans relation avec le jeu.

• La faute sans rapport avec le jeu

13. L’arrêt du 8 juillet relance la discussion sur la signification donnée à la « violation des règles du jeu ». Le pourvoi défendait l’idée que la faute génératrice de responsabilité du groupement ne pouvait s’appliquer qu’aux « actions rattachables à l’action de jeu ».

14. Quelles sont donc les actions « détachables du jeu » ? Certaines ne souffrent d’aucune discussion. Ce sont tous les comportements répréhensibles des joueurs en dehors du temps et du lieu où se pratiquent les activités organisés et encadrées par le groupement. L’arrêt du 8 juillet le confirme d’ailleurs bien en rappelant que c’est « à l’occasion » de l’organisation des activités de leurs membres que la responsabilité des groupements sportifs peut-être recherchée. La généralité des termes employés par la Haute juridiction confirme bien que les activités des groupements ne se réduisent pas au temps des compétitions. Le premier cercle, limité aux « compétitions sportives » par les arrêts de 1995, a été élargi aux entraînements par celui du 22 septembre 2005 et cette extension reprise par l’Assemblée plénière dans son arrêt du 29 juin 2007.

15. Si ces points ne font pas difficulté, il en va différemment des comportements qui, même s’ils sont survenus pendant une compétition ou à l’entraînement, sont sans rapport avec le jeu. La question s’était déjà posée dans une affaire où un joueur qui se trouvait sur le banc de touche et n’était pas inscrit sur la feuille de match avait brusquement pénétré sur le terrain et blessé un adversaire en lui lançant un objet métallique. Les juges du fond avaient estimé que l’agression relevait « d’un comportement personnel » n’engageant pas la responsabilité de l’association [6].

16. Les circonstances de la présente espèce sont voisines, à la différence près que l’auteur des coups était régulièrement engagé dans le match. Le même raisonnement a inspiré les juges du fond qui ont, là aussi, estimé que « l’acte litigieux sortait de la sphère du football, sans aucune notion de violation des règles du jeu ». Le football est un sport qui se pratique avec les pieds et non avec les mains ! En outre, comme l’observent malicieusement les juges, « en retirant sa chaussure ce joueur s’était manifestement exclu de l’action, à laquelle il ne pouvait plus participer puisque privé de l’une de ses chaussures ».

17. Cette analyse, qui restreint le contrôle du groupement aux seuls actes en rapport direct avec la pratique du sport considéré, s’explique si on admet que les règles du jeu ont pour objet de définir les conditions dans lesquelles les joueurs se disputent un ballon. Dès lors, il est logique de considérer que leurs gestes sans rapport avec sa conquête ne constituent pas des fautes de jeu. Pourtant, la Haute juridiction reproche aux juges du fond de ne pas avoir traité l’incident comme une violation des règles du jeu. Elle ne vise donc pas seulement la prise anormale de risque ou l’acte d’anti-jeu (comme un coup de poing ou un tacle à retardement) entre deux adversaires se disputant le ballon mais toute agression survenue pendant une altercation générale. La violation de la règle de jeu ne serait donc pas seulement la « faute contre le jeu » mais aussi la « faute dans le jeu » c’est-à-dire toute faute, y compris celle détachables du jeu, mais commise en cours de match.

18. Cette interprétation est-elle compatible avec le pouvoir d’autorité et de contrôle qui sert de fondement à l’article 1384 alinéa 1 et que la 2ème chambre civile rappelle systématiquement dans chacune de ses décisions ? La question posée renvoie à celle de l’étendue de ce pouvoir. Le pourvoi évoquait « l’encadrement, la formation, les consignes de jeu et le choix de la stratégie ». Mais c’est oublier que les groupements sportifs -et spécialement les fédérations et leurs organes déconcentrés- ont aussi un pouvoir de sanction. Celui-ci ne s’exerce pas seulement sur le temps du match, mais sur l’ensemble des activités de l’association et pendant tout le temps où le joueur est adhérent du club. Une ligue peut sanctionner un joueur qui aurait eu un comportement incorrect à l’entraînement ou le jour d’un match pendant un arrêt de jeu, à la mi-temps, voire au retour dans les vestiaires après la fin de la rencontre. Dans ces conditions, il faut admettre que tout acte de brutalité, même s’il est sans rapport direct avec la prise de possession du ballon, entre dans le champ du pouvoir de sanction des groupements sportifs. On en veut pour preuve les dispositions du règlement disciplinaire de la Fédération française de football qui prévoient des sanctions pour comportements anti-sportifs contre les joueurs coupables de coups et de brutalités en dehors de la rencontre [7].

19. Cependant, si l’acte incriminé peut-être détaché de l’action de jeu proprement dite, il ne devrait pas être totalement étranger aux fonctions du joueur. Dans l’espèce du 10 juillet la 2ème chambre civile relève que l’incident s’est produit sur le terrain et à l’occasion d’une altercation générale survenue au cours de la rencontre. Elle observe, également, que l’auteur de l’agression a utilisé sa chaussure de sport pour frapper sa victime. Il y a donc trois éléments qui sont en rapport avec l’activité d’un joueur : le lieu de l’incident, le moment où il s’est produit, et la chaussure de sport dont il s’est servi. Il donc peu probable que la responsabilité du club puisse être engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 si les violences ont eu lieu en dehors du temps et du lieu du match.

20. Lorsque la responsabilité d’un groupement sportif ne peut pas être recherchée pour faute qualifiée d’un de ses joueurs et que le dommage est imputable au fait d’une chose, la victime dispose d’une autre voie possible d’indemnisation. C’est celle qui consiste à rechercher la responsabilité de l’auteur du dommage en qualité de gardien de la chose, qui l’a provoqué et ensuite de l’imputer à son club en tant que responsable du dommage causé par son membre.

II- Responsabilité des groupements pour les dommages causés par le fait d’une chose dont un de leur membre a la garde

21. La responsabilité d’un club sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 suppose toujours une responsabilité préalable de l’auteur du dommage comme le confirment les deux arrêts commentés. Est-il possible d’admettre que la responsabilité des groupements sportifs trouve sa source non plus dans une faute qualifiée de leur membre mais dans le fait d’une chose dont cet adhérent serait le gardien ? La question mérite d’être posée car dans les deux espèces commentées le dommage a été causé par une chose. Dans l’une, il s’agissait d’une chaussure à crampon et dans l’autre d’un palet de hockey.

22. On observera qu’il n’y avait dans aucune des deux ni garde en commun ni acceptation des risques qui auraient eu pour effet de neutraliser l’article 1384 alinéa 1. Dans la première, l’agresseur avait frappé son adversaire à l’aide d’une chaussure à crampons. La théorie de la garde en commun n’avait, ici, aucune raison de s’appliquer [8]. En effet, s’il est admis que les joueurs ne détiennent le ballon que pendant un temps trop bref pour en avoir la garde, en revanche, celui qui ôte sa chaussure et s’en sert pour frapper un adversaire en a, de toute évidence, « le contrôle et la direction ».

23. Par ailleurs, il aurait été facile d’établir que si un joueur de football accepte le risque de prendre un mauvais coup dans le feu de l’action, il n’accepte certainement pas d’être frappé avec une chaussure dont son adversaire se sert comme d’une arme. L’acceptation des risques ne s’applique qu’aux risques prévisibles. Elle est écartée en cas de risque anormal.

24. Dans la seconde espèce, l’acceptation des risques n’avait pas plus de raison d’être soulevée. Elle est opposable entre joueurs mais inopposable dans leurs rapports avec les spectateurs. A la différence des participants ceux-ci n’acceptent pas le risque de blessure. Solution logique : un joueur qui pénètre sur un terrain de jeu sait qu’il prend le risque d’être accidenté. En revanche, le spectateur est en droit de penser que l’organisateur a pris les mesures nécessaires pour le mettre à l’abri d’un jet de ballon ou d’une sortie de piste d’un pilote automobile.

25. En ce qui concerne la théorie de la garde en commun, elle jouait dans l’arrêt du 16 septembre en faveur de la victime. En effet, l’éviction de l’article 1384 alinéa 1 pour ce motif ne s’applique que dans les rapports entre joueurs. Il en va différemment dans les relations entre joueurs et spectateurs où la garde en commun d’une balle peut servir de fondement à une responsabilité collective des joueurs. Un spectateur blessé par une balle de hockey sur gazon lancée par un participant a été ainsi autorisé à rechercher la responsabilité de l’ensemble des joueurs en leur qualité de cogardiens de la chose dommageable [9]. La cour d’appel de Colmar fait application de cette jurisprudence en considérant que le palet ayant atteint le spectateur au visage faisait l’objet d’une garde commune par les joueurs d’une des deux formations.

26. Le pourvoi prétendait, au contraire, que les joueurs des deux camps ne pouvaient pas en avoir la garde commune dès lors que l’auteur du dégagement avait été identifié. Toutefois, quelle que soit la solution adoptée, garde collective ou garde individuelle du palet, la responsabilité du fait des joueurs ou au moins de l’un d’eux était acquise dans tous les cas. Dans ces conditions, il paraissait possible d’articuler cette responsabilité du fait des choses avec la responsabilité du groupement du fait de ces membres.

27. Cette combinaison entre deux régimes de responsabilité a pour précédent une autre responsabilité du fait d’autrui : celle des parents du fait de leurs enfants mineurs. La Cour de cassation a en effet admis dans un important arrêt du 10 février 1966 [10] que l’acte dommageable de l’enfant pouvait provenir soit d’une faute de sa part soit du fait d’une chose dont il avait la garde. Ce qui est vrai pour les parents devrait l’être également pour les groupements sportifs.

28. Comme l’a écrit un auteur autorisé [11] « il ne paraît pas interdit de considérer que les clubs sont également responsables, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, des dommages causés par leurs joueurs du fait des choses qu’ils utilisent dans la pratique de leur sport et dont ils ont conservé la garde personnelle ».

29. Il y a là un enjeu important pour les tiers et spécialement les spectateurs des manifestations sportives. En effet, s’ils sont victimes d’un dommage, il est peu probable qu’il soit le fait des violences de joueurs mais, plus vraisemblablement, qu’il soit la conséquence de la maladresse d’un joueur. Dans ce cas, il sera impossible à la victime de mettre en jeu la responsabilité de son club faute de pouvoir établir une faute qualifiée de l’auteur du dommage. C’était précisément la situation dans laquelle se trouvait le spectateur du match de hockey qui avait intérêt à rechercher la responsabilité du joueur en qualité de gardien de la chose afin que soit engagée à son tour celle de son club. L’avantage d’un tel montage est d’épargner à la victime la charge de la preuve d’une faute. Ce moyen n’a pas semble-t-il pas été soulevé puisque la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur cette hypothèse.

30. En admettant que la responsabilité du club de l’auteur du dommage ait été établie sur ce fondement, ses dirigeants avaient toujours la possibilité de faire état d’une cause étrangère exonératoire pour diminuer sa responsabilité, comme il est de coutume, dans les régimes de responsabilité sans faute.

31. Dans sa réplique au pourvoi, le club faisait d’abord valoir que la victime avait accepté le risque d’accident. Mais ce moyen ne résiste pas à l’examen dès lors que l’acceptation des risques ne peut être retenue comme cause exonératoire que si elle est fautive. On voit mal quelle faute peut commettre le spectateur qui se borne à assister passivement à une compétition sportive dans les limites de l’emplacement réservé au public [12]. En revanche, le manquement de l’organisateur à son obligation de sécurité était susceptible d’alléger la responsabilité du club de l’auteur du dommage. N’ayant pas les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure, il ne pouvait que diminuer sa responsabilité sans la faire disparaître. C’est la solution retenue par les juges du fond qui l’ont estimée à la moitié du préjudice.

32. L’arrêt du 16 septembre a été cassé pour n’avoir pas recherché de faute qualifiée d’un joueur. En revanche, la condamnation du club organisateur pour manquement à son obligation de sécurité est confirmée.

III- L’obligation de sécurité renforcée des organisateurs de manifestations sportives

33. Les organisateurs « doivent mettre à la disposition des participants des installations qui soient tout à la fois réglementaires, sûres et adaptées à l’usage auquel elles sont destinées » [13]. La violation des normes de sécurité des installations sportives prescrites par les autorités administratives ou fédérales constitue toujours une faute [14]. A cet égard, il n’est pas surprenant que la cour d’appel de Colmar ait reproché à l’organisateur du match de n’avoir pas équipé l’installation de glaces de protection comme le prescrivent les règles internationales du jeu du hockey et que la Cour de cassation l’ait approuvée. Cependant, une remarque des juges du fond retiendra plus particulièrement l’attention. Elle observe que si ces installations avaient été aux normes, leur respect par l’organisateur n’aurait pas eu pour effet « de relever le co-contractant de l’obligation générale de prudence et de diligence qui s’impose à tous ». Cette motivation est loin d’être isolée et vient confirmer une jurisprudence constante selon laquelle le respect des normes de sécurité fixées par les instances sportives ou administratives ne suffit pas pour exonérer un organisateur de ses devoirs en matière de sécurité. Elle n’est pas sans rappeler un arrêt de la 1ère chambre civile à propos d’un accident également survenu sur un terrain de hockey sur glace où il a été jugé que l’installation de filets protecteurs aux extrémités d’un terrain de hockey sur glace, bien que conformes aux normes de la Fédération française de patinage artistique, était insuffisante et que l’association organisatrice du match avait commis un manquement à son obligation contractuelle de sécurité dès lors qu’il existait d’autres solutions techniques récentes satisfaisantes [15].

34. Cette obligation de moyens renforcée, véritable anti-chambre de l’obligation de résultat, ne se justifie que par l’ampleur du risque encouru. Comme le précise justement l’arrêt d’appel si l’organisateur ne pouvait se retrancher derrière le seul respect de la réglementation « qu’il lui appartenait au besoin de dépasser » c’est parce qu’il s’agissait d’une rencontre « à risque élevé ». Elle ne laisse guère de moyen de défense à l’organisateur qui n’a d’autre alternative pour alléger sa responsabilité que d’établir l’improbable faute de la victime ayant pris place à un endroit interdit aux spectateurs.

 

Jean Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Bull. civ. II, n° 356. JCP G 2004, II, n° 10017.

[2] Bull. civ. II, 2004, n° 232, p. 197.

[3] Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208.

[4] Bull. civ. II, 2006, n° 257, p. 238

[5] Par exemple, un tacle pratiqué avec retard mais sans brutalité manifeste ne constitue pas nécessairement un manquement à la règle du jeu, s’il est intervenu dans un temps très voisin de celui où la victime a frappé sur le ballon pour s’en déposséder, de sorte qu’eu égard au temps normal de réaction de l’auteur du dommage il ne saurait lui être reproché d’avoir continué son attaque du ballon (Paris, 15 janv. 1991, Chouippe c/ Brunetto. Poitiers, 19 mai 2004. Juris-Data n° 244713). De même, le manque de réussite du joueur peut être imputé à l’état boueux du terrain (Rouen, 10 févr. 2003, Juris-Data n° 226981). Il y a bien une faute de jeu mais elle est seulement technique et pas génératrice de responsabilité.

[6] Aix-en-Provence, 16 mars 2004, Juris-Data n° 23751.

[7] Le barème prévoit 3 matchs de suspension ferme au minimum et 5 matchs en cas de récidive dans un délai de six mois. (Chapitre I, 1.5.3.)

[8] Cass. 2e civ. 13 juin 2005, Resp. civ. et assur. 2005. 13, no 78

[9] TGI Bordeaux, 28 avr. 1986, RJE Sport, 1987, no 2, p. 116, obs. E. Agostini. La cour d’appel a reformé ce jugement non parce qu’il refusait de faire application de la garde en commun au bénéfice du spectateur mais parce que le dommage était dû au geste individuel d’un joueur identifié ayant envoyé délibérément la balle en touche. CA Bordeaux, 9 nov. 1989, RJE Sport, 1991, no 18, p. 65, obs. J. Mouly

[10] Cass. 2e civ. 10 févr. 1966, D. 1966.332, concl. Schmelck. RTD civ. 1966, p. 537, note Rodière

[11] J. Mouly Resp. Civ. Dalloz n°127.

[12] Civ. 1, 17 mai 1965, D. 1966, jurispr. p. 1. Note P. Azard.

[13] J. Mouly, Rép. civ. Dalloz, sports, janv. 2006, n° 139.

[14] Ring de boxe recouvert de bâches de camion au lieu du tapis feutré prescrit par le règlement de la FFB. (T. Civ. Carpentras, 25 janv. 1939, D. 1940, 2, p. 22, note J. Loup). Combat organisé dans une salle pour la pratique de la danse. (Civ. 2, 5 déc. 1990, II, n° 258, p. 133). Absence de tapis réglementaire sous une barre fixe. (Paris 25 févr. 1987, « L’activité sportive dans les balances de la justice », t. 2, Dalloz, p. 161).

[15] Civ. 2, 16 mai 2006, Juris-Data n° 033511. Resp. civ. et assur. 2006, comm. 239. RLDC juill. /août 2006 p. 25, obs. B. Legros. La 2ème chambre civile s’était déjà prononcée dans le même sens en reprochant à un moniteur de tennis d’avoir omis de mettre en garde ses élèves contre le risque d’être blessé à l’œil par une projection de balle d’un appareil lance-balles automatique, alors que la méthode de ramassage ininterrompu des balles était admise par la Fédération française de tennis. Civ. 2, 20 juin 1984, Bull. civ. II, n° 112, Juris-Data n° 701085

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