Les arrêts de 1995 ont fait florès ! Les demandes de réparation formées contre les groupements sportifs amateurs du fait des dommages causés par leurs membres en compétition n’ont cessé d’affluer depuis que la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a admis que l’article 1384 alinéa 1 puisse servir de fondement à ce nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui. Toutefois, la Haute juridiction subordonne le succès de l’action à la preuve d’une faute caractérisée de l’auteur du dommage, condition que les cours d’appel de Toulouse et Montpellier ont  mise en application dans leurs arrêts du 9 septembre et du 14 octobre 2014.

1-Alors qu’il participait à un match de football, un joueur est grièvement blessé en disputant une balle aérienne, par un coup de coude porté à la tempe. Un autre sportif, joueur de rugby cette fois-ci, est violemment plaqué et souffre  d’une fracture du fémur droit.

2-Dans la première espèce (Toulouse, 9 septembre), la victime a assigné la ligue régionale de football et dans la seconde le club de l’équipe adverse. Le joueur de football n’avait guère d’autre possibilité que de rechercher la responsabilité du club de l’auteur du coup dès lors que celui-ci n’était pas identifié. Le joueur de rugby a fait délibérément ce choix dans l’autre espèce. Cette stratégie, qui consiste à mettre en cause non pas l’auteur du dommage mais celui qui doit en répondre, s’explique surtout par la crainte de son insolvabilité. Sans doute, chaque joueur est-il normalement couvert par la police d’assurance de son club en application de Art 113-1 C. assur.). Ainsi, il ne pourra pas indemniser la victime pour les blessures causées par des violences et brutalités volontaires de son assuré. Dans ce cas, celle-ci n’a guère d’autre alternative que de rechercher la responsabilité du club de l’auteur du dommage. S’il s’agit d’un joueur professionnel, elle agira sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 en application duquel les commettants répondent des dommages causés par leurs préposés. Les qualités respectives de commettant pour le club et de préposé pour le joueur professionnel[1] ne font pas de doute. Elles se déduisent du rapport de subordination qui caractérise le contrat de travail conclu entre le joueur et son club[2]. S’il s’agit d’un joueur amateur, comme c’était le cas dans les deux espèces, l’existence du lien de préposition apparaît a priori moins évident en l’absence de contrat de travail. Pourtant la doctrine a justement fait remarquer que le lien de préposition est suffisamment caractérisé par la soumission de droit ou de fait à une autorité[3]. La Cour de cassation a, d’ailleurs, admis l’existence d’un lien de subordination occasionnel entre le président d’une association de chasse et un chasseur désigné pour le découpage d’un cerf abattu au motif que le premier exerçait un contrôle et une surveillance sur les opérations de dépeçage[4]. En outre, la doctrine a justement fait remarquer que les joueurs amateurs agissent sous le contrôle et l’autorité de leurs dirigeants et entraîneurs dont ils reçoivent les directives et qu’ils acceptent de se plier à une discipline d’équipe[5]. Pourtant la Cour de cassation a donné raison aux clubs de rugby amateurs qui contestaient l’existence d’un lien de subordination avec leurs joueurs au motif qu’ils disposaient d’une liberté et d’une spontanéité inhérentes à la nature du jeu. Dans ses arrêts de 1995 elle a écarté l’application de l’article 1384-5 et affirmé, dans un considérant de principe, que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, sont responsables au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil des dommages qu’ils causent à cette occasion ». En consacrant la responsabilité civile des clubs amateurs sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er au lieu et place de l’article 1384-5 la Haute juridiction a procédé à un important élargissement de la jurisprudence Blieck en créant un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui. L’obligation d’assurance à la charge des groupements sportifs a certainement concouru à cette évolution. C’est sans doute parce qu’il y a un assureur derrière chaque club que la Cour de cassation a pris le parti de faciliter la réparation des dommages causés aux victimes d’accidents sportifs en compétition.

3-La consécration de ce nouveau cas de responsabilité a fait couler beaucoup d’encre sur son régime juridique.  Certains auteurs se sont demandés s’il s’agissait d’une présomption de faute[6] ou d’une présomption de responsabilité[7]. La Cour de cassation a rapidement levé le doute sur ce sujet en se prononçant en faveur d’une responsabilité de plein droit[8].

4-Une question est néanmoins restée en suspens. Fallait-il rapporter la preuve, comme c’est le cas pour la responsabilité des commettants, d’une faute de l’auteur du dommage ? En effet,  la Cour de cassation ne faisait nullement référence à la faute des joueurs dans ses arrêts de 1995, ce qui pouvait prêter à confusion d’autant que « certaines décisions ont pu semer le trouble ». Ainsi, l’arrêt dit « des majorettes » du 12 décembre 2002 pouvait donner l’illusion que  la 2ème chambre civile avait opté pour une responsabilité purement causale des associations sportives. L’accident ayant été provoqué par la manipulation d’un bâton, on ne voit guère ce qui pouvait être reproché à son auteur, sauf à admettre que la maladresse est une faute qualifiée[9].

5-Toutefois, depuis son arrêt du 20 novembre 2003, la deuxième chambre civile a, de façon constante[10], imposé aux juges du fond de rechercher l’existence d’une faute de l’auteur du dommage, sans qu’il y ait d’ailleurs de véritable résistance  de leur part[11]. Cette jurisprudence a  été  consacrée « sans ambiguïté »  par  l’Assemblée  plénière  dans son arrêt du 29 juin 2007[12].  La grande crainte des dirigeants sportifs d’être soumis à une responsabilité purement objective sur le modèle de celles des parents du fait des dommages causés par leurs enfants mineurs, dont les conséquences auraient été fâcheuses sur le montant des primes d’assurance, s’est trouvée  tout à coup dissipée au point qu’on a pu parler d’une « résurgence de la faute dans la responsabilité du fait d’autrui »[13]. L’arrêt de l’assemblée plénière a, cependant,  laissé  planer une incertitude sur le degré de gravité de la faute de l’auteur du dommage. Une faute simple suffisait-elle ou fallait-il établir une faute caractérisée ? L’emploi systématique par la 2ème chambre civile de « faute caractérisée par une violation des règles du jeu » a jeté le trouble sur sa signification. On pouvait considérer que la violation d’une règle du jeu serait nécessaire mais suffisante, ce qui reviendrait à assimiler la faute civile et la faute sportive. Il était aussi possible de raisonner par analogie avec la jurisprudence sur la responsabilité des pratiquants et estimer que l’inobservation de la règle de jeu devrait être caractérisée soit par des brutalités délibérées soit par une prise anormale de risque.  Les arrêts rendus par la  2ème chambre civile ont été dans ce sens. Celui du 13 mai 2004,  reproche aux juges du fond d’avoir estimé que l’effondrement d’une mêlée fermée consécutive à un mauvais positionnement d’un ou plusieurs joueurs était nécessairement le résultat d’une faute contre le jeu.[14] Dans son arrêt du 22 septembre 2005[15] rendu dans des circonstances identiques, elle censure à nouveau les juges du fond pour les mêmes motifs, en précisant toutefois que ceux-ci étaient insuffisants à établir que l’effondrement de la mêlée avait été délibéré. Elle faità nouveau allusion à une faute délibérée dans son arrêt du 5 oct. 2006, à propos d’un relevage de mêlée où il est établi que les joueurs ne pouvaient ignorer la stratégie d’ensemble mise en oeuvre par les avants et visant à refuser la poussée adverse.  Elle qualifie, cette fois ci, cette action  de « faute caractérisée par une violation des règles du jeu » engageant la responsabilité de l’association. En somme, dans les deux premières espèces, la 2ème chambre civile attribue l’effondrement de la mêlée à une erreur de positionnement des joueurs alors que, dans la 3ème, elle l’impute à une action concertée révélatrice d’une prise anormale de risque. La faute délibérée doit donc être comprise comme le fait d’avoir voulu l’acte -le joueur était conscient qu’il mettait en danger son adversaire- mais pas nécessairement le résultat dommageable.

6-Cette jurisprudence n’est pas démentie par les deux espèces commentées qui appliquent les principes qui viennent d’être exposés. En effet,  les juges recherchent s’il y a eu violation d’une règle de jeu et si l’action du joueur incriminé a été anormalement brutale ou déloyale.  Comme l’indique la cour d’appel de Toulouse « la seule intervention d’un joueur dans la survenance du dommage n’est pas en soit suffisante à établir la faute ». Un coup de coude entre des joueurs qui se disputent un ballon aérien est un incident de jeu mais pas une faute contre le jeu. De son côté la cour de Montpellier relève que le plaquage est une action régulière, prévue par les règles du rugby.

7- Aucune des deux espèces ne révèle que ces deux gestes ont « été poussés à l’excès, ni conduits avec une particulière brutalité ou avec déloyauté par son auteur ». Dans l’affaire jugée par la cour de Toulouse, les circonstances de l’accident sont demeurées indéterminées. La feuille de match ne comporte aucune indication sur les conditions dans lesquelles le heurt est survenu. Les attestations des joueurs ne donnent pas plus de précisions. Par ailleurs, le rapport d’arbitrage n’indique pas les circonstances dans lesquelles le coup a été porté. Enfin aucun témoin ne mentionne quel geste ou quelle faute est à l’origine de ce coup.

8-Dans l’autre espèce, l’absence de sanction de l’arbitre confirme que le placage n’a pas été exécuté ni en violation des règles du jeu ni avec brutalité comme il pourrait l’être s’il avait été accompagné de violences inutiles[16].

9-La preuve n’ayant pas été établie d’une faute caractérisée de l’auteur du dommage, il n’était pas possible de retenir la responsabilité de la ligue de football ni celle du club de rugby.

Solution équitable car nul ne saurait être davantage responsable du fait d’autrui qu’il ne le serait de son propre fait. Si on admet que pendant les compétitions auxquelles ils participent, les joueurs ne sont responsables que de leurs fautes qualifiées, il serait choquant qu’une association sportive le soit dans des circonstances où ses propres joueurs ne le seraient pas.

10-Lorsque les joueurs sont des mineurs, comme c’était le cas pour l’accident survenu au jeune joueur de rugby âgé de 14 ans, une autre voie s’offre à la victime.  Elle a la possibilité de rechercher la responsabilité des parents de l’auteur du préjudice. En effet, ceux-ci répondent des dommages causés par leurs enfants mineurs, y compris lorsqu’ils n’ont pas commis de faute. Cette responsabilité objective est le résultat d’une évolution marquée par deux étapes majeures. D’abord l’arrêt Bertrand du 19 février 1997[17] qui a  supprimé la présomption de faute d’éducation et de surveillance  que les parents pouvaient combattre par la preuve contraire. Désormais c’est une présomption de responsabilité qui pèse sur eux dont ils ne peuvent se soustraire que par la cause étrangère (notamment la faute de la victime). Puis il y a eu la jurisprudence  Levert du 13 décembre 2002 de l’Assemblée plénière[18], qui suppriment l’exigence d’une faute de l’enfant. Désormais, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif du mineur, pour que la responsabilité des parents soit retenue. Or il est vraisemblable que le match de rugby, dont il est question dans l’arrêt rendu par la cour de Montpellier, se disputait entre mineurs puisque la victime était âgée de 14 ans. Aussi, déboutés de leur action en responsabilité contre le club, la victime et ses parents auraient intérêt, s’ils ne l’ont déjà fait, à réclamer une indemnité  aux parents de l’auteur du dommage.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

 

 
En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

EXTRAIT TOULOUSE
EXTRAIT MONTPELLIER



Notes:

[1] TGI Marseille, 6 oct. 1983, D. 1985.IR.143, obs. J.-P. Karaquillo.

[2] Civ. 2, 8 avril 2004. Bull. civ. II, n° 194. D. 2004, jurispr. p. 2601, note Y-M. Sérinet « La responsabilité civile du club professionnel pour le geste blessant commis par son joueur préposé lors d’une compétition sportive » P. Jourdain, RTD civ. 2004, p. 51. JCP G 2004, II, 10131, note M. Imbert. Gaz. Pal. 2004, doctr. p. 2785, étude H. Perez et P. Polère. Cah. dr. sport 2005, n° 2, p. 159, obs. C-A. Maetz.
[3] Flour et Aubert, « Les obligations », t. 2, 1994, nos 209 et 210.
[4] Civ 2, 27 novembre 1991. n° 90-17969.
[5] P. Jourdain, RTDC 1995, p. 899. J. Mouly JCP 1995, II, 22550.
[6] Que le club mis en cause pourrait combattre en démontrant son action éducative et ses actions de prévention contre la violence sportive.
[7] Dont le club n’aurait pu s’exonérer qu’en établissant  l’existence d’une cause étrangère (force majeure, faute de la victime, fait d’un tiers).
[8] Le commentateur de l’arrêt du 12 déc. 2002, relève que la 2ème chambre civile approuve la Cour d’appel d’avoir décidé que l’association « était tenue de plein droit de réparer ». F. Buy, LPA 2003, n° 69, p. 11.
[9] Sauf à considérer que la maladresse constitue une faute selon le mot de  F. Chabas,  Dr. et patr. n° 122, janv. 2004, p. 86.
[10] Civ. 2, 13 mai 2004. Juris-Data n° 023722. Bull. civ. II, 2004, n° 232 p. 197 – Civ. 2, 21oct.  2004, Juris-Data            n° 03-17910. Bull. civ. II  2004, n° 477, p. 404 – Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092, Juris-Data n° 029771, Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208 – 13 janv. 2005, n° 03-18617.  Juris-Data n° 026447, Bull. civ. II, 2005, n° 10 p. 10 – 5 oct. 2006, n° 05-18494. Bull. civ. II  2006, n° 257, p. 238.
[11] Selon une étude effectuée par le Centre de droit et d’économie de Limoges et citée par l’avocat général dans son avis à l’Assemblée plénière, trois Cours d’appel sur 16 (Bordeaux, 20 mars 2001, Juris-Data n° 140816 et            22 mai 2001, Juris-Data n° 150084 – Agen, 5 déc. 2000, Juris-Data n° 140828 – Lyon, 9 févr. 2000, Juris-Data              n° 122242) auraient adopté une responsabilité de plein droit  pour la période de 2000 à 2006.
[12] En l’occurrence, cette juridiction de renvoi après une première cassation, (4 juill. 2006, Juris-Data n° 323586) avait maintenu le principe d’une responsabilité directe des groupements sportifs en les présumant responsables du seul fait de la survenance de l’accident.
[13] L’expression est de Ch. Rade, Resp. civ. et assur. juill./août 2004, p. 6.
[14] Civ. 2, 13 mai 2004 op. cit.
[15] Civ. 2, 22 sept. 2005, op. cit.
[16] En l’occurrence, le  joueur avait secoué la tête de son adversaire  « par des saccades immodérées ». Bordeaux, 14 avr. 1931, D. 1931, 2, p. 45 note  J. Loup.
[17] Civ. 2, 19 fév. 1997, Bull. civ. I, n° 56. p. 32. D. 1997, jurispr. p. 265, note P. Jourdain. JCP G 1997, II, 22848, note G. Viney. Gaz. Pal.  3 oct. 1997, note F. Chabas.
[18] Ass. plén. 13 déc. 2002, D. 2003, jurispr. p. 231, note P. Jourdain. JCP G 2003, II, 10010, p. 135, note A. Hervio-Lelong. Gaz. Pal. 7/8 mars 2003,  p. 52, note F. Chabas. LPA, 18 avr. 2003, p. 16, note J-B. Laydu. « Responsabilité du fait d’autrui, l’inexorable progression », H. Groutel Resp. civ. et assur. 2003, chron. n° 4.

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