Les exploitants de centres équestres ne sont pas soumis à une obligation de résultat. L’engagement qu’ils prennent d’assurer la sécurité de leurs élèves dépend des niveaux respectifs de chacun. Ils ne répondent pas des dommages subis par ceux qui sont capables de maitriser l’animal. C’est l’enseignement qu’il faut tirer des arrêts rendus par les cours d’appel de Toulouse (23 septembre 2014) et de Dijon (25 février 2014).

1-Le contentieux des sports équestres n’a pas fini de faire couler de l’encre ! (voir nos commentaires du 2 septembre 200926 avril 2011 , du 29 octobre 2012 , 28 novembre 2013 et  26 février 2014).  En l’occurrence, au cours d’une promenade avec deux cavalières, une équitante âgée de 10 ans, fait une chute à la suite de l’emballement de sa monture (CA Dijon).  Une autre, âgée de 9 ans, est mordue au cou par son cheval alors qu’elle le préparait pour une reprise (CA Toulouse). L’action en réparation des dommages corporels subis par les deux enfants se solde par un échec. Les juges considèrent, dans les deux cas, que l’exploitant a normalement exécuté son obligation de sécurité (I). En revanche, l’un des deux centres équestres est condamné pour n’avoir pas informé les parents de la victime de l’intérêt qu’ils auraient eu à souscrire une assurance de personne en sa faveur. En l’occurrence, les juges mettent en oeuvre le principe de la réparation partielle du préjudice en application de la jurisprudence sur la perte de chance (II).

I-L’obligation de sécurité de l’exploitant

2-Les parents de la jeune cavalière mordue au cou se prévalaient, à titre principal, de la responsabilité délictuelle de l’exploitant sur le fondement de l’article 1385 du code civil et à titre subsidiaire de sa responsabilité contractuelle sur la base de l’article 1147 du code civil. On devine leur stratégie. Selon l’article 1385, le gardien d’un animal est de plein droit responsable des dommages causés par cet animal. Il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute qui dispense la victime de rapporter la preuve d’une faute du gardien, lequel ne peut s’exonérer de sa responsabilité en faisant valoir qu’il n’a pas manqué à son obligation de surveillance de l’animal. Mais les parents de la victime avaient peu de chance d’aboutir en raison du principe du non-cumul des responsabilités qui ne permet pas d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies. En effet, il n’y avait guère d’hésitation à avoir sur la nature de cette responsabilité, de toute évidence contractuelle comme l’affirme la cour d’appel, dès lors que l’enfant avait été confiée au club pour y pratiquer l’équitation. En effet, le litige portait bien sur l’exécution de l’obligation de sécurité de l’exploitant avec lequel les parents avaient conclu un contrat d’apprentissage de l’équitation pour le compte de leur fille.

3-On observera, au passage, que les juges ne limitent pas l’obligation de sécurité du club à la leçon d’équitation stricto sensu mais considèrent qu’elle s’applique également à la phase préalable d’équipement de l’animal. Est-il besoin de préciser que cette obligation de sécurité est une obligation de moyens en raison du rôle actif du pratiquant dont la participation à l’exécution du contrat ne permet pas à l’exploitant de lui garantir qu’il sera, en toutes circonstances, à l’abri d’un accident. On notera surtout que la cour insiste sur le fait que « cette obligation de moyens s’impose avec plus de rigueur selon la dangerosité de l’activité et le public auquel elle s’adresse, en l’espèce des enfants ». Rien de nouveau dans cette affirmation qui se situe dans le droit fil d’une jurisprudence constante[1]. Mais si les juges croient utile de s’en prévaloir, on pourrait s’attendre à ce qu’ils mettent à la charge de l’exploitant une obligation de surveillance rapprochée comme l’ont fait d’autres juridictions[2]. Or les juges toulousains n’en ont cure ! Ils considèrent qu’on ne peut imposer à l’exploitant d’assurer une présence auprès de chaque enfant pour une opération habituelle et simple pour laquelle ils ont été régulièrement formés et que la victime pratiquait régulièrement depuis le début de sa formation. Ils relèvent également qu’aucun élément ne prouve que l’animal était nerveux alors qu’il s’agissait d’une jument âgée et placide que l’enfant avait déjà montée.

4-Cette décision paraît s’inspirer d’une autre espèce où une cavalière avait eu les deux doigts sectionnés par son cheval qui « avait tiré au renard ». Ses parents avaient été également déboutés de leur action en réparation contre le centre équestre[3]. Toutefois, la victime âgée de 17 ans était dans sa cinquième année de pratique, titulaire du galop 4 et en cours de préparation du galop 5, ce qui impliquait, comme l’avait observé la cour d’appel, une connaissance parfaite d’un cheval, de sa nature imprévisible et craintive, de ses réactions et des règles élémentaires de sécurité à respecter. En revanche, dans la présente affaire, la victime était âgée seulement de neuf ans et licenciée depuis un an. Les juges ne recherchent pas si elle avait été mise en garde contre les réactions imprévisibles d’un cheval. De surcroît, son jeune âge, parait avoir été sous estimé. Un enfant de moins de 10 ans n’est pas en capacité de  prendre toute la mesure du danger. On en veut pour preuve qu’il a été reproché à un club de football de ne pas assurer la surveillance des enfants dans un vestiaire[4]! Sans doute n’est-il pas matériellement possible au moniteur, qui n’a pas le don d’ubiquité, d’être présent au même moment dans chaque box mais on peut exiger qu’il fasse le guet et circule d’un box à l’autre pendant tout le temps de l’opération.

5-On observe la même indulgence vis-à-vis de l’exploitant dans l’arrêt de la cour d’appel de Dijon. Les parents de la jeune victime qui avait chuté à la suite de l’emballement de sa monture faisaient valoir que l’exploitant avait manqué « à son obligation de prudence et de sécurité en laissant une enfant de 10 ans partir seule avec deux camarades ». C’est donc sur le fondement de la responsabilité contractuelle que l’action avait été engagée. Toutefois, l’exploitant répliquait qu’en sus de son activité d’organisateur de promenades équestres, il prenait en pension des chevaux de propriétaires que ceux-ci pouvaient sortir librement sans accompagnement. A cet égard, il faisait remarquer que l’accident n’était pas survenu lors d’une sortie organisée par le centre mais lors de la monte du cheval d’un propriétaire en demi-pension. Il en concluait qu’au moment de sa chute la victime ne se trouvait ni sous sa surveillance ni sous son contrôle, de sorte que la responsabilité du centre ne pouvait être recherchée que sur un fondement délictuel. Le moyen est a priori fondé. En effet, les conditions de l’action en responsabilité contractuelle ne se réduisent pas à l’existence d’un contrat entre l’auteur du dommage et sa victime. Il faut aussi établir que le dommage porte sur l’inexécution d’une obligation du contrat et qu’il survienne à l’occasion de son exécution. En l’occurrence la victime et l’exploitant étaient bien liés par un contrat mais l’accident n’était pas survenu à l’occasion de son exécution puisque la promenade ne s’était pas déroulée sous le contrôle du centre mais avait été effectuée avec l’animal d’un autre adhérent. Dans ces conditions, il ne pouvait être reproché à l’exploitant d’avoir manqué à son obligation contractuelle de sécurité puisqu’il n’avait pris aucun engagement pour les sorties non encadrées.

6-Ce n’est pourtant pas l’avis des juges qui estiment au contraire qu’il était bien tenu par une telle obligation. Position a priori curieuse  qu’il est néanmoins possible d’expliquer à la lumière des circonstances de fait précédant l’accident. La jeune victime avait dû, en effet, changer de monture à deux reprises par suite du souhait du propriétaire de récupérer la pleine possession de son équidé. A chaque période d’adaptation à une nouvelle monture, elle était accompagnée par le moniteur du centre jusqu’à ce que celui-ci estime qu’elle était capable de monter sans encadrement.  Dès lors, il était possible d’en déduire que le club se considérait comme responsable de toute sortie effectuée par un de ses adhérents avec un équidé occupant un box du centre équestre.

7-Cependant, comme dans la précédente espèce, les juges estiment qu’il n’a pas manqué à son obligation de sécurité. On a de la peine à partager cette appréciation. Si on peut admettre que l’animal, qui avait été testé à plusieurs reprises en balade était adapté à sa cavalière, en revanche, il est beaucoup plus douteux qu’une enfant de 10 ans puisse effectuer une sortie sans être accompagnée d’un adulte. Pourtant, la cour d’appel considère que, si elle n’est pas une cavalière confirmée, la jeune fille titulaire du galop 2 était capable de maîtriser la conduite d’un cheval aux trois allures. C’est oublier, comme il vient d’être dit, qu’une enfant de cet âge n’a pas la même conscience qu’un adulte du danger et qu’elle peut prendre des initiatives malheureuses.  En tout état de cause, la présence d’un professionnel à ses côtés lui aurait épargné une imprudence ou tout au moins aurait pu lui permettre d’anticiper une réaction de l’animal. La cour d’appel s’en tire à bon compte on observant « qu’il n’est nullement démontré que la présence d’un moniteur aurait permis d’éviter l’accident résultant d’un démarrage intempestif du cheval qui n’aurait pas été dissuadé par la seule présence d’un moniteur ». En somme, elle spécule sur le fait qu’il n’y a pas de lien de causalité  entre  l’emballement de l’animal et l’absence du moniteur. Une présomption d’absence de causalité lui suffit alors qu’il n’est pas démontré que même en présence d’un moniteur l’accident n’aurait pu être évité.  Enfin, les juges assènent l’argument massue, très en vogue dans le contentieux des promenades équestres, selon lequel « la pratique de l’équitation présente des risques qui, s’ils peuvent être réduits au minimum en fournissant au cavalier un cheval adapté à son niveau, ne peuvent être totalement supprimés compte tenu de l’imprévisibilité des réactions émanant même des chevaux les plus dociles ». Mais nous sommes une nouvelle fois dans le registre des présomptions. En affirmant que la réaction de l’animal était imprévisible  les juges partent du principe de l’absence de toute circonstance (la présence d’autres animaux[5], le bruit provoqué par le passage d’un train[6], ou des engins motorisés[7]) susceptible d’avoir provoqué l’emballement de l’animal.

II-L’obligation d’information de l’exploitant

8-L’assurance individuelle accident sert de garantie lorsque la victime ne parvient pas à engager la responsabilité d’un tiers. Voilà pourquoi, le législateur met à la charge des groupements sportifs l’obligation d’informer leurs adhérents de l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance de personnes couvrant les dommages corporels auxquels leur pratique sportive peut les exposer l’article L 321-5 prévoit que les fédérations sportives agréées peuvent conclure des contrats collectifs d’assurance visant à garantir les associations affiliées et leurs licenciés. En pratique, elles proposent aux membres des associations sportives qui leur sont affiliées d’adhérer simultanément au contrat collectif d’assurance de personnes qu’elles ont souscrit au moment de la délivrance d’une licence. La fédération est alors tenue d’indiquer à l’adhérent au contrat collectif que cette souscription est facultative et qu’il peut s’assurer individuellement auprès d’une autre compagnie d’assurance. Elle doit aussi lui préciser qu’il peut souscrire également des garanties complémentaires (Art.L 321-6) Celles-ci présentées en sus des garanties minimas offertes doivent permettre aux licenciés de choisir celles qui leur paraît le mieux adapté à leur situation. Toutefois, dans l’espèce jugée par la cour de Dijon, le club ne proposait aux adhérents  que la garantie de base puisqu’il ne leur transmettait pas les formules de garanties de l’assureur de la fédération.

9-Dans le cas où le groupement sportif n’a pas accompli son obligation d’information, comme c’était le cas ici, il engage sa responsabilité, selon une jurisprudence bien établie[8], pour avoir fait perdre à ses adhérents la possibilité de souscrire une meilleure couverture. Mais une question ne tarde pas à se poser : celle du montant de l’indemnité. Celui-ci ne peut être égal au montant du préjudice corporel, comme en a décidé la Cour de cassation dans une espèce où les juges du fond avaient condamné la Fédération française de handball à réparer l’intégralité du préjudice subi par une licenciée accidentée[9]. Elle a considéré que la faute commise par cette fédération n’était que la perte d’une chance d’indemnisation. Solution logique car il n’y a pas de rapport de causalité entre le dommage corporel effectivement subi par la victime et le montant de la garantie auquel elle aurait pu prétendre, puisque les assurances de personnes sont des assurances forfaitaires, la somme versée étant fonction, non du préjudice réellement souffert, mais du capital assuré et du taux du préjudice subi. Aussi l’arrêt d’une cour d’appel condamnant une fédération sportive à indemniser son licencié pour une somme égale à la différence entre la réparation de son préjudice corporel et la garantie que lui offrait son assureur a été censurée car elle revenait à admettre une indemnisation intégrale[10].

 10-Par ailleurs, il faut tenir compte de l’incertitude de la garantie qu’aurait souscrite la victime si elle avait été informée des différents montants de garantie. L’existence de cet aléa ne peut également conduire qu’à une indemnisation partielle du préjudice[11]. La difficulté pour en fixer le montant tient à l’incertitude de la garantie qu’aurait souscrite la victime. D’ordinaire les tribunaux ne motivent pas le montant de l’indemnité qu’ils ont fixé pour réparer la perte de chance. Une cour d’appel avait fait référence à la spécificité  de l’équitation. Ainsi, elle avait relevé que le plafond de garantie était relativement faible compte tenu de la gravité et de la fréquence des accidents dans les sports équestres. De surcroît, elle avait estimé qu’il était peu  probable que la victime ait contracté la garantie la plus élevée dans la mesure où elle avait choisi de découvrir ce sport en toute sécurité par le biais d’une initiation à la longe et en cinq séances uniquement[12]. La cour de Dijon ne se livre pas à un tel calcul de probabilités. Elle fixe le montant de l’indemnité à 50% de la différence entre ce qui sera effectivement servi au titre des garanties souscrites par l’assureur et ce qui aurait pu être attribué en application des garanties complémentaires si elles avaient été souscrites par les parents.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 
En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA TOULOUSE EXTRAITS
CA Dijon 25 février 2014 équitation responsabilité civile



Notes:

[1] Civ. 1, 16 oct. 2001, Juris-Data n° 01127. Bull. civ. I, 2001, n° 260, p.164. D. 2002, somm. 2711 obs. A. Lacabarats, JCP 2002, 2, 10194, note C. Lièvremont. RTD civ. 2002, p. 107 obs.  P. Jourdain. Gaz. Pal. 2002, 1374, note P. Polère.
[2] Ainsi, la cour d’appel d’Aix en Provence a considéré que laisser sans surveillance des jeunes dans un vestiaire était constitutif d’une faute dès lors qu’ils courraient le risque de se coincer le doigt dans une porte non équipée d’un ferme porte.
[3] CA Versailles, 29 sept. 2011 n° 10/02948.
[4] CA Aix en Provence, 14 sept. 2011, n° 2011/330.
[5] Un poney, Civ. 1, 11 mai 1999. Juris-Data n° 9711290 ; des vaches, TGI Dinan, 4 mai 1999 ; des chiens errants, Paris, 27 sept. 1985,  Gaz. Pal. 1986, 1, somm. p. 192, Juris-Data n° 025309. La Cour de cassation a même admis qu’un exploitant n’aurait pas dû choisir un  itinéraire longeant un pré où se trouvait un poney, bien qu’il ait été établi que le cheval était habituellement calme et le poney inoffensif. Civ. 1, 11 mai 1999, n°97-16687
[6] Amiens, 27 avr. 1998, Bizet c/ CPAM St Quentin. Bull info. IDE n° 12. Coups de sifflet du conducteur ayant effrayé les chevaux.
[7] Dijon, 16 févr. 1993, Juris-Data n° 043111.
[8] Civ. 1, 16 juill. 1986, Bull. civ. I, n° 209, p. 200. Civ. 1, 4 févr. 1997, Bull. civ. II, n° 89. Civ. 1, 13 févr. 1996, Bull. civ. I,  n° 84.
[10] Civ, 121 février 2002, n° 99-20711 ; Bull civ.  2002 II, n° 16 p. 15.
[11] Selon la formule employée par la cour d’appel de Rouen. 14 mai 2008, RG O6/5181.
[12] CA Bourges, 29 avr. 2010. No 09/00687.

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