Les dommages provoqués par les chutes à cheval constituent le lot habituel du contentieux des sports équestres comme l’attestent les arrêts rendus les cours d’appel de Lyon (29 mars 2016), de Paris (18 décembre 2015) ainsi que l’arrêt de rejet de la 2ème chambre de la Cour de cassation (9 juin 2016). Ces trois décisions portent, pour l’essentiel, sur la question de l’intensité de l’obligation de sécurité des centres équestres que les tribunaux ont pris l’habitude de d’évaluer en considération du niveau du cavalier. Renforcée, s’il s’agit de débutants, l’obligation de sécurité à leur charge se trouve donc naturellement allégée pour des pratiquants expérimentés, ce qui n’est pas à leur avantage puisqu’ils doivent  supporter la charge de la preuve, comme c’était le cas en l’occurrence.

1-Les faits sont redondants pour qui pratique habituellement l’équitation. Quel cavalier accompli n’a pas été victime d’une chute à cheval ? Mais toutes n’ont pas les conséquences dommageables de celles survenues à trois d’entre eux. Les deux premiers ont été désarçonnés au cours d’une reprise et le troisième a connu la même mésaventure alors qu’il accomplissait, dans le cadre de sa formation, un exercice de surveillance et de vérification de balisage d’un chemin de cyclotourisme. Estimant que leurs blessures provenaient d’une faute du moniteur, ils assignèrent le centre équestre en responsabilité. Peine perdue ! Leur demande de réparation n’aboutit pas pour diverses raisons qui tiennent les unes à la charge de la preuve de l’obligation de sécurité, d’autres à son intensité et d’autres encore à l’absence de lien de causalité entre la faute et le dommage.

2-En premier lieu, est-il besoin de rappeler que le moniteur de centre équestre n’est tenu, à l’instar de tout éducateur sportif, qu’à une obligation de sécurité de moyens, comme le répètent en chœur les cours de Lyon et de Paris. Solution logique dès lors que le moniteur de sport n’a pas une totale maitrise des gestes de son élève dont le rôle actif est consubstantiel à l’activité sportive.

3-Ce rappel, en tête des motifs de ces deux arrêts, est le préalable nécessaire à la détermination de la charge de la preuve. En effet, tandis qu’elle incombe au débiteur de l’obligation de sécurité résultat, elle est à la charge du créancier de l’obligation de sécurité de moyens. Pour s’exonérer de sa responsabilité, le premier, présumé responsable, doit établir une cause étrangère (forme majeure, faute de la victime, fait d’un tiers), alors que le second doit rapporter la preuve d’une faute du débiteur de l’obligation de sécurité.

4-Cette situation est à l’avantage de l’organisateur sportif car il suffit que les circonstances du dommage soient indéterminées pour que la victime ne parvienne pas à engager sa responsabilité. Ainsi, la cour de Lyon relève que « la cause et les circonstances mêmes de la chute restent indéterminées. Qu’en particulier, il n’est pas démontré que celle-ci résulte du comportement du poney ». Cette constatation est capitale car la victime prétendait qu’on lui avait attribué « un poney nerveux et dangereux » et que la monitrice avait sous-estimé sa dangerosité en n’intervenant pas pour interrompre le cours. Ce moyen, faute d’avoir été matériellement établi, ne pouvait qu’être écarté d’autant que la victime avait déjà monté le poney lors de leçons précédentes et qu’elle était parvenue, malgré l’agitation de l’animal, à effectuer la plus grande partie de la séance d’équitation. De surcroît, elle n’a pas pu établir qu’elle présentait un état de fatigue inhabituel qui aurait dû conduire la monitrice à ne pas lui faire pratiquer l’exercice sans étriers.

5-La question de l’intensité de l’obligation de sécurité était également au centre des débats. Plus elle est élevée et plus la charge de la preuve de la faute est allégée. La dangerosité du sport pratiqué entre évidemment en ligne de compte. Mais elle ne suffit pas, à elle seule, à déterminer l’intensité de l’obligation de sécurité comme le prétendait par erreur l’une des victimes qui affirmait que celle du centre équestre devait être « appréciée avec d’autant plus de rigueur que l’équitation est un sport dangereux ».

6-Une telle prétention ne peut aboutir que si la victime est un débutant ou que le moniteur a surestimé ses possibilités. En conséquence, « la responsabilité du centre équestre doit être appréciée au regard du niveau de pratique de la victime » comme l’observe la cour d’appel de Paris. Elle en déduit que si « le cavalier est confirmé, l’obligation de moyen pour sa sécurité est allégée ». On ne peut que l’approuver sur ce point. En revanche, si « l’équitation est un sport dangereux et entraîne pour le cavalier l’acceptation des risques de chute qui sont inhérents à ce sport », cette affirmation ne vaut que pour des pratiquants aguerris et non des débutants. La Cour de cassation a en effet jugé à plusieurs reprises « qu’à la différence du loueur de chevaux, dont la clientèle se compose de cavaliers aptes à diriger leur monture et qui acceptent de courir des risques en se livrant sciemment à la pratique d’un sport dangereux, l’entrepreneur de promenades équestres s’adresse à des personnes ignorant tout de l’équitation pour leur procurer le divertissement charge d’un transport à dos de cheval »[1].

7- Le centre équestre a donc une obligation de sécurité renforcée à sa charge chaque fois qu’il s’adresse à des cavaliers inexpérimentés. Ainsi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence observe que son obligation de sécurité « lui impose, s’agissant de jeunes enfants et d’adultes non cavaliers, de fournir exclusivement des poneys adaptés à la taille des enfants, de caractère docile et habitués à être montés par des personnes différentes et non formées »[2]. C’est vrai également pour le moniteur d’équitation qui donne une première leçon. Ainsi, le galop sans étrier est sans commune mesure avec la qualité de néophyte[3].

8-En revanche, il en va différemment de l’encadrement d’une reprise dont les participants sont des cavaliers expérimentés. Ainsi la Cour de cassation a admis qu’il n’y avait pas faute d’un moniteur à ne pas avoir rappelé à son élève, cavalier relativement confirmé ayant la pratique de deux années d’équitation, les consignes en cas de chute[4]. De même dans les trois espèces commentées les élèves n’étaient pas des néophytes et connaissaient donc les dangers de la discipline et partant les avaient acceptés. Dans la première, la cavalière « était titulaire du « Galop 4 » et préparait le « Galop 5 » » qui autorise son titulaire à monter sans étriers aux 3 allures. Dans la seconde espèce, la victime participait à une formation professionnelle qui nécessitait un très bon niveau d’équitation (en l’occurrence, le diplôme « Galop 6 ») qu’elle possédait déjà puisqu’elle avait obtenu le « Galop 7 ». Dans la troisième espèce, le cavalier « était déjà titulaire du « Galop 3″ ». Aussi les moniteurs qui les encadraient devaient seulement veiller à ne pas mettre leurs élèves en présence d’obstacles disproportionnés par rapport à leur aptitude à les surmonter[5], ce qu’ils ont d’ailleurs fait dans nos trois espèces. Ainsi, il n’y a pas faute à avoir demandé au premier cavalier de terminer la séance sans étriers et d’avoir fait monter le second sur des petits chevaux et non plus seulement des poneys. De même, rien d’anormal pour des participants en possession du « Galop 6 » d’effectuer seuls, sans surveillance, un exercice de patrouille (surveillance et balisage) d’autant que cet exercice est pratiqué sur un chemin ne comportant aucun danger particulier, qu’il est connu des stagiaires et qu’un moniteur se tient dans les parages. Enfin, le cavalier en possession du « Galop 7 » était en mesure de veiller à sa propre sécurité, notamment quant au choix de son équipement, et en particulier de la protection par casque. Dans chacune de ces espèces, les juges du fond ont « souverainement apprécié qu’aucune inadéquation entre le niveau des cavaliers et les exercices effectués au cours de la reprise n’était démontrée ».

9-À cet égard, il faut mettre à part, l’emballement de l’animal. Les tribunaux admettent, en effet, que le mouvement imprévisible d’un animal réputé habituellement calme exonère de toute responsabilité le moniteur. Un tel comportement, toujours possible chez un cheval, revêt les caractères de la force majeure. Aussi n’est-il pas surprenant que la cour d’appel de Paris ait rappelé que « les dommages ayant pour seule origine la réaction, par nature imprévisible, d’un cheval effrayé ne sont pas couverts par le régime de la responsabilité contractuelle ».

10-L’âge de la victime est un autre élément à prendre en compte, quoique les juges y attachent moins d’importance que le niveau du cavalier, comme l’a estimé la Cour de cassation pour une cavalière âgée seulement de 13 ans mais pratiquante expérimentée[6]. De même, elle a estimé qu’une enfant blessée par un cheval « ayant tiré au renard » n’était plus une débutante, bien qu’âgée de 11 ans, puisqu’elle possédait le « Galop 1 »[7]. En relevant que la cavalière blessée « malgré son âge, était titulaire du « Galop 4 » et préparait le « Galop 5 » la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence.

11-En admettant que le moniteur ait commis une faute, cette seule constatation ne suffit pas à engager sa responsabilité. Il faut encore établir que ce manquement a été la cause du dommage. Sans lien de causalité, pas de responsabilité ! Là encore, c’est à la victime de supporter le fardeau de la preuve. A elle d’établir que la faute a été l’élément générateur du dommage. Ainsi, la responsabilité d’un centre équestre n’est pas engagée du seul fait que les cavaliers étaient équipés d’une radio défectueuse. Il faut encore prouver que s’ils avaient été équipés d’une radio en bon état de marche les secours auraient été plus rapidement prodigués et l’ampleur du dommage moindre. Or la cour de Paris relève que la panne affectant le bon fonctionnement de la radio « n’a pas eu de conséquence sur l’importance du dommage puisqu’elle a pu être utilement remplacée par le téléphone portable de l’une des cavalières pour avertir l’encadrement et par suite appeler les secours ».

12-De même, il faut l’approuver lorsqu’elle constate l’absence de causalité entre le défaut de conformité avec le droit du travail du contrat de formation conclu avec le stagiaire et l’accident dont celui-ci a été victime.

13-Le dernier espoir pour les victimes, aurait été que le centre équestre manque à son obligation d’information sur les assurances de personnes, soit qu’il ait omis d’inciter ses élèves à en souscrire une, soit que celle proposée par la fédération offre des garanties insuffisantes et qu’aucune garantie complémentaire n’ait été proposée. Mais ce moyen n’a pas été soulevé, ce qui laisse supposer que les victimes ont été mal conseillées ou plus simplement qu’elles ont négligé de donner suite aux mises en garde du centre équestre lors de la conclusion du contrat.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

En savoir plus :

Cour d’Appel de Lyon, 29 mars 2016

Cour d’Appel de Paris, 18 décembre 2015

Cour de cassation, 9 juin 2016

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

ca-lyon-29-mars-2016-resp-civi-1147-cours-dequitation ca-paris-18-decembre-2015-responsabilite-civile-equitation civ-2-9-juin-2016-equitation

Notes:

[1] Civ 1, 11 mars 1986, n° 84-13557. Civ 1, 27 mars 1985, n° 83-16468. [2] Chambre 10, 20 nov. 2014, n° 2014/544. [3] CA Rennes, 4 janv. 1992. [4] Civ 1, 22 mars 1983. [5] En ce sens Dijon, 16 févr. 1993. [6] Civ 1, 22 mars 1983. [7] Civ 1, 28 novembre 2000, n° 98-10290, JCP 2002, II, 10010. Note C. Lievremont. A contrario, est constitutif d’une faute le fait de ne pas mettre en garde une jeune fille âgée de 13 ans et sans réelle expérience des chevaux sur les risques encourus à vouloir rattacher un animal ayant rompu ses amarres. CA Bordeaux, 12 déc. 1991.

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