L’ordonnance du 10 février 2016 a entamé la réforme du droit des obligations par celle des contrats sans toucher au droit de la responsabilité civile. En avril 2016 la Chancellerie rendait public un avant-projet de réforme soumis à la consultation publique et suivi de la présentation d’un nouveau projet le 13 mars 2017 par le ministre de la Justice. Celui-ci servira de base au projet de loi qui devra être repris par le nouveau gouvernement pour parachever la réforme du droit des obligations. En voici les grandes lignes et spécialement les nouveautés qui pourraient affecter la responsabilité des associations de jeunesse. 

1-Si le contenu du projet peut prêter à discussion, en revanche la réforme de la responsabilité civile est devenue « une nécessité impérieuse ».  En effet, le droit commun de la responsabilité civile repose encore sur cinq articles demeurés pratiquement inchangés depuis 1804 et qui donnent une « vision parcellaire » du droit français de la responsabilité au regard de « l’impressionnante œuvre de construction jurisprudentielle de la Cour de cassation ». Phénomène nouveau « l’idéologie de la réparation »[1] est passée par là. Les victimes sont devenues plus exigeantes avec le développement du droit des assurances. Les dommages se sont également multipliés comme ceux en lien avec la pratique sportive qui s’est considérablement développée au cours des dernières décennies. Enfin, on a été jusqu’à dire que ce droit était « en miette »[2] avec la multiplication des régimes spéciaux dont certains sont hors du code civil comme le droit des accidents de la circulation.

2-Retenons d’abord que ce projet de réforme ne remet pas en cause « les règles fondatrices » du droit de la responsabilité mais est « l’occasion d’une consolidation des acquis jurisprudentiels »[3]. Procédant pour partie à une codification de la jurisprudence, il maintient pour l’essentiel l’architecture actuelle. Comme l’expliquait le précédent Garde des Sceaux dans une interview accordée à la Gazette du Palais « Il reprend le principe fondamental de la responsabilité pour faute. Il consacre la responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde ou l’imputation de la responsabilité du fait d’autrui ». Enfin, il demeure « fidèle à la tradition, en subordonnant la mise en oeuvre de la responsabilité à l’existence d’un fait générateur de responsabilité, d’un lien de causalité, et d’un dommage réparable ».

3-L’objet de cette chronique n’est pas de faire une présentation exhaustive de ce projet, et notamment de sa mesure emblématique d’édification d’un régime propre aux dommages corporels (1267 et s.), mais d’en analyser les conséquences pour les associations de jeunesse. En l’occurrence c’est sa fonction indemnitaire qui retiendra notre attention car elle est au cœur du contentieux de la responsabilité de cette catégorie d’associations et spécialement de celles organisatrices d’accueils collectifs de mineurs. A cet égard, le projet améliore le traitement des victimes en facilitant la réparation des dommages corporels et corrélativement aggrave la responsabilité des organisateurs. Au chapitre des innovations citons, entre autre, la sortie du dommage corporel de la sphère contractuelle dont la réparation ne relèvera plus désormais que de la responsabilité extracontractuelle, sauf clause contraire (1233-1); l’introduction d’une amende civile (art. 1266) ; la suppression de la distinction entre obligations de moyens et de résultat (art. 1250, rappr. art. 1231-1 ord. 10 février 2016) ; l’exonération partielle de responsabilité limitée à la faute lourde de la victime en cas de dommage corporel (1254).

 

L’éviction du dommage corporel de la sphère contractuelle

4-L’avant projet établit un traitement égal entre les victimes. Il y parvient en « sortant le dommage corporel de la sphère contractuelle »[4] . En effet l’article 1233-1 précise que « Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du contrat ».

5-Notons que cet article a fait l’objet d’un ajout à la suite de la consultation publique. Son aliéna 2 précise que la victime peut invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui sont plus favorables que l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle. Ce serait le cas, par exemple, de l’organisateur de séjours de vacances ou d’accueils de loisirs de mineurs qui garantirait aux famille que leurs enfants seront sains et saufs au terme du séjour et que les activités qui leur sont proposées sont sans danger pour eux. Mais il est peu probable que les associations prennent le risque de mettre une obligation de résultat à leur charge, spécialement pour celles d’entre elles qui proposent des activités sportives.

6-Sous réserve de cette disposition, l’article 1233-1 sonne le glas de la summa divisio des obligations de moyens et de résultat pour la réparation des dommages corporels. Cette éviction aura le mérite de lever une double difficulté. D’abord, l’imprécision des critères de distinction entre ces deux catégories d’obligations qui aboutit à des solutions discutables ou à des tentatives de contournement de la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle au point que la Cour de cassation a dû rappeler à l’ordre les juridictions du fond à plusieurs reprises. Ensuite, l’inégalité de traitement entre victimes lorsque le dommage a été causé par une chose. Ainsi les parents sont tenus par les liens du contrat, et spécialement par l’obligation de sécurité de moyens de l’organisateur. Si leur enfant est accidenté et qu’ils agissent contre l’organisateur, il leur incombe de rapporter la preuve d’un manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. En revanche, si eux-mêmes sont victimes d’un dommage au cours d’une visite rendue au mineur (par exemple, ils ont fait une chute sur un sol anormalement glissant ou dans un escalier mal éclairé), ils peuvent agir contre l’organisateur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses sans avoir à prouver un manquement de sa part car celui-ci n’a pas contracté d’obligation de sécurité à leur égard. De même, si l’accident est imputable à l’imprudence d’un enfant, qui a jeté un objet à la tête de son petit camarade, les parents de la victime peuvent agir contre ceux de l’auteur du dommage sans avoir à établir ni une faute d’éducation de ceux-ci ni même le fait fautif de l’enfant.

 

La responsabilité pour faute maintenue et confortée

7-Toutefois, il ne faut pas surestimer cet avantage. La faute occupe toujours une place centrale dans le droit de la responsabilité, comme l’atteste la sous-section 1 sur le « fait générateur de responsabilité extracontractuelle » qui traite en premier de la faute (art. 1241) et en second seulement de la responsabilité de plein droit (art. 1242). Ceux qui militent pour l’instauration d’une obligation de résultat en sont pour leur frais ! Dans les rapports entre les adhérents et les associations de jeunesse la responsabilité pour faute demeure la règle[5]. La mise en jeu de la responsabilité de l’organisateur est subordonnée à la violation d’une prescription légale ou à un manquement au devoir général de prudence ou de diligence (ce qui équivaut à l’obligation de sécurité de moyens) et la victime aura, comme auparavant, la charge d’en rapporter la preuve (art. 1242). La faute n’est pas évacuée du droit de la responsabilité qui conserve sa fonction morale de régulation des comportements[6]. Celle du fait des choses, dont les conditions sont maintenues, n’aura qu’une place marginale. En effet, les enfants acquièrent la garde des matériels que ceux-ci mettent à leur disposition comme un vélo ou une paire de ski. L’article 1243 ne devrait s’appliquer qu’aux dommages causés par des équipements lourds pour lesquels la garde n’est pas transférable[7].

8-Il n’y a donc pas de bouleversement à attendre de l’avant projet pour les organisateurs d’accueils collectifs de mineurs et pour les organisateurs sportifs, sauf sur le terrain de la responsabilité du fait d’autrui qui accorde une place nouvelle à la présomption de faute.

 

La place nouvelle accordée à la présomption de faute

9-C’est sur le terrain de la responsabilité du fait d’autrui que l’évolution devrait être la plus sensible. L’article 1245, qui en réaffirme le principe dispose que « cette responsabilité suppose la preuve d’un fait de nature à engager la responsabilité de l’auteur direct du dommage ». On a justement fait remarquer que ce texte allait mettre fin à la différence de traitement discutable entre la responsabilité des parents fondée sur un simple fait causal de l’enfant mineur et les autres cas de responsabilité du fait d’autrui où la victime doit rapporter la preuve d’une faute de l’auteur du dommage, comme c’est notamment le cas pour la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Soit ! Mais la référence à la commission « d’un fait » est ambiguë. Il vise par sa généralité aussi bien le fait fautif que le fait non fautif. D’où une question qui intéresse particulièrement les parents d’enfants mineurs ayant blessé leur camarade lors d’un jeu organisé dans le cadre d’un séjour de vacances ou d’un accueil de loisirs : les juges vont-ils maintenir la mise en jeu de leur responsabilité pour fait non fautif du mineur ou leur appliquer le régime de responsabilité des commettants ? L’emploi d’un terme aussi général que celui d’un « fait » comme fait générateur de responsabilité par le législateur offre toute latitude à la Cour de cassation pour trancher dans un sens ou l’autre.

10-L’article 1245 limite les cas de responsabilité du fait d’autrui « aux cas et aux conditions posés par les articles 1246 à 1249 ». A cet égard, l’article 1248 mérite une attention toute particulière. Ce texte dispose que « les (autres) personnes qui, par contrat assument, à titre professionnel, une mission de surveillance d’autrui ou d’organisation et de contrôle de l’activité d’autrui, répondent du fait de la personne physique surveillée à moins qu’elles ne démontrent qu’elles n’ont pas commis de faute ». Une question s’impose d’emblée : quel va être son champ d’application ? Ce texte vise-t-il uniquement les associations à qui des personnes difficiles sont confiées par contrat ou aura-t-il un domaine d’application plus large incluant les enfants accueillis en séjours de vacances ou en centres de loisirs? Ce sera aux tribunaux d’en décider. Néanmoins, une interprétation large n’est pas à exclure. Les organisateurs d’accueils collectifs de mineurs exercent assurément la surveillance des enfants qu’ils ont en charge ainsi que l’organisation de leurs loisirs. Un point cependant, pourrait faire difficulté. L’article 1248 évoque l’exercice d’activités « à titre professionnel ». C’est assurément le cas de l’organisateur d’accueils collectifs de mineurs qui en fait une activité commerciale et emploie durant toute l’année des personnels d’animation. En revanche, on peut avoir des doutes pour l’association qui ouvre un centre de loisirs municipal les mercredis à l’intention des enfants de la commune. Il s’agit d’une activité exercée à temps partiel pour répondre à une demande locale.

11-En admettant que les tribunaux appliquent l’article 1248 aux associations de jeunesse, le régime de responsabilité qui serait mis en œuvre mérite l’attention. A l’heure actuelle, quand un enfant blesse son camarade dans un accueil de loisir, les parents qui demandent réparation du dommage à l’organisateur de l’accueil doivent rapporter la preuve d’une faute de surveillance des animateurs en charge de l’encadrement des enfants.

12-Voyons ce qu’il en sera demain si l’article 1248 est adopté en l’état. Son régime est fondé sur une présomption de faute équivalente sur le terrain contractuel à une obligation de sécurité renforcée. Dans le cas de l’enfant blessé par son camarade dans un accueil de loisirs, l’organisateur sera présumé avoir manqué à son devoir de surveillance. A charge pour lui de détruire cette présomption et de rapporter la preuve d’une absence de faute de sa part et de celle de ses préposés dans la surveillance de l’activité. L’avancée est loin d’être négligeable. Ce renversement de la charge de la preuve est favorable aux victimes qui pourront plus facilement engager la responsabilité de l’organisateur.

13-En revanche, pour les clubs sportifs amateurs c’est l’inverse : la réforme devrait opérer en leur faveur. La présomption de responsabilité dont ils sont tenus deviendrait une présomption de faute dont ils pourront se défaire par la preuve contraire, par exemple en démontrant que des consignes fermes de jeu régulier ont été données à leurs joueurs, que celles-ci figurent dans le règlement intérieur du club et que celui-ci prévoit des sanctions disciplinaires contre ceux qui les enfreindraient. La situation de victime à qui la Cour de cassation impose déjà d’établir la faute de l’auteur du dommage s’en trouverait fragilisée.

 

 Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.

En savoir plus : 
L’ordonnance du 10 février 2016
Projet du 13 mars 2017 

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] L. Cadiet, Sur les faits et les méfaits de l'idéologie de la réparation, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges P. Drai, Dalloz, 2000, p. 495-510, spéc., p. 502.

[2] A. Tunc, Le droit en miettes, in La responsabilité, APD, t. 22, 1977, p. 31 s.

[3] Rapport du Sénat remis le 15 juillet 2009.

[4] Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile : maintenir, renforcer et enrichir les fonctions de la responsabilité civile. Mustapha Mekki.

[5] Les cas où le dommage est causé par une chose dont le club est gardien sont marginaux car, le plus souvent, le matériel est remis à l’adhérent qui en devient à son tour gardien.

[6] Quel motif un organisateur sportif aurait-il à s’assurer que toutes les précautions ont été prises pour éviter la survenance d’un accident s’il est considéré comme responsable même en l’absence de faute de sa part et que son assureur en responsabilité lui garantit la réparation du dommage ?

[7] Comme une piscine gonflable ou un toboggan.

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