L’arrêt du 15 décembre 2011 , de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation n’a pas fini de faire couler de l’encre ! La question brûlante de l’obligation de sécurité de moyens des organisateurs sportifs resurgit à propos d’un banal accident d’escalade sur un mur artificiel. D’un côté, la Haute juridiction s’entête à vouloir maintenir l’obligation de moyens et s’emploie, de l’autre, à en faire l’antichambre de l’obligation de résultat. Elle imposait déjà aux clubs une obligation de surveillance vigilante pour l’encadrement de sports à risque par des débutants. Voilà qu’elle met aujourd’hui, à la charge des clubs d’escalade, la surveillance de cette activité pratiquée en autonomie sur des structures artificielles au risque de compromettre le développement de la discipline.

1-La pratique autonome de l’escalade en salle est brutalement remise en cause par cet arrêt de la Haute juridiction qui désapprouve une cour d’appel ayant débouté un amateur d’escalade artificielle, blessé à la suite d’une chute, alors qu’il pratiquait de l’escalade « à la moulinette » avec son partenaire, sans être sous la surveillance d’un éducateur.

2-La décision apparaît d’autant plus sévère que le président du club, qui avait vu arriver les deux jeunes gens avec d’autres étudiants, avait informé l’un des membres du groupe qu’il organisait une initiation. Mais aucun d’entre eux n’avait donné suite à cette offre.
3-La cour d’appel de Paris a déduit de ces circonstances qu’il ne saurait être reproché au club d’avoir manqué à une quelconque obligation de surveillance ou d’information. La 1ère chambre civile, dans un attendu de principe, affirme au contraire, qu’une association sportive est « tenue d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux et sur des installations mises à leur disposition, quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité ».
4-Cette décision est une nouvelle illustration de l’expansion de l’obligation de surveillance. Sa mise en œuvre s’imposait jusqu’à présent aux organisateurs sportifs lorsque l’activité est à risque comme la gymnastique [1] ou les sports équestres [2] et que les personnes encadrées sont débutantes, surtout s’il s’agit d’enfants. Dans ces circonstances, le devoir de surveillance se double d’une obligation de vigilance. L’éducateur doit être, non seulement présent, mais attentif. Il ne peut à la fois être à la parade au cheval d’arçons et avoir en même temps l’attention retenue par l’inscription de notes sur un carnet [3]. Vigilante, la surveillance doit être également rapprochée. L’organisateur d’un baptême de plongée subaquatique doit faire la remontée « les yeux dans les yeux » [4] ; le moniteur d’équitation ne doit pas laisser son élève à l’arrière [5] et le moniteur de VTT se laisser distancer par ses élèves [6].
5-La 1ère chambre civile a même imposé une obligation de surveillance permanente à l’exploitant d’un karting, lui reprochant d’avoir laissé conduire pendant plusieurs tours une jeune pilote dont la chevelure volant au vent s’était enroulée autour de l’axe de rotation des roues arrière [7]. Que reste-t-il, dans ces conditions, de l’obligation de sécurité-moyens comme le relevait l’annotateur de l’arrêt [8] ? On est à deux doigts de l’obligation de résultat où l’exploitant s’engage à ce que les participants terminent sains et saufs l’activité en toutes circonstances.
6-La Cour de cassation avait cependant admis que l’obligation de surveillance ne s’imposait pas en dehors du cours et que la victime d’un accident survenu après l’entraînement ne pouvait en faire supporter la responsabilité à son club [9].
7-Par ailleurs, le haut niveau d’exigence de l’obligation de surveillance avait toujours eu une double justification : la dangerosité de l’activité [10] d’une part et la vulnérabilité des personnes encadrées, d’autre part. L’une n’allait pas sans l’autre. Ainsi dans un récent arrêt du 14 septembre 2011 la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (voir notre commentaire) avait condamné un club de football pour avoir laissé sans surveillance des enfants dans un vestiaire dont une porte de douche non sécurisée s’était brusquement rabattue sur les doigts d’un enfant. En l’occurrence le risque d’accident provenait d’un équipement défaillant dont la victime, du fait de son jeune âge, n’avait pu mesurer le danger.
8-Dans la présente espèce, les deux grimpeurs n’étaient ni des enfants ni des débutants. La cour d’appel a pris soin de relever que la victime était un adulte licencié de la Fédération Française de Montagne et d’Escalade et déjà expérimentée. On pourrait alors penser que la dangerosité de l’activité est devenue l’unique condition de l’obligation de surveillance permanente. Peu importe alors le niveau et l’âge des participants. Un détail pourtant jette le trouble sur la signification de l’arrêt : la Cour de cassation ne fait ici nullement référence à la dangerosité de l’activité dans son attendu de principe. Faut-il en déduire que l’obligation de surveillance s’impose désormais à tout club mettant ses installations à la disposition de ses adhérents, non seulement lorsque ses utilisateurs ne sont pas des novices, mais aussi lorsque l’activité n’est pas reconnue comme dangereuse ? Dans ce cas, ne seraient pas seulement concernés les clubs d’escalade, mais tous les autres sports pratiqués en salle où des équipements ne présentant pas de dangerosité particulière, comme les appareils de musculation, sont mis sans surveillance spécifique, à disposition des pratiquants.
9-On relèvera, également, qu’il y avait un cadre présent dans la salle au moment de l’accident. Simplement, il n’exerçait pas de surveillance directe sur les deux grimpeurs. Dès lors, il faut considérer que l’obligation de surveillance mise à la charge des clubs doit être non seulement constante mais rapprochée. L’éducateur présent doit avoir, à tout instant, un œil sur chaque grimpeur. Il faut bien mesurer la portée de ce niveau d’exigence qui pourrait être insupportable pour les petits clubs dont l’encadrement est souvent limité au minimum et composé habituellement de bénévoles. Un moniteur ne peut pas à la fois initier les débutants et surveiller les autres utilisateurs. Il faudra donc renforcer l’effectif d’encadrement ou refuser la pratique autonome. Le développement de la discipline pourrait s’en trouver affecté.
10-Il ne suffira pas de relever, pour rassurer les clubs, que ce nouveau renforcement de l’obligation de surveillance ne concerne que des équipements en salle à l’exclusion des installations de plein air. En s’affranchissant des critères de dangerosité et de vulnérabilité des personnes encadrées, la Cour de cassation poursuit l’expansion de l’obligation de sécurité et se rapproche à grands pas de l’obligation de résultat.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour de cassation, 1er chambre civile, 15 décembre 2011



Notes:

[1] Elèves âgés de 8 ans laissés sans surveillance s’entraîner seuls au cheval d’arçons. Civ. 7 janv. 1982, Club de gymnastique « les enfants du devoir » c/ R. Guillot.

[2] Les enfants d’une colonie de vacances ont été envoyés chercher seuls les chevaux hors du manège Civ. 1, 18 nov. 1986, Bull. civ. I, n° 270, p. 259.
[3] TGI Laon, 16 avr. 1991, Coupain c/ CPAM St Quentin.
[4] T. Corr. Mulhouse, 14 févr. 2002, Juris-Data n° 215633. Dans le même sens Nancy 15/11/2004 Juris-Data n° 286677. Bordeaux 1er avr. 2003 Juris-Data n° 213646.
[5] Paris, 3 févr. 1982, D. 1984, somm. p. 187 note E. Wagner – Versailles, 10 nov. 1988, D. 1989, Inf. rap. p. 24 – Aix-en-Provence, 10ème ch. 25 janv. 1994, Juris-Data n° 041173 et 14 sept. 1994, Juris-Data n° 046438. Paris, 7 mai 1998, 1ère ch. sect. B SARL Du Clos de la Bonne – Besançon, 19 déc. 2001. Juris-Data n° 180882 – Rennes, 8 nov. 2006, Juris-Data n° 325556.
[6] Civ.1, 11 mars 1997, Bull. civ. I, n° 89, p. 58. Dans le même sens : Rennes, 14 juin 1994, Le Hiress c/ Le Quiniou ; association Chêne et Roc.
[7] La malheureuse fut victime du scalp de sa chevelure. Civ 1, 11 déc. 1999, Bull. Civ. 1999 I n° 330 p. 215.
[8] J. Mouly « La responsabilité des organisateurs d’activités sportives : obligation particulière de prudence ou obligation implicite de résultat ? » D 2000 p. 287.
[9] Civ. 1, 22 mai 2007, n° 05-13689. En l’occurrence elle a estimé qu’une association de judo utilisant une salle communale mise à la disposition de tous les sportifs, n’avait pas commis de faute en laissant un de ses membres sans surveillance après la fin du cours dès lors qu’elle n’avait pas le pouvoir d’imposer à un adulte de sortir de cette salle ni le devoir de l’informer des risques liés à l’utilisation d’un trampoline.
[10] « Le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux » Civ. 1, 29 nov. 1994, Bull. civ. I, n° 351, Gaz. Pal. 1, panor. p. 86. Civ.1, 5 nov. 1996, Bull. civ. I n° 380. D. 1998, somm. 37 obs. A. Lacabarats. Civ. 1, 16 oct. 2001, Bull. civ. I n° 260, p.164. D. 2002, somm. 2711 obs. A. Lacabarats. JCP 2002, 2, 10194, note C. Lièvremont. RTD civ. 2002, p. 107 obs. P. Jourdain. Gaz. Pal. 2002, 1374, note P. Polère.

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