L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 4 avril 2013 est l’occasion de rappeler que la responsabilité des communes n’est pas automatiquement engagée du seul fait de la survenance d’une noyade. Les ayants droits de la victime doivent établir une faute dans le fonctionnement du service public de surveillance. En l’espèce, les circonstances de l’accident ne suffisent pas à la caractériser. De surcroît en admettant qu’il y ait eu un manque d’attention de la part des maîtres nageurs, il n’est pas établi que celui-ci ait eu une incidence quelconque sur le décès d’une baigneuse.

1-La baignade en mer est plus redoutable qu’en piscine. L’espace à surveiller, comme la visibilité ne sont pas comparables. De surcroît, l’eau d’un bassin de natation n’est pas affectée de vagues comme sur une plage. Dans ces conditions les baigneurs vulnérables, comme les personnes âgées plus exposées que la moyenne au risque de malaises, prennent d’incontestables risques en s’éloignant du bord. C’est dans de telles circonstances que des maitres nageurs, alertés par le mari d’une baigneuse de 74 ans qui s’était aperçu de sa disparition alors qu’il était revenu à quelques mètres du bord, ont retrouvé son corps à soixante mètres du bord  flottant la tête en dessous de l’eau. Un des deux maîtres-nageurs de service a plongé immédiatement puis ramené le corps de la victime sur la plage. Leurs efforts pour la réanimer n’ont pas aboutis, celle-ci étant déjà décédée d’un arrêt cardiaque lorsqu’elle a été sortie de l’eau.

2-Saisi d’une action en réparation formée contre la commune par le conjoint de la victime, le tribunal administratif de Toulon rejette sa demande. La cour administrative d’appel de Marseille confirme le jugement.

3-Cet arrêt mérite l’attention à un double titre. D’abord, les juges observent qu’aucune « faute ne peut être reprochée à la commune  dans les circonstances très particulières de l’espèce ». Ensuite en admettant que la partie de la plage en cause ait été insuffisamment surveillée au moment où la victime est décédée, ils observent que ce manquement « ne suffit pas à établir l’existence d’un lien de causalité entre ce décès et le comportement des maîtres-nageurs ».

4-Il est acquis qu’il n’y a pas faute du seul fait que les maîtres nageurs n’ont pas constaté par eux-mêmes l’accident, ce qui était le cas en l’occurrence puisque c’est le conjoint de la victime qui a donné l’alerte. Quelle que soit l’attention qu’ils portent aux baigneurs, il ne leur est pas possible de suivre individuellement chaque usager, surtout lorsque la zone de surveillance s’étend sur plusieurs centaines de mètres. Par ailleurs, il faut compter avec les personnes se livrant à des plongées successives par jeu, comme celles pratiquant l’apnée. Les personnels de surveillance ne peuvent pas tenir mentalement un compte exact de la réapparition de chacun d’eux à la surface. Leur responsabilité n’est donc pas nécessairement engagée s’ils n’ont pas été les premiers à constater la noyade dès lors qu’ils étaient à leur poste au moment de l’accident (CAA Nancy, 20 févr. 2003, n° 97NC02126).  La seule circonstance que le noyé ait été secouru par un tiers ne suffit pas à établir un défaut de surveillance (TA Rennes, 3ème chbre, 8 avr. 2004 n° 01-658). L’essentiel est que le sauvetage s’effectue sans délai, ce qui a été fait puisque l’arrêt rapporte «  qu’immédiatement un des deux maîtres-nageurs de service ce jour-là a plongé puis ramené le corps de la victime sur la plage ».

5-Il n’empêche que les maîtres nageurs n’étaient pas à leur poste au moment de la noyade. Le chef de poste était occupé à brancher un tuyau d’eau afin de se rafraîchir après avoir surveillé un groupe d’enfants qui chahutait. Son collègue déjeunait dans le poste de secours dont la plage était toutefois visible depuis l’intérieur. Il apparait difficile, dans de telles circonstances, que les deux maîtres nageurs aient pu prêter attention à un nageur en difficulté à 60 mètres du rivage. Sans doute un maître nageur a droit de se restaurer. La cour d’appel de Grenoble l’a admis lorsque rien n’avait été prévu pour son repas (4 octobre 1989, Juris-Data n° 046209).  Elle  relève cependant que l’intéressé en avait avisé son collègue. Or, dans la présente espèce, les deux surveillants ne se sont pas coordonnés. Si l’un était en train de se restaurer, l’autre aurait dû être en position de surveillance au lieu de brancher un tuyau d’eau. Pourtant, les juges ne se sont pas attardés sur ce manque d’attention. En effet, ils ont relevé « le fait, à le supposer même établi, que la partie de la plage en cause aurait été insuffisamment surveillée au moment où la victime est décédée, n’est pas de nature à démontrer par lui-même l’existence d’un lien de causalité entre ce décès et le comportement des maîtres-nageurs ». En somme, il est inutile de caractériser une faute quelconque s’il n’est pas établi qu’elle aurait permis d’éviter la survenance du dommage. Le lien de causalité est la pierre angulaire du droit des réparations civiles ! S’il vient à manquer, la victime qui a la charge d’en rapporter la preuve en subira les conséquences, sauf si le juge lui fait grâce d’en présumer l’existence. A cet égard, la connaissance  précise du moment  et de la cause du décès a une incidence déterminante. Selon les constatations de la cour d’appel la victime était « déjà décédée d’un arrêt cardiaque lorsqu’elle a été sortie de l’eau ». La vraie question est alors de savoir si cet arrêt cardiaque s’est produit soudainement ou, au contraire, plusieurs minutes après que la malheureuse se soit trouvée en difficulté. Dans le premier cas, le lien de causalité est inexistant car vu la distance qui séparait la victime du rivage les sauveteurs n’auraient pu intervenir à temps. En revanche, dans la seconde hypothèse, il est possible d’admettre qu’un manque d’attention même momentané ait retardé l’intervention des secours et fait perdre une chance de survie à la victime. Mais faute d’autopsie indiquant les causes précises du décès, il n’était pas possible aux juges de conclure à l’existence d’un lien de causalité. Le conjoint de la victime, à qui incombait la charge de la preuve de la causalité en aura fait les frais !

6-Enfin en admettant qu’un tel lien de causalité ait existé la commune aurait eu les moyens d’obtenir un allègement de sa responsabilité. En effet, nager à près de 60 mètres du rivage à l’âge de 74 ans est assurément une imprudence manifeste. Quand on sait la facilité avec laquelle les tribunaux administratifs retiennent la faute de la victime, il y a fort à parier que les juges auraient conclu à un partage de responsabilité.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
 

En savoir plus : 

Cour Administrative d’Appel de Marseille le 4 avril 2013

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CAA MARSEILLE 4 AVRIL 2013 



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