L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 3 juillet 2012 rappelle, en application d’une jurisprudence constante, que les communes exploitant des établissements de bains sont soumises à une responsabilité pour faute. Elles prennent l’engagement, vis-à-vis de leurs usagers, d’assurer la surveillance des bassins et de venir à leur secours en cas de noyade. En revanche, elles ne leur promettent pas de sortir indemnes de l’établissement. Leur responsabilité ne découle pas de la seule survenance de l’accident, mais d’un fonctionnement défectueux du service de surveillance ou d’un retard dans l’organisation des secours dont la charge de la preuve incombe à la victime. 

1-L’usager d’une piscine municipale est victime d’un malaise cardiaque au cours de son bain. Il est  retrouvé inanimé au fond du grand bassin, puis décède une heure plus tard après avoir reçu les premiers secours qui lui ont été prodigués sur place. Son épouse actionne la ville de Paris pour obtenir réparation des préjudices moraux que son fils et elle-même ont subis.  Elle impute la noyade mortelle à un manque de vigilance du personnel chargé d’assurer la surveillance de la piscine municipale, ainsi qu’un retard dans les secours apportés à son conjoint.

2-Après avoir relevé que le personnel de surveillance avait accompli les diligences normales de sa mission, la cour administrative d’appel confirme le rejet de l’action en réparation par le  tribunal administratif. Elle considère « qu’aucune faute imputable au personnel de surveillance, qui aurait eu pour conséquence de priver la victime d’une chance de réanimation et serait de nature à engager la responsabilité de la ville de Paris,  n’est établie ».

3-Le juge applique ici les règles habituelles de la  responsabilité pour faute qui sont  propres au fonctionnement du service public. Comme dans tous les régimes de responsabilité, le fait générateur doit être relié au dommage par un lien de causalité. Pas de responsabilité si le fonctionnement défectueux du service n’est pas la cause du dommage ! Dès lors, il revenait aux juges de déterminer si le décès du baigneur était la conséquence directe de son malaise cardiaque, mettant ainsi hors de cause la commune (I), ou s’il était imputable à la faute des personnels de surveillance  qui auraient manqué de vigilance (II).

I- Le lien de causalité

4-On remarquera, tout d’abord, que l’épouse de la victime n’impute pas directement le décès de son conjoint à une défaillance du service de surveillance. Elle le rend responsable d’être à  « l’origine d’une perte de chance pour celui-ci d’être réanimé ». Sage précaution ! En effet, il lui était impossible d’établir avec certitude que son conjoint aurait survécu si le service avait normalement fonctionné. D’où la parade, admise par la jurisprudence, d’une perte de chance de réanimation. S’il est  impossible d’établir avec certitude qu’un défaut de surveillance est la conséquence du décès, il est toujours possible, en revanche, d’admettre sans risque d’erreur qu’un manque de surveillance a pu faire perdre une chance de survie.

5-Etait-ce le cas en l’occurrence ? Le litige aurait été rapidement tranché si le malheureux était décédé immédiatement après son malaise cardiaque. Dans ce cas, le juge n’aurait même pas eu à s’interroger sur la conduite des personnels de surveillance. En effet, même dans le pire des cas, celui où les maitres nageurs se seraient absentés du bassin -faute lourde par excellence- la responsabilité de la commune n’aurait pas pu être engagée.  Il suffit pour l’établir de raisonner comme si le personnel avait été particulièrement vigilant et avait réagi immédiatement après le malaise. On voit bien que son intervention aurait été inutile puisque effectuée sur une personne déjà décédée.

6-Cette hypothèse doit être écartée puisque le décès n’est pas survenu immédiatement, mais une heure après que la victime ait été trouvée inanimée au fond du grand bassin. A la lumière de cette constatation, il faut se demander si elle avait une chance de survivre dans le cas où l’intervention aurait été immédiate. C’est la thèse défendue par l’appelante. Mais elle suppose que son époux ait pu effectivement être réanimé et que le laps de temps qui s’est écoulé entre la survenance du  malaise et le moment où il a été repêché a été anormalement long.  Or l’instruction n’a fourni aucune indication sur ces deux données. On ignore si la victime pouvait survivre après son malaise et si l’intervention a été tardive.

7-Dans le doute, les juges privilégient l’accident cardiaque comme cause déterminante du décès.

Ce parti pris ne doit rien au hasard mais aux circonstances de fait de l’espèce. Le rapport d’autopsie révèle que le décès a été causé par un malaise cardiaque dû à une sténose coronarienne et aucun élément en faveur de l’hypothèse d’une noyade par immersion  n’a été retrouvé.  Dans la noyade par immersion classique, le noyé même s’il inhale un peu d’eau, conserve suffisamment de conscience pour lutter pendant quelques minutes en se débattant ou en criant. En l’occurrence, rien de tel ; le malaise a été soudain et  n’a été précédé d’aucun signe de détresse qui aurait pu alerter les maîtres nageurs présents sur les lieux. Faut-il en déduire que le service de surveillance a normalement fonctionné ?

II- La faute

8-L’appelante a une toute autre version et considère, au contraire, qu’il a été défectueux à un double titre. D’abord l’alerte n’a pas été donnée par les maîtres nageurs, mais par un usager de l’établissement. Ensuite, ceux-ci étaient assis, selon elle, à un endroit du bassin éloigné de l’accident. Elle veut voir dans ces circonstances un manque de vigilance de leur part.

9-Le fait que l’alerte ait été donnée par un usager ne révèle pas nécessairement une défaillance du service de surveillance, s’il est établi, comme cela a déjà été jugé, que  l’accident s’est produit dans un délai très court et que  la victime a été rapidement secourue[1]. Or c’est bien ce scénario qui s’est produit puisque l’accident a été si soudain que la victime a coulé à pic. Le juge administratif raisonne ici comme le juge judiciaire pour lequel l’exploitant n’est pas tenu à une obligation de résultat. Ainsi, certains tribunaux de grande instance relèvent que l’obligation de surveillance n’implique pas « de suivre individuellement chaque client qui évolue librement au sein d’un établissement ouvert au public »[2]. Quelle que soit l’attention qu’ils portent aux baigneurs, les personnels de surveillance ne peuvent pas « tenir mentalement un compte exact de la réapparition à la surface » de chacun d’eux[3].

10-En ce qui concerne la position des maîtres nageurs l’arrêt se contente de signaler que l’épouse n’a pas rapporté la preuve qu’ils étaient assis en un lieu éloigné de l’accident. Le doute profite donc à l’exploitant. C’est tout l’intérêt qu’il peut tirer d’un régime de responsabilité pour faute. Dès lors que la charge de la preuve incombe à la victime et que les circonstances de l’accident sont indéterminées, le défendeur est présumé vierge de toute faute.

11-Cette présomption est renforcée par l’absence de signes de détresse de la victime. En définitive, le décès ne pouvait être imputé à une faute de surveillance en l’absence de  preuve formelle que les maitres nageurs bavardaient, consultaient leur portable, où se trouvaient éloignés du bord du bassin avant l’accident.

12-Si un certain flou demeure sur les conditions dans lesquelles était organisée la surveillance, en revanche, il est clairement établi qu’il n’y a eu aucun retard dans l’organisation des secours. Une fois l’alerte donnée, les maîtres nageurs ont agi sans délai, la victime ayant été ramenée rapidement à la surface et immédiatement prise en charge par les sauveteurs qui ont dégagé ses voies respiratoires, pratiqué la respiration artificielle et des massages cardiaques.

13-Cette décision est l’occasion de rappeler que l’exploitant d’un établissement de bains n’est pas responsable du seul fait de la survenance d’un accident. Il est soumis à une responsabilité pour faute et non à une responsabilité de plein droit. A charge pour la victime d’établir que le personnel de surveillance n’a pas normalement accompli ses fonctions. Lorsque les circonstances de l’accident demeurent indéterminées le rejet de la demande en réparation est inexorable comme c’était le cas dans la présente espèce où on ignore le laps de temps écoulé entre le malaise et le repêchage ainsi que la position exacte des maîtres nageurs.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

En savoir plus :

Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour Administrative d’Appel de Paris du 3 juillet 2012



Notes:

[1] En ce sens, CAA Nancy, 9 avr. 1992, Consorts Pedron. CAA Nancy, 30 nov. 1993, commune de Montbard,  Juris-Data n° 045836. CE 6 juin 1975, Epoux Schreiber, CE 5 oct. 1973, ville de Rennes. CE 19 mai 1983, Policardo. D 1884.I.R.335 (note Moderne et Bon).

[2] Paris 2 mars 2001, Sté Aquaboulevard de Paris, Juris-Data n° 143497. Ainsi, la victime d’attouchements ne rapporte pas la preuve d’un manque de surveillance de l’exploitant si ces faits et la tentative d’arrachement de son slip de bain se sont déroulés dans un laps de temps très court et que ses cris ont permis l’interpellation quasi immédiate de l’agresseur.

[3] Trib. Corr. d’Evreux 16 déc. 1971.

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