L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mars 2011, qui  n’a pas eu les honneurs du bulletin civil, mérite cependant d’être signalé à un double titre. D’une part,  les condamnations pénales pour mise en danger d’autrui sont plutôt rares dans le contentieux des accidents sportifs. Aussi, le rejet du pourvoi formé par un amateur de jet ski contre sa condamnation ne doit pas passer inaperçu. D’autre part, il est reproché à la cour d’appel d’avoir admis la constitution de partie civile de la Fédération nautique de pêche sportive en apnée offrant ainsi l’occasion à la Haute juridiction de préciser sa jurisprudence sur les constitutions de parties civiles des fédérations sportives.

1-Les faits de l’espèce révèlent une fois de plus l’inconscience de certains pratiquants dont l’indifférence pour la sécurité d’autrui n’a d’égale que leur passion insensée pour les sports de vitesse. Alors que se dispute le Trophée national de pêche sous-marine en apnée, un amateur de jet ski  traverse la zone de compétition à vive allure malgré un rappel à l’ordre des juges. Le président de la FNPSA organisatrice de l’épreuve dépose plainte pour mise en danger d’autrui et se constitue partie civile. Les juges du fond estiment que les éléments constitutifs du délit sont réunis et que la constitution de partie civile de la fédération est recevable. La chambre criminelle n’approuve qu’à moitié cette décision. Elle admet que le délit de l’article 223-1 a bien été « caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel » (I). En revanche, elle censure l’arrêt pour avoir accordé des indemnités à la fédération alors qu’elle n’avait pas  d’intérêt direct et personnel à agir (II).

I- La mise en danger d’autrui

2-Il n’est guère d’infractions pour lesquelles le législateur a eu la main aussi tatillonne pour définir ses éléments constitutifs que la mise en danger d’autrui. Qu’on en juge !  Primo, il faut avoir enfreint une obligation de prudence ou de sécurité prévue par une loi ou un règlement. En l’absence de texte, une imprudence, même caractérisée, ne peut être retenue comme élément constitutif de l’incrimination. Secondo, il ne peut s’agir que de la violation d’une obligation particulière de sécurité c’est-à-dire d’une obligation imposant un modèle de conduite. Si le prévenu a une marge d’appréciation pour l’exécuter,  l’obligation est générale et son inobservation n’entre pas dans les prévisions du délit. Tertio, la violation doit être manifestement délibérée. Cela suppose, d’une part, que le prévenu ait eu connaissance de l’obligation de sécurité enfreinte et d’autre part,  qu’il ne l’a pas méconnue par négligence mais qu’il ait agi délibérément.  Quarto, il faut établir que sa violation a exposé autrui à « un risque direct et immédiat ». Cela implique que le texte enfreint ait pour objet la sécurité des personnes et que sa violation les mette effectivement en danger. Il faut donc nécessairement un lien de causalité entre la violation du texte et le risque pour autrui.

3-Cette accumulation de conditions est un frein important à l’application du délit. Aussi n’est-il guère surprenant que dans de nombreuses espèces, faute d’en réunir tous les éléments constitutifs, les poursuites se concluent par des relaxes. Or ce n’est pas le cas dans notre affaire où la chambre criminelle approuve sans réserve la cour d’appel pour avoir caractérisé l’infraction « en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel ».

Le pourvoi critiquait l’arrêt sur trois points. D’abord, pour avoir retenu contre le prévenu la violation de l’arrêté préfectoral ayant mis à la charge  de  la fédération la signalisation de la zone de compétition. Ensuite, pour lui avoir reproché une vitesse excessive sans qu’aient été produits les éléments matériels caractérisant cette allure autres que des déclarations de témoins. Enfin, pour n’avoir pas constaté que la violation de l’arrêté avait été délibérée.

4-La violation d’une obligation de sécurité légale ou réglementaire est l’élément central de la mise en danger d’autrui. Il est donc logique que l’infraction ne puisse être constituée que si les juges ont explicitement visé la loi ou le règlement enfreint par le prévenu. La Cour de cassation y veille. En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé la violation d’un arrêté préfectoral. Il faut donc en prendre  acte. Rien à redire également sur le caractère réglementaire de ce règlement ayant valeur constitutionnelle comme paraît l’exiger le singulier employé par le législateur pour désigner les règlements. En tout cas c’est ainsi que la jurisprudence l’entend qui refuse de prendre en considération les règlements intérieurs, circulaires ou instructions ministérielles.

5-La vraie question est ailleurs. L’arrêté prescrivait à l’organisateur d’installer une signalisation marquant l’obligation de respecter une distance de sécurité de 100 mètres. Cette obligation de signalisation s’imposait à l’organisateur mais pas aux conducteurs d’engins nautiques. Il fallait donc une disposition spéciale de l’arrêté prescrivant  l’obligation de respecter la distance de sécurité pour qu’il puisse leur être reproché de l’avoir enfreint. En supposant que cette disposition ait existé, il fallait encore établir que le prévenu l’ait violée. Or, comme l’observe le pourvoi, il ne ressort d’aucune des constatations des juges du fond que le pilote ait circulé à une distance de moins de 100 mètres des signaux indiquant la présence de plongeurs. En revanche, il lui a été explicitement reproché d’avoir circulé à une vitesse excessive. Mais ce moyen ne pouvait également être retenu qu’à la condition que soit cité le texte précisant la vitesse maximum autorisée.  La cour d’appel n’en faisant nullement état, il y a quelques raisons de penser qu’il n’existait pas.

6-Le second moyen soulevé par le pourvoi portait sur l’existence même du danger.  En l’espèce, les circonstances de fait révèlent que 50 plongeurs participaient à l’épreuve, que chacun était localisé par une bouée rouge et blanche et que le prévenu a circulé à une vitesse excessive dans la zone de compétition. Ces constatations ont paru suffisantes pour caractériser un danger imminent pour les plongeurs. La Cour de cassation, en d’autres temps, s’est montrée très pointilleuse sur ce sujet.  Ainsi, elle a estimé que la seule constatation de l’utilisation d’une chenillette dameuse sur une piste de ski fréquentée par des débutants avec un engin ne disposant d’aucun avertisseur lumineux et sonore ne suffisait pas à établir l’existence d’une situation dangereuse pour les skieurs. Il aurait fallu « préciser les circonstances de fait, tirées de la configuration des lieux, de la manière de conduire du prévenu, de la vitesse de l’engin, de l’encombrement des pistes, des évolutions des skieurs ou de toute autre particularité de l’espèce, caractérisant le risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente »[1]. Bien plus, elle a cassé un arrêt pour avoir retenu le délit contre un automobiliste roulant à une vitesse de 200 km un jour de grande circulation à une heure particulièrement fréquentée où les trois voies de circulation étaient utilisées « sans caractériser un comportement particulier s’ajoutant au dépassement de vitesse autorisé »[2].

7-En l’espèce, hormis la vitesse excessive du conducteur du jet ski, il n’est pas fait état  « d’un comportement particulier » de sa part. On ignore, si les plongeurs étaient rapprochés ou distants les uns des autres et si le prévenu est ou  non passé à proximité immédiate de bouées localisant leur présence.

8-La Cour de cassation a donc été peu tatillonne sur l’élément matériel de l’incrimination. Il faut, sans doute, en rechercher  la raison dans le comportement choquant du prévenu vis-à-vis des organisateurs qui répond en tout point à l’exigence d’un acte délibéré.  Il ne pouvait ignorer l’obligation de respecter une distance de sécurité puisqu’elle était mentionnée sur le pavillon spécial dont était équipée chacune des douze embarcations entourant la zone de compétition et sur les panneaux d’information apposés à la sortie du port et dans les deux communes environnantes. En outre, il a  bien agi délibérément  et non par inattention puisqu’il  a été rappelé à l’ordre par les organisateurs lui intimant  de s’éloigner des lieux et, en réplique, a fait preuve « d’un tempérament belliqueux » à leur égard en  menaçant  d’envoyer de l’eau dans leur embarcation.

II- L’irrecevabilité de la constitution de partie civile

9-La Fédération nautique sportive de pêche en apnée s’était constitué partie civile et avait obtenu la condamnation du prévenu à lui verser 3 000 euros de dommages-intérêts. Le pourvoi contestait cette décision en faisant valoir « l’absence de tout préjudice découlant directement des faits poursuivis ». Le débat portait une fois de plus sur la question récurrente de l’intérêt d’une personne morale à agir.  Celui qui réclame réparation doit, en vertu des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, établir que son « préjudice matériel ou moral découle directement des faits, objet de l’infraction poursuivie ». Pas d’intérêt pas d’action!

Une personne morale a toujours intérêt à agir dans le cas d’atteinte à ses biens. En revanche, l’exigence de preuve d’un préjudice « direct » est plus difficile à établir lorsqu’elle se prévaut d’atteinte à  des intérêts collectifs. Les réticences de la chambre criminelle à admettre qu’elle puisse prétendre avoir « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction »  ont cependant été atténuées par les nombreuses lois qui, au fil du temps ont autorisé certaines d’entre elles à agir ou intervenir devant les juridictions répressives. Ainsi,  l’article L131-10 dispose que  « les fédérations agréées peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs de leurs licenciés et de leurs associations sportives ». On relèvera que cette habilitation, qui n’est ouverte qu’aux fédérations agréées, s’applique à la lésion des intérêts de leurs licenciés qu’ils soient directs ou indirects. Toutefois, la fédération nautique de pêche sportive qui n’a pas d’agrément ministériel ne pouvait bénéficier de ces dispositions. Il lui fallait donc établir  l’existence d’un intérêt personnel et direct. Sur ce  point, la cour d’appel et la Cour de cassation sont en parfait désaccord.

10-La première avait admis que la fédération justifiait d’un intérêt direct et personnel à agir en qualité d’organisateur d’une compétition sportive dès lors que sa responsabilité pourrait être engagée en cas d’accident survenant à un compétiteur. La Cour de cassation, au contraire, reprenant à son compte les moyens du pourvoi  considère que la violation par un tiers, d’une obligation particulière de sécurité à l’occasion d’une compétition organisée par une fédération sportive ne peut causer de préjudice direct qu’aux compétiteurs.

11-La recevabilité de la constitution de partie civile aurait sans doute été confirmée si le prévenu avait été poursuivi pour homicide ou blessure involontaire. Dans ce cas, en effet, il y aurait eu une atteinte directe aux intérêts de la fédération en qualité d’organisatrice de l’épreuve car sa responsabilité était susceptible d’être recherchée si un concurrent avait été heurté par le jet ski du fait d’une défaillance du service d’ordre de l’épreuve. En revanche, la mise en danger des concurrents par un tiers ne pouvait servir de fondement à une mise en jeu de sa responsabilité puisqu’il n’y a pas eu de concurrent blessé. Par ailleurs, elle ne portait pas directement atteinte aux intérêts que représente cette fédération et notamment aux règles déontologiques qu’elle est chargée de défendre[3] puisque l’acte incriminé n’était pas le fait d’un concurrent qui aurait enfreint les règles de la discipline fédérale mais le fait d’un tiers.

12-Sans doute, les concurrents informés de cette affaire peuvent estimer que leur sécurité n’a pas été véritablement assurée puisqu’un tiers a pu pénétrer dans l’espace réservé à l’épreuve. Un tel événement pourrait dissuader certains d’y participer à l’avenir. Dans ce cas, on pourrait  admettre que la fédération a subi une atteinte directe mais il  est  probable  que ce risque soit jugé trop aléatoire  pour être pris en compte.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour de cassation, chambre criminelle, 29 mars 2011



Notes:

[1] Crim. 3 avril 2001, n° 00-85546. Bull civ.  2001 n° 90 p. 288.

[2] Crim. 19 avril 2000 n° 99-87234. Bull civ.  2000 n° 161 p. 469.

[3] Cass. crim. 15 mai 1997. Bull. crim. 1997, n° 185

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