Dans un arrêt du 17 février 2016, la Cour de cassation précise les conditions de prêt de main-d’œuvre entre associations (Cass. soc., 17 février 2016 n° 15-12262).

Une association ayant pour activité la promotion sociale et professionnelle , moyennant rémunération, a mis à la disposition d’une autre association spécialisée dans la réinsertion de jeunes en difficultés l’un de ses salariés qui était chargé de dispenser, à ces jeunes, des cours dans plusieurs matières telles que le français ou les mathématiques. Cette mise à disposition était l’un des éléments d’un contrat plus global de prestations de services entre les deux associations. Suite au non-renouvellement de ce dernier contrat, le salarié a été licencié pour motif économique.

Prétendant que la convention constituait en réalité un prêt de main-d’œuvre illicite et par suite du marchandage, le salarié a saisi un conseil de prud’hommes afin de faire condamner notamment son ancien employeur, l’association, au paiement de dommages-intérêts. L’affaire a été portée devant une cour d’appel, puis devant la chambre sociale de la Cour de cassation.

L’article L. 8231-1 du Code du travail prévoit que « le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit ».
Tout l’enjeu de l’affaire résidait ainsi dans le fait de savoir si la mise à disposition du salarié moyennant paiement d’une rémunération constituait l’objet exclusif de la convention globale de services conclue entre l’association et l’entité utilisatrice.
La jurisprudence exige la réunion de deux conditions pour qu’un prêt onéreux de main-d’œuvre soit licite, à savoir l’existence d’un savoir-faire particulier de l’entreprise prêteuse et l’absence de transfert du lien de subordination à l’entreprise utilisatrice :
– en ce qui concerne la première condition, un prêt de main-d’œuvre est licite si l’entreprise prêteuse fournit, moyennant rémunération, une main-d’œuvre disposant d’un savoir-faire particulier et met en œuvre une technicité relevant d’une spécificité propre à l’entreprise. Ce savoir-faire doit être distinct de celui des salariés de l’entreprise utilisatrice ;
–  quant à la seconde condition, le maintien d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié mis à disposition permet de conserver le caractère licite d’un prêt de main-d’œuvre. Le lien de subordination traduit l’exercice des pouvoirs de direction et de sanction de l’employeur. S’il est transféré à l’entreprise utilisatrice, le prêt est illicite.

En l’espèce : La Cour de cassation estime que :
–  la première condition de la licéité de la mise à disposition du salarié est satisfaite. En effet, l’association disposait d’une « connaissance spécifique en matière de formation professionnelle » et les conventions conclues entre cette dernière et l’association utilisatrice avaient eu « pour objet de dispenser des formations qualifiantes à destination d’élèves inscrits dans une démarche spécifique de réinsertion », cette compétence n’étant pas acquise au personnel de l’entité utilisatrice qui était composé principalement d’éducateurs spécialisés ;
–  la seconde condition tenant à l’absence de transfert du lien de subordination ne fait pas non plus défaut. Les juges d’appel ont suffisamment caractérisé ce maintien : le salarié se soumettait à des entretiens annuels avec son employeur, il le sollicitait pour avoir des précisions sur ses conditions de travail et l’association lui envoyait régulièrement des instructions sur les termes de sa mission.

Lorsqu’une association réalise une prestation de services au profit d’un client et que cette prestation nécessite un prêt de main-d’œuvre par l’intermédiaire de la mise à disposition de l’un de ses salariés, le prestataire doit au préalable s’assurer que son client ne dispose d’aucune compétence ni moyen lui permettant d’exécuter lui-même la prestation qu’il requiert. Le prestataire aura tout intérêt à s’informer de l’objet social de son cocontractant et des activités qu’il est réellement en capacité d’exercer en interne. Si l’association prêteuse dispose d’un savoir-faire particulier, elle devra ensuite continuer à contrôler et diriger l’exécution des missions du salarié détaché afin de préserver le lien de subordination juridique. À défaut de telles diligences, le délit de démarchage pourra être constitué, entraînant, le cas échéant, des sanctions civiles (paiement de dommages-intérêts) et pénales (deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende).

Sarah CUTURELLO et Colas AMBLARD cabinet NPS CONSULTING

En savoir plus :

Cass. soc., 17 février 2016 n° 15-12262

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Documents joints:

cour-de-cassation-civile-chambre-sociale-17-fevrier-2016-15-12-262-inedit-legifrance

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