Le dopage doit être combattu sans faiblesse. Toutefois le risque est grand pour les besoins de la lutte contre ce fléau de s’en prendre aux libertés individuelles. La transposition dans le code du sport de la nouvelle version du code mondial antidopage par l’ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 révèle, à cet égard, la tension qui s’exerce entre le droit à l’intimité de la vie privé des sportifs[1] et la volonté des pouvoirs publics de réprimer efficacement le dopage. Il faut souhaiter que la mise en garde de l’ordonnance qui évoque, à deux reprises, la nécessité « d’une stricte proportionnalité entre les atteintes portées aux droits du sportif et les enjeux de la lutte contre le dopage » ne demeure pas lettre morte mais soit une préoccupation constante de l’Agence française de lutte contre le dopage.

1-Les lois relatives à la lutte contre le dopage se succèdent à intervalle régulier en renforçant à chaque fois les moyens mis à la disposition des pouvoirs publics. Le cas des opérations de contrôles est, à cet égard, exemplaire. L’article 10 l’article 226-4 du code pénal qui en réprime les atteintes.

 

2-L’ordonnance du 30 septembre revient sur ce principe et remet en cause l’accord préalable du sportif pour les contrôles réalisés à son domicile dans la journée. L’article (art. 76 CPP). N’est-ce pas prendre des libertés avec l’article 9 du code civil qui proclament le droit au respect de la vie privée. Sans doute, est-il précisé que la réalisation du contrôle devra se faire « dans le respect de la vie privée du sportif et de son intimité ». Mais cette précaution de langage donne surtout  l’impression d’une pétition de principe. Comment concrètement va-t-on respecter la vie privée du sportif et son intimité quand à toute heure de la journée un agent préleveur peut se présenter à son domicile sans l’en avertir et sans avoir à solliciter son consentement ?

 

3-Le respect de la vie privé ne va également pas sans une part de secret et notamment de confidentialité des déplacements. Nos concitoyens n’ont pas à avertir les pouvoirs publics de leurs allées et venues. Et pourtant ce droit à l’intimité a été écorné par l’ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 pourles sportifs, « constituant le groupe cible »[2]. Elle met à leur charge une obligation de localisation ((L232-17). Sans doute est-ce le même traitement réservé à la personne faisant l’objet d’un contrôle judiciaire à qui le juge d’instruction ordonne de l’informer de tous ses déplacements. Mais cette mesure s’applique à une personne mise en examen à l’encontre de laquelle il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions » (art. 59 CPP). Les  seules exceptions prévues par la loi concernent des infractions graves comme celles relatives à la législation sur les stupéfiants (Art. 706-35 CPP) et la criminalité organisée article 706-89 CPP) c’est-à-dire de crime ou délit « en train de se commettre ou qui vient de l’être » (Art.706-90 CPP).

 

5- En revanche, sauf si le sportif a donné son accord à une visite nocturne, l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention permettra à l’agent préleveur de se présenter à son domicile ou à tout autre lieu d’hébergement (comme une chambre d’hôtel) à toute heure de la nuit pour un prélèvement d’échantillon (art. L. 232-14-1). Nos champions auraient-ils donc moins de garanties que des trafiquants de drogue, les proxénètes ou les malfaiteurs ?

 

6- Une telle entorse à notre procédure pénale ne pouvait s’envisager sans que soient prévues des dispositions spécifiques pour limiter les atteintes au respect de la vie privée des sportifs. Aussi l’ordonnance a-t-elle mis au point un système complexe qui s’efforce de répondre à l’exigence de proportionnalité entre ces atteintes et l’efficacité de la lutte antidopage. Il porte à la fois sur les conditions et les modalités du contrôle nocturne et ne concerne qu’un nombre restreint de sportifs.[3]

 

7-Il faut, d’abord, s’assurer de l’accord de l’intéressé. Ce n’est qu’en cas de refus de sa part que l’on s’adressera, en dernier recours, au juge. Le directeur du département des contrôles de l’Agence française de lutte contre le dopage ou l’organisme sportif international compétent va donc le convier à renoncer par écrit et de son propre chef à l’inviolabilité de son domicile[4] (232-14-2). S’il refuse le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s’effectue le contrôle pourra donner, par une ordonnance écrite, l’autorisation d’effectuer des contrôles nocturnes. Cette ordonnance, qui n’est pas susceptible d’appel, est motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que l’opération est nécessaire. Le juge des libertés et de la détention pourra même autoriser de telles opérations si le consentement du sportif n’a pas été sollicité et s’il existe des soupçons graves et concordants qu’il va contrevenir de manière imminente à la législation antidopage[5] (232-14-2).. Ensuite, les conditions de déclenchement du contrôle sont strictement définies : les opérations ne peuvent se dérouler que s’il existe à l’encontre de l’intéressé des soupçons graves et concordants de dopage et un risque de disparition des preuves (art. (L 232-14-3). Par ailleurs, le procureur de la République  est informé du projet de contrôle préalablement à la saisine du juge des libertés et de la détention et peut s’y opposer Art. L. 232-9-1). Le cercle des personnes concernées par la mesure est plus étendu que ceux du groupe cible visés à l’article art. L. 230-4) peut bénéficier d’un sursis à exécution couvrant 75% de la sanction encourue. L’Agence française de lutte contre le dopage peut même, avec l’accord de l’Agence mondiale antidopage, étendre le sursis jusqu’à la totalité de la durée des sanctions dans le cas « de circonstances exceptionnelles tenant à la qualité de l’aide substantielle apportée » (Art. L. convention internationale contre le dopage dans le sport du 19 octobre 2005 que le Parlement Français a ratifiée le 5 février 2007 (publié par un décret n° 2007-503 du 2 avril 2007) et dans laquelle il s’engage à « adopter les mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés par le code mondial antidopage ». A chaque révision du code mondial, il faut transposer les dispositions qui ne sont pas automatiquement applicable, en droit interne. Le mieux que le gouvernement puisse faire est de tempérer les atteintes aux droits et liberté publics des compétiteurs en subordonnant les contrôles à des conditions draconiennes sous le contrôle d’un juge du siège.

 

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

 

En savoir plus : 

 

 

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

 

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Art. L. 230-3. Est un sportif au sens du présent titre toute personne qui participe ou se prépare :

« 1° Soit à une manifestation sportive organisée par une fédération agréée ou autorisée par une fédération délégataire ;

« 2° Soit à une manifestation sportive soumise à une procédure de déclaration ou d’autorisation prévue par le présent code ;

« 3° Soit à une manifestation sportive internationale.

[2] Il s’agit des sportifs inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau ou sur la liste des sportifs Espoirs (ou ayant été inscrits sur une de ces listes au moins une année durant les trois dernières années) ; des sportifs professionnels licenciés des fédérations agréées (ou ayant été professionnels au moins une année durant les trois dernières années) et des sportifs ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire.

[3] Il s’agit de ceux appartenant à l’une des catégories mentionnées à l’article L. 232-15, faisant partie du groupe cible d’un organisme sportif international ou qui participent à une manifestation sportive internationale.

[4] Le sportif sollicité dispose d’un délai d’un mois pour transmettre son consentement. A défaut de réponse dans ce délai, il est réputé l’avoir refusé.

[5] On songe ici aux coureurs cyclistes soupçonnés de dopage lors du tour de France.

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