Le succès des sports de rivière a son revers. Devenu sport de masse, la pratique du canoë et du kayak touche un public de plus en plus néophyte. Le côté ludique l’emporte souvent sur l’aspect sportif. Les participants à la recherche d’un moment de détente et de plaisir découvrent une activité dont ils ignorent tout des dangers. L’obligation d’information des loueurs d’embarcations s’en trouve renforcée comme l’atteste l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 24 février 2010.

1-Le redoutable piège du rappel a une fois de plus fait des victimes. En l’occurrence, trois jeunes gens locataires d’embarcations pour une journée de détente sur le canal de Nantes à Brest ont trouvé la mort par noyade dans le déversoir d’une écluse. L’information pénale ouverte sur cette affaire s’est soldée par une ordonnance de non-lieu à poursuivre. L’action en réparation engagée devant la juridiction administrative n’a pas eu plus de succès. Les familles des victimes ont alors recherché la responsabilité du club nautique loueur du matériel. Leur demande a été rejetée par les premiers juges pour un double motif. D’une part, pour absence de faute du moniteur qui avait attiré l’attention des jeunes sur les difficultés du parcours ; d’autre part, les juges ont relevé que ni l’absence de signalisation en amont du déversoir ni la présence d’une fourche de peuplier n’avaient joué un rôle causal dans l’accident. Le jugement est réformé en appel pour manquement du club à son obligation de conseil et d’information.

2-Le contentieux qui portait sur l’inexécution des obligations du contrat conclu entre le loueur et les victimes, avait pour fondement l’article 1147 du Code civil. Dans le cadre de sa responsabilité contractuelle, le loueur de matériel nautique a d’abord, comme le vendeur, une obligation de résultat, celle de remettre le bien loué. Il a, ensuite, une obligation de garantie contre les vices internes de l’embarcation. Il a, enfin, une obligation de sécurité à l’égard des locataires qui est normalement une obligation de moyens comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 23 novembre 2006 [1] [2].

3-La Cour d’appel de Rennes se range sans surprise à cette qualification d’obligation de moyens qui ne suscite aucune contestation de la part des parties. En réalité le débat est ailleurs. Il n’est question ni de l’existence de l’obligation de sécurité ni même de son degré d’intensité. C’est son contenu qui est en cause. En l’occurrence, l’arrêt considère « qu’elle comporte notamment une obligation de conseil et d’information ». D’après les juges, il ne s’agirait que d’une composante de l’obligation de sécurité. On se rangera à leur opinion, même s’il était possible d’y voir une obligation autonome et indépendante de l’obligation de sécurité, car il s’agissait de mettre en garde les locataires contre un danger pour leur sécurité matérielle.

4-Le principe d’un devoir d’information à la charge du loueur de kayak a été admis par la Cour de cassation dans son arrêt du 6 février 2001 [3]. Elle l’a toutefois subordonné à la « connaissance de difficultés ponctuelles sur le parcours » ce qui implique d’établir qu’il était avisé d’un danger. Ainsi, il ne peut lui être reproché de n’avoir pas alerté un client sur la présence d’une souche dangereuse qui s’est effondrée de la berge la nuit précédant l’accident, s’il n’en a pas eu connaissance [4] . En outre, comme l’indique la Haute juridiction le loueur « ne peut être tenu de s’assurer de l’inexistence permanente de tout obstacle sur celui-ci ». C’est bien la réaffirmation qu’il n’est tenu qu’à une obligation de moyens et que sa responsabilité n’est pas engagée du seul fait de l’accident.

5-Quel est exactement le contenu de l’obligation d’information ? La Cour d’appel de Rennes parle de conseil et d’information. Il serait préférable, à notre sens, de s’en tenir à une obligation unique, elle-même formée d’une obligation de renseignement et d’un devoir de conseil. La première se borne à mettre en garde, à attirer l’attention. En l’occurrence, elle consistait à alerter les locataires sur le danger du rappel. Le devoir de conseil est plus dynamique. Il implique « une orientation positive de l’activité du partenaire » [5]. En l’espèce, ce sont les instructions données par le préposé du club de passer la première écluse à pied et l’explication qu’il a fournie pour le franchissement des deux suivantes.

6-Le contenu du devoir d’information d’un loueur de matériel sportif est variable. Il dépend du niveau de sa clientèle et du degré de dangerosité de l’activité. Il n’a pas la même amplitude selon que le locataire est un sportif expérimenté et habitué aux dangers de la descente de rivière ou qu’il s’agit d’un débutant dans l’ignorance des risques de l’activité. Il faut aussi tenir compte des conditions dans lesquelles s’exerce la location. Elles sont différentes entre un magasin de sport d’un centre ville qui loue du matériel et l’exploitant d’un établissement sportif implanté à proximité immédiate du cours d’une rivière qui propose à sa clientèle d’en faire la descente. Le premier doit s’assurer que le matériel est bien adapté au niveau et aux besoins de son client. Le second assujetti aux mêmes vérifications devra, aussi, l’aviser des dangers qu’il est susceptible de rencontrer sur le parcours : obstacle, courant, déversoirs etc. En outre, il lui faudra tenir compte du degré de difficulté de l’activité en rapport avec le niveau et la condition physique de son client. Il aura même le devoir de le dissuader s’il ne possède pas l’expérience et les qualités athlétiques nécessaires à l’activité envisagée. Ainsi, les moniteurs encadrant une descente en raft ont une obligation d’information très complète comportant la vérification de niveau des participants et les amenant, au besoin, et malgré l’enthousiasme ambiant du groupe, à ne pas embarquer certaines personnes inconscientes des difficultés qu’elles vont devoir affronter [6] . En revanche, on n’ira pas reprocher au loueur de ne pas s’être assuré que le passage à pied qu’il avait conseillé ne présentait aucun danger pour un profane dès lors qu’à l’endroit où il a glissé, les abords de la glissière avaient été aménagés en pente douce pour favoriser le passage à pied [7]. Tout est affaire de circonstances !

7-Dans la présente espèce, le danger était doublement accru par l’inexpérience des pratiquants et par la puissance du courant faisant suite à une crue. D’une part, les juges relèvent qu’ils « n’avaient qu’une expérience limitée voire nulle de la pratique du canoë et du kayak ». D’autre part, ils notent que le passage des écluses qui présente d’ordinaire un certain danger « était rendu encore plus périlleux en raison de la hauteur d’eau et de la puissance du courant ».

8-Dans ces conditions, le devoir d’information du club s’en trouvait inévitablement alourdi. L’erreur de son préposé est de s’être contenté d’indiquer aux emprunteurs la méthode de passage des écluses et de leur avoir donné l’illusion qu’ils pouvaient le faire sans risque. Il n’a pas rempli son devoir d’information en ne les alertant pas sur le danger du rappel (obligation de renseignement) et ne les invitant pas à passer les écluses à pied (obligation de conseil). Pouvait-il opposer aux familles des victimes son ignorance de la dangerosité des lieux ce jour là ? C’est peu probable car sachant que le canal était encore en crue et fermé à la navigation quelques jours auparavant, il aurait dû se renseigner sur les conditions de navigation, d’autant qu’il n’ignorait pas avoir remis les embarcations à des néophytes.

10-Les loueurs sont avertis ! Ils doivent redoubler de vigilance avec leur devoir d’information d’autant plus impérieux qu’ils s’adressent à des néophytes et que les conditions de navigation sont dangereuses.

 

Jean-Pierre VIAL Docteur en droit Inspecteur de la jeunesse et des sports

En savoir plus :

Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur Un ouvrage de M Jean-Pierre Vial, Ed. Cadre Territoriale – septembre 2010 : voir en ligne

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] N° de pourvoi : 05-13441

[2] Celle-ci fournit d’intéressantes indications sur son contenu en relevant que le loueur « s’était personnellement assuré quelques temps avant l’accident de la navigabilité sans obstacle de la rivière non répertoriée comme dangereuse ; il avait fourni à la victime les consignes nécessaires à la navigation ainsi que les matériels de sécurité conformes aux prescriptions réglementaires et avait délivré une embarcation (…) n’ayant pas atteint l’âge limite d’utilisation en location ». Civ. 1, 21 nov. 1990, Bull. civ. III n° 236 p. 134.

[3] N° de pourvoi : 98-23221

[4] Civ. 1, 6 févr. 2001 précité.

[5] Voir Traité de droit civil, les conditions de la responsabilité de G. Viney et P. Jourdain. 2 édition n° 502.

[6] Aix-en-Provence, 4 juin 2002, Juris-Data n° 181253.

[7] Civ. 1, 29 sept. 2004, pourvoi n° 02-13109.

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