Les sports équestres sont une source inépuisable de contentieux alimentée en bonne partie par les accidents survenus lors de promenades à cheval. A la différence d’une reprise en manège qui se pratique sur un sol souple et dans un environnement protégé, les sorties équestres se déroulent en pleine nature. Il y a donc toujours le risque possible d’emballement d’un animal et de chute de son cavalier, s’il n’est pas parvenu à le maîtriser, comme c’est souvent le cas d’un débutant. C’est alors la conduite fautive, ou au contraire avisée du moniteur pour prévenir l’accident, qui va décider de la responsabilité de l’exploitant. A cet égard, les deux espèces commentées ci-dessous mettent bien en évidence la manière dont les juges apprécient l’obligation de sécurité des centres équestres, soit pour relever les défaillances de leur encadrement (C.A. Paris, 9 mars 2009) soit, au contraire, pour constater qu’il a normalement accompli sa mission (C.A. Colmar du 28 février 2007).

Comme il est de règle dans les litiges ayant trait à l’exécution d’un contrat, les juges avaient été saisis sur le terrain de la responsabilité contractuelle et sur le fondement de l’article 1147 du Code civil. Par ailleurs, il y avait, dans les deux espèces superposition d’une responsabilité du fait personnel -celle de l’exploitant- et d’une responsabilité contractuelle du fait d’autrui – celle de son préposé. L’exploitant répond, en effet, non seulement de ses propres fautes mais également de celles commises par toute personne qu’il inclut dans l’exécution du contrat comme, en l’occurrence, un accompagnateur pour encadrer la sortie.

1. – Obligation de moyen de l’exploitant d’un centre équestre

Il faut rappeler ici, comme le font d’ailleurs les deux arrêts, que les contrats de fourniture d’une prestation sportive sont assortis d’une obligation de sécurité, habituellement de moyen car, sauf exception, l’élève a un rôle actif. L’exploitant d’un centre équestre ne maîtrise pas le comportement du cavalier. De surcroît, le cheval a par nature un comportement imprévisible. Ne pouvant garantir à son client qu’il achèvera la sortie sain et sauf comme doit le faire tout débiteur d’une obligation de résultat, l’exploitant promet seulement de prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires pour éviter l’accident. Certains auteurs y voient une sorte de contrat tacite par lequel les parties s’accordent pour évacuer l’obligation de résultat qui engage la responsabilité de l’exploitant même en l’absence de faute. Dès lors, la victime qui se prévaut d’un manquement de sa part doit « en faire la démonstration » comme le rappelle, à juste titre, la Cour de Paris. Toutefois, si la charge de la preuve lui incombe, les juges en allègent le fardeau lorsque le risque est accru, soit par le jeu des présomptions de faute, soit par l’expansion de l’obligation de sécurité de l’exploitant.

C’est ici qu’intervient la fameuse théorie de l’acceptation des risques qui sert en quelque sorte de curseur pour déterminer la ligne de partage entre le risque anormal dont répond l’organisateur et le risque normal à la charge du pratiquant. Les tribunaux ont tendance à avoir une conception restrictive du risque anormal lorsque les clients de l’exploitant sont des sportifs aguerris et chevronnés, parfaitement informés des dangers de l’activité, et qui en acceptent les risques. A l’inverse, c’est plutôt d’expansion du risque anormal dont il est question lorsque les victimes sont des débutants qui ne s’adressent pas à un centre équestre pour faire l’apprentissage de l’équitation mais uniquement pour le plaisir d’une promenade comme c’est le cas dans les deux espèces commentées. Le contentieux des sports équestres en offre une excellente illustration avec les contrats de louage de chevaux et de promenades équestres. Le loueur d’équidés s’adresse à une clientèle expérimentée. Il a pour seule obligation de fournir des montures correctement dressées et harnachées. Il n’est pas tenu de faire encadrer la sortie par un moniteur qualifié à la différence de l’entrepreneur de promenades équestres dont l’obligation de sécurité est beaucoup plus étendue puisqu’il s’adresse à des débutants.

Dans un considérant devenu classique et repris in extenso par la Cour de Paris, la Cour de cassation, rappelle qu’à la différence du loueur de chevaux « dont la clientèle se compose de véritables cavaliers aptes à se tenir sur leur monture et libres de choisir leur allure et leur itinéraire qui acceptent, dès lors, de courir des risques en se livrant sciemment à la pratique d’un sport, l’entrepreneur de promenades équestres s’adresse à des clients qui peuvent tout ignorer de l’équitation et rechercher le divertissement d’un parcours à dos de cheval ». A cet égard, la Haute juridiction considère que le loueur qui fait accompagner une sortie par un moniteur se comporte comme un entrepreneur de promenades équestres de sorte qu’il doit prendre toutes les précautions qu’impose la nature de ce contrat. (Civ. 1, 3 mai 1988. Bull. civ. I n° 126 p. 87).

La Cour d’appel de Colmar, sans le dire explicitement, se situe dans le droit fil de cette jurisprudence. Bien que le propriétaire des animaux ait affirmé qu’il les avait loués, les juges ne déboutent la victime qu’après avoir constaté que le moniteur avait bien accompli les diligences normales de sa fonction. De même, celle de Paris précise qu’il doit « veiller tout particulièrement à la sécurité de ses clients novices que des réactions non appropriées peuvent mettre en danger ».

2. – Obligations de l’entrepreneur de promenades équestres

L’entrepreneur de promenade a d’abord l’obligation de fournir au cavalier un animal docile. La question est évoquée dans l’arrêt de la Cour de Paris puisque la victime reprochait aux premiers juges de n’avoir pas recherché si le cheval « était difficile ou vicieux ». Mais le moyen est écarté au prétexte que le manquement du moniteur à l’obligation de conseil de l’exploitant suffisait pour engager sa responsabilité.

Il faut, ensuite, que le parcours emprunté soit adapté à des novices. La Cour de Colmar observe, à cet égard, que la promenade « ne présentait pas de difficultés particulières ». Par ailleurs, comme le relèvent également les juges dans cette espèce, il n’y avait pas faute à avoir fait participer une cavalière débutante à la sortie puisque le parcours était facile et que le moniteur avait pris la précaution d’avertir les autres participants de sa présence et de régler leur allure sur celle-ci.

3. – Qualification de l’encadrement

La question la plus âprement discutée est habituellement celle de l’encadrement qui doit être qualifié et numériquement suffisant. Le taux d’encadrement dépend pour l’essentiel du nombre de participants et de leur niveau. La Cour de Colmar observe, à cet égard, que le nombre de sept participants composant le groupe était adapté à ce type de promenade d’autant, qu’à l’exception d’un seul, il s’agissait de cavaliers ayant déjà pratiqué.

Il faut rappeler qu’un éducateur sportif rétribué doit être titulaire d’un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification enregistré au répertoire national des certifications professionnelles (article 212-1 du Code du sport). En revanche, cette obligation de qualification ne s’impose pas pour l’encadrement bénévole ce qui pouvait être le cas des accompagnateurs des deux groupes qui ne faisaient pas partie du personnel du centre équestre et dont l’un d’eux est d’ailleurs explicitement présenté comme « un guide bénévole ».

Toutefois, si un moniteur bénévole n’est pas astreint de détenir une des qualifications mentionnées au Code du sport, cela ne signifie nullement qu’il peut être dépourvu de tout diplôme. S’il ne détient pas celui requis par la loi, il doit néanmoins pouvoir justifier, dans les sports à risque comme l’équitation, d’un niveau de compétence suffisant d’autant que, dans l’affaire jugée par la Cour de Paris, la randonnée était présentée dans les dépliants touristiques et publicitaires comme s’adressant à des débutants en équitation. C’est sans doute la raison pour laquelle son appréciation de l’absence de qualification et d’expérience du m
oniteur, âgé seulement de 16 ans ( !), apparaît plus exigeante que dans l’autre espèce où les juges de la Cour de Colmar insistent plutôt sur le fait qu’il ne dispensait aucun cours d’équitation et se contentait d’accompagner le groupe.

4. – Conseil et assistance

Pendant la promenade le moniteur a une obligation de conseil et d’assistance spécialement s’il encadre des débutants. C’est à l’aune des consignes données au groupe et de sa capacité à prévenir l’emballement des montures ou de les maîtriser que sa compétence va s’apprécier. Dans l’espèce jugée par la Cour de Colmar l’accompagnateur a normalement rempli son devoir de conseil et d’assistance. Il a d’abord, invité les randonneurs à adapter leur allure à la présence de la cavalière débutante ; ensuite, lorsque les chevaux ont accéléré, il a immédiatement réagi et est parvenu à maîtriser trois montures.

En revanche, dans l’autre espèce, les juges relèvent qu’il n’a fourni à la victime « aucune information quant au comportement des chevaux, ne lui a fait aucune recommandation sur la manière de tenir son cheval et n’a rien fait pour l’encourager, la conseiller utilement, assurer sa sécurité ou tenter de ralentir le cheval lorsque celui-ci s’est mis à trotter ».

5. – Lien de causalité

Cependant, il ne suffisait pas de relever la faute dans cette affaire. Il fallait encore établir, et ce sera l’occasion d’un rappel des conditions de la responsabilité civile, qu’elle était bien la conséquence du manque d’expérience de l’accompagnateur et avait concouru à la chute de la victime. En effet, il n’y a pas de responsabilité sans lien de causalité entre la faute et le dommage. Affirmer d’emblée que l’inexpérience de la victime était la cause de la chute de la cavalière aurait pu être assimilé à une présomption de causalité. Aussi, les juges prennent soin de relever qu’un « accompagnateur formé et expérimenté aurait prévenu (la victime) du risque de changement d’allure du cheval, l’aurait conseillé quant au comportement à adopter en pareil cas et aurait calmé ses inquiétudes en réagissant plus rapidement à l’incident bénin survenu en fin de promenade ». C’est donc bien le manque de consignes et d’assistance provenant lui-même de l’inexpérience de l’accompagnateur qui est à l’origine directe de l’incident.

6. – Faute de la victime

Enfin, il est d’usage, que l’exploitant tente d’obtenir un partage de responsabilité en se prévalant d’une faute de la victime. Il n’a aucune chance d’obtenir gain de cause s’il fait valoir que son client a accepté le risque de participer à l’activité. Un « tel motif est inopérant » car la plupart des activités humaines comportant des risques « c’est le principe même de réparation intégrale qui serait alors mis à mal » (J-L. Flour et J-L. Aubert, les obligations, t. 2, 11e éd, 2005. A. Colin, n° 180). Le fait de pratiquer un sport, même dangereux, ne peut donc être considéré comme fautif. Il n’y a rien d’anormal à accepter de participer à une promenade équestre. L’acceptation des risques, hormis le cas où ils seraient excessifs ou déraisonnables, ne peut être un moyen d’exonération pour l’organisateur. En revanche, il est possible de reprocher à la victime son imprudence et surtout l’inobservation des consignes de sécurité données par l’encadrement. Dans l’espèce jugée par la Cour d’appel de Paris, ce moyen n’avait guère de chance d’aboutir puisque la victime n’avait reçu aucune instruction. Pouvait-on alors lui reprocher de s’être « laissée tomber de sa monture » et de n’avoir pas « fait d’effort pour se maintenir en selle où elle était en sécurité » comme le prétendait l’exploitant. Le grief aurait été fondé s’il s’était agi d’un cavalier expérimenté capable de garder son sang froid et de maîtriser l’animal. Mais la victime était une débutante. Dès lors, son geste, qui pouvait s’expliquer par l’affolement, ne saurait être qualifié de faute en raison de « son absence de formation et de son manque d’expérience » comme l’indique à juste titre l’arrêt. Il faut donc retenir que la faute d’un débutant est plus difficile à caractériser que celle d’un cavalier expérimenté.`

Jean Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

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Jean-Pierre Vial





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