L’arrêt rendu par la chambre sociale de la cour d’appel de Pau le 7 septembre 2017 mérite l’attention à un double titre. D’abord parce qu’il rappelle le principe du non-cumul des fonctions de surveillance et d’enseignement. Ensuite parce qu’il applique la règle selon laquelle la charge de la preuve d’une faute grave qui tient lieu de motif de  licenciement incombe à l’employeur. 

1-La règle du non-cumul des fonctions de surveillance et d’enseignement, dont on trouve la mention explicite dans la dernière instruction en date du ministère de l’éducation nationale[1], est une règle de bon sens. La surveillance d’un bassin de natation nécessite une grande attention d’autant plus impérative s’il est fréquenté par un public à risque  comme le sont les enfants habituellement non-nageurs et inconscients du danger. Cette tâche est donc nécessairement exclusive de toute autre fonction. A plusieurs reprises, les tribunaux – qu’il s’agisse du juge judiciaire ou du juge administratif – ont brandi cette règle pour justifier la condamnation d’exploitants l’ayant négligée. Elle a été consacrée par deux arrêts du Conseil d’Etat ayant retenu la responsabilité de commune exploitant des établissements de bains. Dans la première espèce les deux maîtres nageurs chargés de veiller à la sécurité donnaient des leçons particulières[2]. Dans la seconde, le maître nageur qui assurait seul la surveillance de la baignade était occupé à ouvrir une cabine d’habillage, tâche au nombre de celles qui lui étaient imparties[3]. On trouve la même exigence de la part du juge pénal. Le tribunal correctionnel de Rodez relève que le maître nageur n’occupait pas son poste au moment des faits « puisqu’au lieu d’exercer sa fonction, il donnait une leçon particulière ». En revanche est relaxé le moniteur municipal chargé de l’initiation d’un groupe d’élève poursuivi pour n’avoir pas accordé une attention suffisante à leur retour au vestiaire. En l’occurrence, les juges qui avaient fait mention d’une instruction du ministère de l’éducation nationale en date du 23 décembre 2011 énonçant déjà le principe du non-cumul entre les deux fonctions, relevèrent que le prévenu n’était investi que d’une mission d’enseignement (achevée lorsque la noyade s’est produite) et « non d’une mission de surveillance extérieure »[4]. En mettant son salarié dans l’obligation d’avoir à effectuer au même moment les deux missions, l’employeur prend le risque d’une mise en jeu de sa responsabilité pénale. Ainsi le tribunal de Boulogne-sur-Mer avait-il  condamné le PDG d’un établissement de bain qui avait mis son préposé dans l’impossibilité de surveiller le bassin en l’affectant également à la vente de boissons[5].

 

2-C’est en application de cette règle du non-cumul que la cour d’appel de Pau confirme le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Dax ayant déclaré le licenciement d’un maitre nageur sans cause réelle ni sérieuse.

 

3-L’intéressé avait été licencié pour faute grave au motif qu’il avait manqué à ses obligations professionnelles en n’exerçant pas une surveillance « constante, exclusive, vigilante, active » sur le groupe d’enfants dont il était chargé d’assurer l’initiation à la natation. Il lui était précisément reproché par la lettre de licenciement de s’être éloigné vers un local en bordure du bassin pour rechercher du matériel d’enseignement à destination d’un élève retardataire en laissant le groupe« sans surveillance, pendant 5 minutes». Etant titulaire du BEESAN,  il ne pouvait ignorer, selon son employeur « la dangerosité due à son absence et les conséquences dramatiques qu’elle pouvait engendrer » de sorte qu’il « aurait dû s’assurer qu’un professionnel qualifié était présent pour le remplacer numériquement et exclusivement afin d’assurer la surveillance des enfants et ce sans discontinuité ».

 

4-Au regard de sa fiche de poste, il n’est pas discuté que les fonctions de surveillance entraient dans les missions de l’intéressé. Toutefois, celui-ci avait également en charge « l’enseignement et l’animation des activités aquatiques ». La lettre de licenciement indique qu’il remplissait une fonction pédagogique le jour des faits puisque, selon son  planning, il avait  la mission de prendre en charge l’initiation à la natation d’un groupe d’enfants. Aussi, les juges en déduisent qu’il n’était pas spécifiquement chargé d’une mission de surveillance à ce moment-là et que ce faisant « il ne saurait être considéré comme ayant commis une faute ».

5-Le POSS de l’établissement précise qu’en cas d’activité d’enseignement,  un doublon est prévu dans les effectifs pour assurer la mission de surveillance des bassins. Cette disposition est la suite logique d’un autre article dudit POSS selon lequel «Le personnel prévu en surveillance au planning ne peut en aucun cas quitter son lieu de travail. Il veille à s’assurer de la continuité du service de surveillance » et « ne peut en aucun cas avoir une autre occupation (lire, manger, ou se laisser entraîner dans des discussions prolongées) ».

 

6-Le Plan d’organisation des secours avait donc bien pris en compte le principe du non-cumul des fonctions d’enseignement et de surveillance. Encore fallait-il qu’il soit appliqué. On peut le penser puisque l’intimé soutenait qu’un autre agent était présent sur les lieux. Mais celui-ci avait-il pour mission la surveillance du bassin où se déroulait la séance comme le soutenait l’intimé ? Cette question est restée sans réponse dès lors, comme le relève la cour d’appel, que cette vérification était impossible à faire en l’absence de production du planning de cet agent.

 

7-C’est là que les juges nous livrent le deuxième enseignement du procès qui concerne, cette fois-ci le fardeau de la preuve. Ils rappellent qu’en matière de licenciement la charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur, comme le prévoit explicitement l’article 1232-1 du code du travail, de sorte qu’il lui appartenait de démontrer que l’intimé avait ce jour là pour mission la surveillance du bassin et non pas l’enseignement de la natation, ce qu’il était bien incapable de faire, faute de pouvoir produire l’emploi du temps de l’intéressé.

 

8- Au surplus, les conditions du licenciement constituent une preuve supplémentaire de son caractère abusif. En effet, celui-ci a été prononcé pour faute grave. A cet égard,  les juges rappellent qu’une faute de ce degré de gravité suppose non seulement qu’il y ait eu  violation des obligations découlant du contrat de travail, mais également que ce manquement soit assez sérieux pour qu’il rende impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise[6]. Or ils observent que la lettre de convocation à l’entretien préalable a été adressée à l’intéressé plus de 5 semaines après les faits litigieux. Il était donc facile d’en déduire que le manquement reproché au salarié (en admettant qu’il ait été fondé) ne pouvait pas être qualifié de faute grave puisque son employeur n’avait pas exigé son renvoi immédiat.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus :

Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL

 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA PAU 7 SEPT 2017 LICENCIEMENT MNS



Notes:

[1]« Les surveillants de bassin sont exclusivement affectés à la surveillance et à la sécurité des activités, ainsi qu’à la vérification des conditions réglementaires d’utilisation de l’équipement et, par conséquent, ne peuvent simultanément remplir une mission d’enseignement ».

[2]CE 14 juin 1963, n° 51776. Epoux Hebert. Rec.Lebon 1963, p. 365. D.1964, juris. p. 328.

[3]CE 5 oct. 1973, n° 84273. Ville de Rennes. Rec.Lebon 1973 p. 551.

[4]Trib. Corr.Belfort, 30  mai 1980.

[5]Trib. Corr. Boulogne sur Mer. 8 juill. 1987. Gaz. Pal. 1988, I, p.117. RSC 1988 p. 301.

[6]Selon la Cour de cassation, « la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise » (Cass. Soc. 27 sept. 2007, n° 06-43867). A la différence du licenciement pour faute simple, le licenciement pour faute grave entraine le départ immédiat du salarié sans qu’il effectue son préavis et le prive de l’indemnité de licenciement (art. 1234-1 C.tr) et de l’indemnité compensatrice de préavis (art.1234-5 C.tr)

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