Dans un arrêt du 2 octobre 2014(1), la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour avoir interdit de manière absolue aux militaires d’exercer leur liberté syndicale. Adoptée le 15 juillet 2015 par le Sénat, en première lecture, la loi de programmation militaire 2015-2019 devrait remédier à cette situation et signer « le retour de nos soldats dans la cité »(2).
En France, les militaires en activité de service peuvent constituer librement une association et y adhérer, sauf si elle a un caractère politique ou syndical(3). C’est sur ce fondement juridique qu’un lieutenant-colonel de la Gendarmerie, Jean-Hughes Matelly, a été poursuivi sur le plan disciplinaire pour avoir créé en avril 2008 une association dénommée « Forum gendarmes et citoyens » dont l’une des caractéristiques était d’être ouverte aux gendarmes en activité. Après avoir démissionné de l’association litigieuse, l’officier a saisi le Conseil d’État de la légalité de la décision d’interdiction d’adhésion opposée par le Directeur Général de la gendarmerie nationale (DGGN) à l’ensemble des gendarmes.
I. – Rappel du droit et de la jurisprudence applicable : le contexte
Dans un arrêt du 26 février 2010(4), la Haute Cour administrative a rejeté le recours du requérant, conformément à la loi applicable, tout en considérant dans un second arrêt du 11 janvier 2011(5) que la décision de radiation de M. Matelly des cadres de la gendarmerie nationale est une sanction disciplinaire disproportionnée qui, par conséquent, devait être annulée.
Saisie du premier volet de cette affaire, la CEDH s’est prononcée dans un arrêt du 2 octobre 2014(6) en condamnant la France sur le fondement de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme lequel garantit le principe de la liberté de réunion et d’association. Certes, elle reconnaît que « des restrictions, mêmes significatives, peuvent être apportées (…) aux modes d’action d’une association professionnelle » lorsque le groupement défend les intérêts des militaires. Cependant, pour la CEDH, cela ne doit pas conduire à une interdiction absolue et la Cour affirme, par conséquent, que ces restrictions « ne doivent pas priver les militaires et leurs syndicats du droit général d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux ».
Dans le cas d’espèce, la CEDH n’a fait qu’appliquer sa jurisprudence constante en considérant que l’interdiction d’adhérer à une association constitue une « ingérence » dans l’exercice des droits garantis par l’article 11 de la convention, à savoir les droits à « la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ».
En effet, la CEDH considère que cette ingérence peut être licite si elle est prévue par la loi et dans la mesure où cette dernière poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique.
En l’espèce, il est indéniable que la France s’appuyait sur une loi, l’article L. 4121-4 du Code de la défense prévoyant expressément l’interdiction pour les militaires d’adhérer à des groupements professionnels(7). S’agissant du but légitime de l’ingérence, la Cour a en effet considéré que cette seconde condition était remplie dans la mesure où l’interdiction d’adhérer à un groupement professionnel se justifie par un objectif de « préservation de l’ordre et de la discipline nécessaire aux forces armées ». Hors, si la Gendarmerie est aujourd’hui placée sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, ce corps est bien partie intégrante des forces armées. Enfin, concernant le dernier critère, il a été jugé que l’interdiction absolue faite aux militaires d’adhérer à un groupement professionnel était disproportionnée par rapport aux droits garantis par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Sur ce point, la Cour se situe dans la droite ligne de sa jurisprudence constante en considérant que les restrictions apportées à la liberté syndicale ne peuvent conduire à vider de sa substance ce principe.
II. – La réforme apportée par la loi de programmation militaire 2015-2019
Le texte, adopté le 15 juillet 2015 par le Sénat dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire 2014- 2019, permettra la création d’associations professionnelles de militaires et mettra ainsi la France en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’article L. 4121-4 du Code de la défense rappelle pour principe que « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que, sauf dans les conditions prévues au troisième alinéa, l’adhésion des militaires en activité à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ». Cependant, le projet de loi prévoit désormais un troisième alinéa ainsi rédigé : « Les militaires peuvent librement créer une association professionnelle nationale de militaires régie par le chapitre VI du présent titre, y adhérer et y exercer des responsabilités ». À noter tout de même que la spécificité des missions incombant aux forces armées, récemment réaffirmée par le Conseil constitutionnel(8), justifie les restrictions apportées aux modes d’action et d’expression de ces associations et des militaires qui y adhérent. Elles concernent entre autres le droit de grève, de manifestation ou de retrait, ainsi que les actions qui seraient menées par des militaires engagés dans des opérations, notamment extérieures.

A. – Régime juridique des associations professionnelles nationales de militaires (APNM)
Les APNM sont régies par le Code de la défense et, en tant qu’elles n’y sont pas contraires, par les dispositions du titre Ier de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ainsi que, pour les associations qui ont leur siège dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin ou de la Moselle, par les dispositions du Code civil local.
Elles ont pour objet de préserver et de promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire. Elles sont exclusivement constituées des militaires mentionnés à l’article L. 4111-2 du Code de la défense. Elles représentent les militaires, sans distinction de grade, appartenant à l’ensemble des forces armées et des formations rattachées ou à au moins l’une des forces armées mentionnées à l’article L. 3211-1 du Code de la défense ou à une formation rattachée.
Elles peuvent se pourvoir et intervenir devant les juridictions compétentes contre tout acte réglementaire relatif à la condi- tion militaire et contre les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs de la profession. Elles ne peuvent contester la légalité des mesures d’organisation des forces armées et des formations rattachées.
Elles peuvent exercer tous les droits reconnus à la partie civile concernant des faits dépourvus de lien avec des opérations mobilisant des capacités militaires.
Aucune discrimination ne peut être faite entre les militaires en raison de leur appartenance ou de leur non- appartenance à une association professionnelle nationale de militaires.
Les membres des associations professionnelles nationales de militaires jouissent des garanties indispensables à leur liberté d’expression pour les questions relevant de la condition militaire.
Une APNM doit avoir son siège social en France.
Sans préjudice de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 précitée et des articles 55 et 59 du Code civil local, pour les associations ayant leur siège dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin ou de la Moselle, toute APNM doit déposer ses statuts et la liste de ses administrateurs auprès du ministre de la Défense pour obtenir la capacité juridique.
Les statuts ou l’activité d’une APNM ne peuvent porter atteinte aux valeurs républicaines ou aux principes fonda- mentaux de l’état militaire mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 4111-1 du Code de la défense ni aux obligations énoncées aux articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4122-1 du même code. Son activité doit s’exercer dans des conditions compatibles avec l’exécution des missions et du service des forces armées et ne pas interférer avec la préparation et la conduite des opérations.
Les associations sont soumises à une stricte obligation d’indépendance, notamment à l’égard du commandement, des partis politiques, des groupements à caractère confessionnel, des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, des entreprises, ainsi que des États. Elles ne peuvent constituer d’unions ou de fédérations qu’entre elles.
Lorsque les statuts d’une APNM sont contraires à la loi ou en cas de refus caractérisé d’une association professionnelle nationale de militaires de se conformer aux obligations auxquelles elle est soumise, l’autorité administrative compétente peut, après une injonction demeurée infructueuse, solliciter de l’autorité judiciaire le prononcé d’une mesure de dissolution ou des autres mesures prévues à l’article 7 de la loi du 1er juillet 1901 précitée.
Le projet de loi permet également de garantir à ces organismes, par l’attribution de certains moyens, l’exercice effectif de la mission qu’ils se sont assignée, notamment par la reconnaissance d’un droit au dialogue social avec la hiérarchie militaire : « Lorsqu’elles sont reconnues représentatives pour siéger au Conseil supérieur de la fonction militaire, les associations professionnelles nationales de militaires et leurs unions ou fédérations y sont représentées dans la limite du tiers du total des sièges »(9).
B. – Les associations professionnelles nationales de militaires représentatives (APNMR)
Les APNMR peuvent être reconnues représentatives de la force armée, de la formation rattachée, des forces armées ou des formations rattachées dans lesquelles elles entendent exercer leur activité lorsqu’elles satisfont aux conditions suivantes :

  • le respect des obligations mentionnées à la section 1 du chapitre VI du Titre II du Code de la défense ;
  • la transparence financière ;
  • une ancienneté minimale d’un an à compter du dépôt de leurs statuts au ministère de la Défense ;
  • une influence significative, mesurée en fonction de l’effectif des adhérents, des cotisations perçues et de la diversité des groupes de grades mentionnés aux 1° à 3° du I de l’article L. 4131-1 représentés. L’effectif des adhérents est apprécié notamment au regard de l’effectif de militaires de la force armée, de la formation rattachée, des forces armées ou des formations rattachées dans lesquelles l’association entend exercer son activité.

Peuvent siéger au Conseil supérieur de la fonction militaire les APNM ou leurs unions et fédérations reconnues, en outre, représentatives d’au moins trois forces armées et de deux formations rattachées, dans des conditions fixées par décret. La liste des APNMR est fixée par l’autorité administrative compétente. Elle est régulièrement actualisée.
Les APNMR ont qualité pour participer au dialogue organisé, au niveau national, par les ministres de la Défense et de l’Intérieur ainsi que par les autorités militaires, sur les questions générales intéressant la condition militaire.
Elles siègent au Conseil de la fonction militaire de la force armée ou de la formation rattachée pour laquelle elles sont reconnues représentatives.
Elles sont appelées à s’exprimer, chaque année, devant le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire. Elles peuvent, en outre, demander à être entendues par ce dernier sur toute question générale intéressant la condition militaire.
Enfin, le projet de loi prévoit de modifier l’article 199 quater C du Code général des impôts afin que les cotisations versées aux APNMR ouvrent droit à un crédit d’impôt sur le revenu au même titre que les cotisations versées aux organisations syndicales représentatives de salariés et de fonctionnaires au sens de l’article L. 2121-1 du Code du travail. Adopté par le Sénat le 15 juillet 2015, ce projet de loi n’a pas subi de modifications trop profondes – sur le sujet qui nous  préoccupe – dans la mesure où il s’agit principalement pour la France de mettre en conformité sa législation avec le droit communautaire. À l’heure où nous écrivons, le texte doit être examiné en commission mixte paritaire.

Colas AMBLARD, Directeur des publications

En savoir plus :

Cet éditorial a fait l’objet d’une publication dans le Bulletin Actualité LAMY ASSOCIATIONS, n° 239, juillet 2015 : voir en ligne

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Documents joints:

Bulletin Actualités LAMY ASSOCIATIONS, n° 239 juillet 2015



Notes:

(1) CEDH, 2 oct. 2014, aff. 10609/10, Matelly c/France.
(2) J.-H. Matelly, « Une décision de justice qui signe le retour de nos soldats dans la cité », Le Monde, 2 oct. 2014.
(3) C. défense, art. L. 4121-3, al. 1er et L. 4121-4, al. 2.
(4) CE, 26 févr. 2010, no 322176, BAF Lefebvre 3/10, inf. 92.
(5) CE, 11 janv. 2011, no 338461.
(6) Précité.
(7) Sur ce point, la décision de la CEDH est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État dans la mesure ou celui-ci considère que tout groupement qui a pour objet la défense des intérêts matériels et professionnels des militaires constitue un groupement professionnel au sens de la loi (CE, 26 sept. 2007, no 263747).
(8) Cons. const., 28 nov. 2014, no 2014-432 QPC.
(9) TA Sénat no 131, 2014-2015, art. 6, 2o , f créant C. défense, art. L. 4124- 1, avant-dernier alinéa.

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