Un enfant licencié d’un club de football est blessé après la fin de l’entraînement par la lourde porte métallique des douches des vestiaires qui s’est brusquement refermée sur ses doigts sous l’effet d’un courant d’air. En décidant dans son arrêt du 14 septembre 2011 que cet accident révèle un manquement de l’association à son obligation de surveillance, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence rappelle à l’ordre les dirigeants sportifs, comme elle l’avait déjà fait par le passé. Rien de nouveau dans cette décision. Elle vient confirmer une jurisprudence constante sur le sujet qui met à la charge des clubs une obligation de surveillance dans les temps précédant ou suivant un entraînement ou un match.

1-L’obligation de surveillance des clubs sportifs encadrant des enfants est au cœur de la présente décision. Il n’était pas question, en l’occurrence, de ses modalités d’exercice mais de son périmètre. Dans la présente affaire, il s’agissait de savoir si un club sportif était tenu à une obligation de surveillance après la fin d’un entraînement pour le temps passé par les enfants dans les vestiaires. La question s’était également posée dans d’autres espèces pour des accidents survenus avant le début de la séance. Il faut donc traiter ce sujet dans sa globalité et se demander si l’obligation de surveillance est limitée au temps de l’activité proprement dite ou s’il faut inclure ceux qui la précédent et la suivent. L’enjeu du débat est celui du moment de transfert de la garde de l’enfant. S’opère-t-il à son arrivée dans l’enceinte du club ou au moment où il est pris en charge par l’encadrement pour l’entraînement ? Les parents récupèrent-ils la garde de l’enfant dès la fin de l’activité ou au moment où ceux-ci quittent l’enceinte du club ? L’application de l’obligation de surveillance diffère donc selon la solution adoptée. Ou bien, on considère qu’elle commence au moment où l’enfant entre dans l’enceinte du club jusqu’au moment où il la quitte. C’est la conception qu’ont fait prévaloir les juges dans la présente espèce en considérant qu’elle s’appliquait au temps passé dans les vestiaires. Ou bien, on estime que l’obligation de surveillance prend effet à compter du moment où l’enfant est pris en charge par l’entraîneur jusqu’à la fin de la séance. C’était la position défendue par le club.

2-Ce sujet n’est pas nouveau. A plusieurs reprises les tribunaux en ont été saisis pour des accidents survenus tantôt avant le début de la séance, tantôt après la fin de l’activité. La Cour d’Aix-en-Provence, elle-même, a eu l’occasion d’affirmer que l’obligation de surveillance commençait « dès l’arrivée des élèves dans l’enceinte du club » [1]. Mais doit-elle s’appliquer si l’entraîneur a eu un retard ? Le tribunal correctionnel de Tours avait déploré à propos de l’absence inopinée du moniteur « qu’une surveillance momentanée n’ait pas été organisée dès l’entrée des enfants dans le gymnase et ce, compte tenu du fait que les cours en cause s’adressaient à des enfants jeunes et encore dépendants » [2]. La Cour de Paris, au contraire, a estimé que le transfert de garde ne s’opérait qu’avec la remise de l’enfant à l’entraîneur. En conséquence, s’il était victime d’un accident avant son arrivée, la responsabilité du club ne pourrait pas être engagée [3].

3- Quoiqu’il en soit, dès le moment où le jeune est pris en charge par l’encadrement, les tribunaux considèrent qu’il y a obligation de surveillance y compris avant même le début de l’entraînement. Ainsi, la Cour de Pau a retenu la responsabilité d’un club de rugby à propos d’un accident survenu à un jeune joueur âgé de 12 ans qui s’était suspendu à un but amovible de football alors qu’aucun des 4 accompagnateurs encore à l’intérieur du vestiaire ne surveillait les élèves qui en étaient déjà sortis [4].

4-De même, les tribunaux ont admis que l’obligation de surveillance s’applique au temps suivant la fin de l’activité. La Cour d’Aix-en-Provence avait déjà affirmé dans un attendu de principe qu’elle ne prenait fin qu’au moment où les jeunes quittaient l’enceinte du club avec leurs parents ou seuls s’ils y étaient autorisés [5].

5-La Cour de Grenoble s’est prononcée au moins à deux reprises sur ce sujet. Dans la première espèce, une enfant avait fait une chute mortelle au retour de la visite d’un aven, en perdant pied au rétrécissement d’un sentier. Sa chambre des appels correctionnels a relevé que les deux professionnels de la spéléologie qui encadraient le groupe « en avaient la responsabilité permanente pendant la durée de l’activité en l’espèce dès la sortie du car et jusqu’au retour à celui-ci, c’est-à-dire pendant le trajet d’approche du site choisi pour la découverte spéléologie, pendant la visite de la grotte et pendant le trajet de retour vers le parking » [6]. Dans une autre espèce, elle observe que l’équipe d’encadrement d’un club de hockey avait relâché, à tort, sa vigilance après le match en laissant des jeunes escalader un mur [7].

6-Ces affaires ont en commun l’encadrement d’enfants, public par nature vulnérable en raison de son manque de discernement du danger. Il n’est donc pas surprenant que les tribunaux, par un légitime souci de protection mettent une obligation de surveillance renforcée à la charge des clubs sportifs.

7-Dans la présente espèce la victime était âgée de 10 ans, ce que ne manque pas de relever l’arrêt. Il est clair qu’elle n’a pas pris la mesure du risque créé par l’absence de ferme-porte sur cette lourde porte en fer qui pouvait se refermer brutalement sous l’effet d’un courant d’air. Pour autant, la cour d’appel ne fait reproche au club d’un défaut de surveillance qu’en raison de l’existence d’un risque dont il avait connaissance. Elle précise, en effet « que la faute de l’association sportive est caractérisée par le fait qu’elle avait conscience de la dangerosité des portes ». Elle en déduit donc que cette situation « impliquait une surveillance effective ».

8-Les juges ont-ils voulu dire qu’une surveillance des vestiaires ne se serait pas imposée en l’absence de danger ? Pour aller dans ce sens, il suffit de constater que les tribunaux ont toujours relevé l’âge des victimes et la dangerosité des lieux dans les précédentes affaires dont il vient d’être question. Tantôt, c’était le risque de noyade ; tantôt, la présence de buts mobiles sur le terrain ; tantôt le risque, pour des enfants en bas âge d’être fauchés par un automobiliste ; tantôt le rétrécissement d’un sentier surplombant un torrent en crue.

9-Au fond, l’obligation de surveillance doit pouvoir être adaptée aux circonstances. Une surveillance vigilante s’impose dans les vestiaires d’une piscine car il y a toujours le risque qu’un enfant regagne le bassin. En revanche, elle ne se justifie pas en l’absence de danger [8]. De même, elle n’a aucun fondement pour des adultes [9].

10-Dans ces conditions, mettre une telle obligation à la charge des clubs ressemble fort à une obligation de résultat, alors qu’ils n’ont qu’une obligation de moyens à leur charge. Sauf à placer en sentinelle un accompagnateur devant chaque porte de douche, on ne voit pas comment l’accident aurait pu être évité dans la présente espèce.

11- Au surplus, la question du lien de causalité entre la faute de surveillance et l’accident méritait d’être posée. En effet, sans lien de causalité pas de responsabilité. Or rien ne prouve que l’accident aurait été évité, si un membre de l’encadrement avait été présent dans les vestiaires, compte tenu des circonstances dans lesquelles il est survenu. Même si des consignes de prudence avaient été données aux enfants, comment être certain qu’un accompagnateur aurait pu intervenir à temps pour éviter que la porte se referme brutalement sur les doigts de la victime sous l’effet du courant d’air ?

12- A notre avis, c’est moins la faute de surveillance que l’omission d’une mesure de sécurité qui est la cause du dommage. Il aurait donc suffit, pour engager la responsabilité du club, de constater qu’il n’avait pris aucune disposition pour pallier la dangerosité des portes du vestiaire, au regard de l’âge des enfants qui lui étaient confiés. En effet, ou bien, la gestion de l’installation lui avait été attribuée par convention et, dans ce cas, il devait prendre en charge les travaux nécessaires. Ou bien, l’entretien de l’installation restait à la charge de la commune et il était alors du devoir des dirigeants de l’alerter sur la dangerosité des portes des douches dont ils étaient parfaitement conscients puisqu’elle avait été signalée dans la déclaration d’accident. Si les portes avaient été sécurisées, l’accident aurait été évité, ce qui prouve bien son rapport de causalité avec l’inaction du club. Il était donc inutile de relever la faute de surveillance d’autant que le lien de causalité de celle-ci avec le dommage apparaissait douteux. En précisant qu’une surveillance effective s’imposait, les juges peuvent donner l’impression aux dirigeants qu’une telle obligation s’impose en toutes circonstances alors qu’elle ne se justifie qu’en raison de l’existence d’un danger.

13- Le club avait bien tenté d’obtenir une exonération de responsabilité en alléguant que le courant d’air ayant provoqué la fermeture brutale de la porte était un cas de force majeure. Ce moyen d’exonération est habituellement utilisé dans les régimes de responsabilité sans faute car le défendeur ne peut s’exonérer en établissant l’absence de faute de sa part. C’est le cas en matière contractuelle, lorsqu’il est débiteur d’une obligation de résultat. En revanche, s’il est débiteur d’une obligation de moyens, comme l’est un organisateur d’activités sportives, il suffit qu’il se retranche derrière l’insuffisance de preuve d’une faute. En invoquant la force majeure le club anticipait donc sur le fait que l’inexécution de son obligation de surveillance soit établie. Mais ce moyen n’avait guère de chance d’aboutir en raison de l’absence de la condition d’imprévisibilité qui caractérise la force majeure. Comme le font justement remarquer les juges, la fermeture inopinée d’une porte pouvait être évitée par la mise en place de dispositifs de sécurité.

14-Cette décision donnera une fois de plus raison à ceux qui militent pour assujettir les clubs à une obligation de résultat. Ne serait-il pas plus simple de considérer que ceux-ci doivent répondre de tout dommage survenu au licencié d’un club plutôt que d’aboutir au même résultat en retenant une poussière de faute, d’autant que l’assurance obligatoire garantit dans tous les cas la solvabilité du club ? Nous ne le pensons pas pour deux raisons. D’une part, il y a un risque de renchérissement des cotisations d’assurance car il faudra bien que les assureurs répercutent le coût supplémentaire d’une responsabilité sans faute des clubs sportifs. D’autre part, l’obligation de résultat est indifférente au comportement du débiteur de l’obligation de sécurité. Elle ne fait pas la part entre ceux qui font de réels efforts pour la sécurité de leurs adhérents et ceux qui ont moins de scrupules. L’obligation de moyens, en revanche, est plus équitable puisqu’elle tient compte du comportement du club. Par ailleurs, le risque d’insécurité juridique lié à la conception que le juge se fait de la faute, peut être limité par une définition claire et précise des critères d’appréciation du devoir de surveillance dont il appartient à la Cour de cassation d’effectuer le contrôle.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour d’appel Aix-en-Provence, 14 Septembre 2011



Notes:

[1] Aix-en-Provence, 23 sept. 1993 n° 92646.

[2] TGI Tours, 6 juin 1997, n° 371. En l’occurrence, les enfants ne voyant pas arriver leur moniteur avaient pris le chemin du retour et l’un d’eux avait été mortellement blessé par un automobiliste.
[3] Paris, 9 sep. 1997, Juris-Data n° 023329.
[4] Pau, 20 mai 1986, RJE sport 1987, n° 3, p. 118, note P. Mauriac.
[5] 23 sept. 1993 n° 92646. En l’occurrence, le jeune licencié d’un club de voile s’était noyé entre la fin de la séance et l’heure de sortie du club.
[6] Grenoble, 14 mars 2002, Juris-Data n° 181555.
[7] Grenoble, 22 mars 2004, Juris-Data n° 237947.
[8] Ainsi, le fait de laisser seuls des élèves changer de tenue ne constitue pas nécessairement une faute, si le professeur reste à proximité et se trouve en mesure d’intervenir en cas de chahut. TGI Versailles, 13 sept. 2001, M. Gallot c/Préfet des Yvelines.
[9] On ne peut reprocher à une association sportive, l’accident survenu au licencié d’un club de judo resté dans la salle municipale après la fin de la séance et victime d’un accident en sautant sur un trampoline. La cour d’appel d’Aix-en-Provence relève, qu’elle était âgé de plus de 20 ans et dotée « d’un parfait discernement » (16 septembre 2004, n° 2004/ 469). La Cour de Cassation l’approuve, considérant que le club n’avait pas à imposer à un adulte de sortir de cette salle. (Civ. 1, 22 mai 2007, n° 05-13689 Centre culturel sportif de la commune de Gignac-la-Nerthe). En définitive, la victime n’a dû qu’à son imprudence l’accident dont elle a été victime et il serait inéquitable d’en faire porter la responsabilité à d’autres.

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