Au cours de ces vingt dernières années, les associations n’ont cessé d’accroître leur rôle dans la sphère économique voire même commerciale. Certains y voient les signes avant-coureurs d’une banalisation de l’interventionnisme associatif qui par tropisme au système néo-libéral – ou plus simplement par manque d’imagination – développe des comportements induits par un réflexe (quasi naturel) d’adaptation aux règles du marché.D’autres observent le mouvement de professionnalisation engagé par le secteur associatif,lequel n’hésite plus désormais à utiliser l’ensemble de l’arsenal juridique et fiscal lui permettant de diversifier les modes de financement de son objet statutaire.

 

1. L’entreprise associative (1) : un nouvel opérateur économique ?

La jurisprudence s’est attachée ces dernières années à distinguer méthodiquement les différentes pratiques commerciales associatives existantes : dans un premier temps, elle a reconnu aux associations la possibilité d’organiser (mais uniquement de manière exceptionnelle) des manifestations afin de se procurer les ressources complémentaires nécessaires à la réalisation de leur objet statutaire (2) : en application de le la théorie de l’accessoire civil, l’association demeure rattachée aux règles du droit civil. L’illustration la plus célèbre de l’application de cette théorie demeure l’affaire Comité des fêtes de Lizine en 1970 (3) au titre de laquelle la Cour de cassation consacrait le droit pour une association d’exercer occasionnellement une activité commerciale d’organisation de spectacles publics ; dans un second temps, en 1981, la Cour de cassation (4) reconnaissait le droit pour une association d’exercer des activités commerciales à titre habituel en soumettant de ce fait cette dernière aux règles du droit commercial (preuve commerciale).

Enfin, face à l’immixtion croissante des associations dans la sphère marchande, la jurisprudence interprétant les silences de la loi du 1er juillet 1901 a semblé vouloir poser des limites à l’exercice d’une activité commerciale sous la forme associative : l’arrêt Club de chasse du Vert-Galant, rendu par la Cour de cassation le 12 février 1985 (5), illustre parfaitement la volonté de la Cour suprême de limiter le « développement » commercial des associations. Pour elle, en effet, « en retenant la qualité de commerçant du club, sans rechercher si cette activité revêtait un caractère spéculatif répété au point de primer l’objet statutaire », le juge du fond (en deuxième ressort) n’avait pas suffisamment caractérisé la commercialité de l’association.

Une telle formule laissa perplexe une bonne partie de la doctrine qui s’interrogea sur la compatibilité entre le statut d’association et celui de commerçant. Cependant, le doute fût rapidement levé par un arrêt de la Cour de cassation en date du 19 janvier 1988 (6) lequel est venu clairement rappeler que la qualité de commerçant était incompatible avec le statut d’association loi du 1er juillet 1901. Par là même, la jurisprudence semble réfuter l’idée que la recherche de profits puisse être l’activité principale d’une association et, au contraire, semble vouloir confiner l’activité commerciale associative en tant qu’ « activité – moyen » destinée à financer un objet statutaire qui, lui, doit demeurer désintéressé : « attendu que l’expérience quotidienne montre qu’une association charitable ou autre a besoin pour équilibrer son budget, de faire face à ses dépenses par des gains réalisés. » (7)

S’il devait se confirmer (8), un tel « scénario » jurisprudentiel contribuerait immanquablement à l’avènement d’un nouvel opérateur économique, replaçant par là même occasion l’activité lucrative au service de l’être humain. En effet, et quelque soit le régime fiscal applicable (9), les bénéfices résultant pour l’entreprise associative de l’exercice d’activités économiques voire même commerciales doivent être réinvestis dans l’œuvre statutaire, au bénéfice de tous (membres, usagers et salariés), afin d’améliorer les services rendus (ou de l’encadrement proposé), de permettre une augmentation des salaires, voire même une diminution du prix de la prestation tendant à rendre cette dernière accessible à un public plus large (ou moins solvable). Autant d’atouts sur lesquels les politiques publiques devraient s’appuyer en période de crise.

2. L’émergence d’un « Tiers secteur » économique : vers une nouvelle classification des personnes morales ?

Dès lors, force est de constater que les associations ne sont plus prisonnières « d’une conception strictement philanthropique excluant tout rapport d’affaires » (10) . En effet, comme le souligne Marie–Thérèse Chéroutre (11), « l’activité économique fait désormais partie de toutes les personnes, individus ou groupements. Elle rencontre l’association comme toute autre entité juridique. Son exercice ne saurait en être prohibé : seules les règles, les modes de cet exercice ont à être respectés selon la vocation des uns et des autres ». Plus largement, la vision manichéenne consistant à opposer la logique idéaliste à la logique marchande ne correspond plus aux réalités contemporaines.

Aussi, pour beaucoup, « rien ne doit s’opposer à ce qu’une association puisse produire des biens ou des services selon la loi du marché : elle [serait] ainsi une technique d’organisation de l’entreprise comme la société » (12). Cependant, et à la différence des modes d’entrepreneuriat classiques, l’entreprise associative (13) se distingue par l’absence de rapports capitalistiques entre ses membres et l’interdiction de toute forme d’appropriation privative des excédents (14) enregistrés par le groupement à but non lucratif (15) . En outre, pour le Conseil national de la vie associative (16), « ce qui différencie l’entreprise associative, ce n’est pas la nature ou l’importance de l’activité exercée, mais la philosophie qui anime ses membres. » Pour d’autres, cela va bien au-delà, comme le souligne les Professeurs Maurice Cozian et Alain Viandier (17), pour qui « c’est une question d’état d’âme : la société [commerciale] est d’essence capitaliste, son but est la recherche et le partage du profit. L’association est d’essence non capitaliste. Sa vocation (…) est la satisfaction au meilleur coût des besoins de ses membres. Son domaine s’étend à tous les secteurs de l’économie sociale, lequel explore une troisième voie entre secteur marchand et secteur étatique. »

Cet autre modèle économique est donc bien là, à portée de main. Mais encore faut-il vouloir engager les réformes nécessaires pour favoriser son éclosion définitive. Pour cela, une refonte de notre classification actuelle des personnes morales, principalement orientée autour de la notion de commerçant, s’impose. Celle-ci est d’ores et déjà amorcée. En effet, sous l’influence du droit communautaire, la montée en puissance dans notre droit interne des concepts d’ « activité économique » et d’ « entreprise » – concepts neutres sur le plan du mobile de l’exploitant – au détriment des concepts d’ « activité commerciale » ou de « commerçant » – concepts arbitraires (18) fondés principalement sur l’intention lucrative de l’exploitant – doit prochainement confirmer l’avènement de cette « troisième voie ».

Colas AMBLARD, Docteur en droit – Avocat 

Cet éditorial est tiré du numéro spécial « LE LAMY ASSOCIATIONS FÊTE SES 20 ANS » paru aux Editions Lamy Associations bulletin d’actualités, n°174 de septembre 2009.

En savoir plus :

A l’occasion du numéro spécial « LE LAMY ASSOCIATIONS FÊTE SES 20 ANS », retrouvez les contributions des auteurs suivants : Yves Mayaud, Gérard Sousi, Sabine Abravanel-Jolly et Axelle Astegiano-La Rizza, Bernard Thévenet, andré Lépine, Gérard Vachet :Voir en ligne

Les associations, des acteurs majeurs face à la crise Sondage CSA, novembre 2009 : Voir en ligne

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Notes:

[1] C. Amblard, Associations et activités économiques : contribution à la théorie du tiers-secteur, thèse de droit, Université de Versailles St Quentin, 1998, 410 p. ; du même auteur, Activités économiques et commerciales des associations, Ed. Lamy Associations, Etude 246, (réactualisation : juillet 2009)

[2] Cass. com. 24 nov. 1958, n°91-56, Bull. civ. III, n° 400, p. 339 : « attendu que c’est à bon droit qu’il a été déclaré qu’une association peut faire des actes de commerce à conditions que ces actes ne soient pas habituels et que les bénéfices qui en proviennent ne soient pas distribués aux sociétaires. »

[3] Cass. com. 13 mai 1970, Comité des fêtes de Lizine, D. 1970, II, 644, note X.L.

[4] Cass. com. 17 mars 1981, Institut musulman de la Mosquée de Paris, D. 1983, p. 23

[5] Cass. com. 18 janv. 1985, Club de chasse du Vert-Galand, Bull. civ. IV, n°59, p.50

[6] Cass. com. 18 janv. 1988, Foyer Léo-Lagrange, JPC Ed. N., I, n°43-44, p.335 et s.

[7] CA Besançon, 18 janv. 1969, Gaz. Pal. 1969, II, 304

[8] Dans une arrêt en date du 17 septembre 2003 (Bulletin actualités Lamy Associations, n°145, avril 2007, comm. C. Amblard, http://www.isbl-consultants), la Cour d’appel de Paris a récemment refusé d’indemniser le préjudice résultant pour l’association « Le Clown le roi » (LCR) de la rupture brutale de ses relations commerciales avec une société commerciale au motif que si « les associations peuvent accomplir, à titre occasionnel, des actes de commerce pour la réalisation de leur objet associatif, il ne saurait être admis, sauf à pervertir le sens de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, qu’une association accomplisse, à titre habituel et quasi exclusif, des prestations commerciales. »

[9] L’instruction fiscale BOI 4 H-5-06 du 18 décembre 2006 (synthèse) admet qu’une association puisse être fiscalisée, notamment lorsque celle-ci concurrence le secteur marchand.

[10] J. Delga, De la reconnaissance du caractère lucratif ou commercial des activités exercées par les associations à la reconnaissance de leur qualité de commerçant ou de leur finalité intéressée, Quotidien juridique, 27 juin 1989, n°72, p. 3 et s.

[11] M.-T. Chéroutre, Exercice et développement de la vie associative dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901, Rapport au nom du Conseil économique et social, 1993

[12] E. Alphandari, obs. sous CA Rennes, 30 mai 1978, rev. Dr. Com. 1979, 488 ; rev. Dr. Com. 1980, 103 ; Rev. Dr. Com. 1981, 559 ; rev. Dr. Com. 1988, 257

[13] C. Amblard, L’entreprise associative : guide juridique des activités économiques et commerciales des associations, Ed. AME, nov. 2006

[14] C. Amblard, La propriété impartageable des bénéfices : un concept d’avenir ?, Isbl consultants, 30 nov. 2006, source : https://institut-isbl.fr/La-propriete-impartageable-des

[15] La notion de but non lucratif étant, à ce stade, appréhendée d’un point de vue juridique c’est-à-dire au sens de l’arrêt de la Cour de cassation, ch. réunies, 11 mars 1914, D. 1914, I, p.257 : « la recherche d’un bénéfice, d’un « lucre », celui-ci étant approché sous l’angle d’un gain pécunier ou matériel qui s’ajouterait à la fortune des associés »

[16] Rapport CNVA, 1990-91, Bilan de la vie associative en France, p. 86 et s.

[17] M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, 5ème Ed., Litec 1992

[18] M. Despax, L’entreprise en droit, Bibl. dr. privé, Paris, 1954, p. 31 : pour l’auteur, la définition formelle de la notion d’activité commerciale (C.com., art. L.110-1 et L.110-2) repose essentiellement sur une construction arbitraire dont « les normes sont la consécration d’usages peu à peu établis et non une construction de la raison. »

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