Les matches de hand-ball impliquent nécessairement des contacts entre joueurs. Ceux-ci sont de l’essence même du jeu puisqu’il s’agit de capturer le ballon des mains de l’adversaire et d’aller le loger dans les buts du camp adverse. Il est communément admis que dans les sports où les joueurs se disputent un ballon, les contacts même virils, dès lors qu’il n’y a ni brutalité ni déloyauté de la part de leurs auteurs, sont considérés comme de simples incidents de jeu et ne sont pas générateurs de responsabilité. L’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 4 décembre 2013 en fournit une intéressante illustration. 

1-Une banale action de jeu lors d’un match de hand-ball féminin est à l’origine d’un contentieux entre une joueuse et le club de celles qui l’ont bousculée. La malchance a voulu que cet incident de jeu ait eu des conséquences dommageables sans lesquelles cet accident n’aurait jamais été évoqué devant un tribunal. En l’occurrence, des joueuses ont voulu barrer le passage à leur adversaire. La victime prétend, alors qu’elle avait armé son tir, qu’on lui aurait maintenu le bras droit provoquant ainsi sa chute et ses blessures. Sur ces entrefaites, elle fait assigner la Fédération française de hand-ball et son assureur. Le tribunal de grande instance de Brest rejette sa demande formée contre la Fédération pour absence de preuve d’une faute caractérisée. Par ailleurs, dans un jugement rectificatif, elle condamne l’assureur de la Fédération à lui allouer une indemnité au titre de l’assurance individuelle accident qu’elle a souscrite. La cour d’appel de Rennes confirme en tous points la décision des premiers juges.

2-Manifestement cette joueuse a été mal conseillée et s’est trompée de cible ! Ce n’est pas la Fédération qu’il fallait actionner sur le fondement de l’article 1384 aliéna 1 du code civil mais le club de l’équipe adverse. En effet dans ses arrêts de 1995, la Cour de cassation vise « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres ». Cet attendu ne fait allusion ni aux fédérations sportives ni à leurs licenciés. Par ailleurs, si les fédérations sportives délivrent à leurs adhérents des licences leur donnant le droit de participer aux compétitions qu’elles organisent et font respecter l’application de la réglementation fédérale en exerçant un pouvoir disciplinaire, ce sont bien les clubs sportifs  qui « dirigent et contrôlent l’activité de leurs membres » en organisant les entrainements préparatoires aux compétitions et en décidant de la stratégie du jeu.

3-Pour autant une fédération sportive délégataire, comme celle de hand-ball, n’est pas à l’abri d’une mise en jeu de sa responsabilité pour les accidents survenus au cours du jeu. Mais elle ne peut être mise en cause qu’en cas d’impéritie de sa part dans l’exercice des attributions qu’elle tient de son monopole[1] soit en qualité de commettant de ses arbitres[2].

4-En admettant que la victime ait actionné en réparation le club de l’auteur du dommage, ses chances d’aboutir n’en étaient pas moins improbables. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les conditions dans lesquelles les groupements sportifs répondent des dommages causés par leurs membres en application de l’article 1384 alinéa 1 du code civil. La nature de cette responsabilité a été rapidement réglée. La Cour de cassation s’est prononcée en faveur d’une responsabilité sans faute[3]. Une autre question n’a pas tardé à se poser. On s’est demandé si la responsabilité du groupement était subordonnée à une faute de ses membres ou si elle était engagée du seul fait du dommage causé par l’un d’entre eux. En ne visant pas seulement l’alinéa 4, mais aussi l’alinéa 1 de l’article 1384, les arrêts de 2002 de l’Assemblée plénière[4] ont pu laisser penser que la Haute juridiction étendrait aux organisateurs sportifs la solution qu’elle avait retenue pour les parents tenus d’indemniser la victime pour un simple fait dommageable de leur enfant mineur[5].

5-L’arrêt dit « des majorettes » du 12 décembre 2002[6] a  « semé le trouble » en condamnant une association de majorettes alors que l’accident survenu lors d’un défilé avait été provoqué par la maladresse de l’une d’entre elles qui avait blessé sa camarade en  manipulant un bâton. Comme l’avait fait remarquer le professeur Chabas, on ne voit guère ce qui pouvait être reproché à son auteur, sauf à considérer qu’une maladresse est fautive[7]. Si l’Assemblée plénière a confirmé l’exigence d’une faute de l’auteur du dommage[8] dans son arrêt du 29 juin 2007, elle a cependant laissé sans réponse la question du degré d’intensité de cette faute. L’ambigüité vient de l’expression « faute caractérisée par une violation des règles du jeu » employée à plusieurs reprises par la deuxième chambre civile et que l’Assemblée plénière a fait sienne sans fournir plus de précisions[9]. Toutefois si on regarde attentivement les arrêts de rejet rendus par la 2ème chambre civile à l’occasion d’accidents de mêlées lors de matches de rugby, on observe que la Haute juridiction a fait référence à plusieurs reprises à une faute délibérée tantôt pour relever que la preuve n’avait pas été rapportée d’un effondrement volontaire de la mêlée[10], tantôt, au contraire, pour affirmer que la poussée fautive  «  procédait bien d’une prise de risque délibérée, puisque concertée » [11]. Il faut écarter l’idée d’assimilation de cette expression à une faute intentionnelle. Si son auteur a assurément  voulu l’acte, il n’a pas nécessairement voulu un résultat dommageable. Cette mise au point soulève une autre question. De quel acte répréhensible est-il question ?  S’agit-il d’une faute ordinaire ou d’une faute caractérisée ?

6-Pour la Cour de cassation, l’acte incriminé doit avoir enfreint « une règle de jeu ». Celles-ci sont propres à chaque sport. Certains interdisent les contacts comme le karaté. D’autres les tolèrent comme c’est le cas des sports de ballon et donc du hand-ball qui impliquent nécessairement des contacts puisqu’il s’agit de subtiliser le ballon des mains de l’adversaire. En conséquence, si le fait de bousculer une personne en dehors d’un terrain de jeu est constitutif d’une faute, il ne s’agit plus que d’un simple incident du jeu lorsque la collision se produit entre joueurs en cours de match. Solution logique : réprimer tout contact aboutirait à fausser la compétition en  créant un phénomène d’inhibition parmi les joueurs qui n’oseraient plus prendre de risque. Comme l’indique un auteur, si les joueurs « devaient, avant chaque geste, songer au risque de responsabilité qu’il lui fait courir, pourrait-on encore jouer au football, au rugby et pratiquer tant d’autres sports où la maladresse fait partie intégrante du jeu ? »[12].  En revanche, il y a des risques anormaux que n’acceptent pas les participants et qu’interdisent les règlements. C’était précisément l’enjeu du présent litige de savoir s’il y avait eu ou non une prise anormale de risque de la part des joueuses qui avaient fait chuter leur adversaire ? La cour d’appel relève que l’arbitre n’a mentionné aucun incident particulier dans son rapport d’arbitrage et note seulement que la victime avait mal à l’épaule. Pourtant, celle-ci prétend qu’une joueuse du camp adverse lui a maintenu le bras droit alors qu’elle avait armé un tir en violation selon elle des règles du jeu interdisant de retenir le joueur adverse en action de tir ou de passe. En l’occurrence, même s’il n’y a pas « d’autorité de la chose arbitrée » le juge s’en est remis à l’arbitre qui n’a pas sifflé de faute. Dès lors, la c
our d’appel en déduit que si la victime a bien été  blessée lors d’une action de jeu où les joueuses en défense de l’équipe adverse ont voulu lui barrer le passage, « il n’est pas suffisamment démontré que cette action présente la nature d’une faute caractérisée par la violation manifeste d’une règle du jeu allant au-delà des risques nécessairement acceptés par toute personne participant à une compétition ». En somme, la parole (en l’occurrence le silence !) de l’arbitre qui a l’avantage d’être un témoin impartial l’emporte sur celle de la victime (dont le témoignage est forcément à son avantage) et de sa camarade de club[13]. A partir du moment où le tribunal s’en remet aux constatations de l’arbitre qui n’a relevé aucune faute de jeu, la cause était entendue et le rejet de la demande d’indemnisation sans surprise !

7- Par chance pour elle, la victime avait pris la précaution de souscrire une assurance individuelle accident dont les dispositions prévoyaient le versement d’un capital en cas d’invalidité permanente totale ou partielle et d’une indemnité journalière ou allocation quotidienne en option exclusivement. Encore fallait-il, pour que l’indemnité d’assurance soit versée, que le dommage ait bien été causé par le club. Or précisément, celui-ci prétendait que le déficit fonctionnel permanent dont souffrait la victime n’était pas imputable à un incident de jeu mais provenait de son état antérieur puisque l’accident a révélé qu’elle présentait antérieurement des lésions dégénératives de l’épaule en rapport avec sa pratique sportive. Elle ne pouvait donc prétendre, selon lui, à l’indemnité contractuelle pour un dommage postérieure à la souscription de l’assurance individuelle accident. Toutefois, l’expert a estimé que « ses lésions n’étaient pas suffisamment importantes pour aboutir spontanément à une rupture non traumatique ». Il s’en déduit donc que, sans cet accident de sport, la victime n’aurait pas connu les séquelles qu’elle a subies, ce qui lui permettait de prétendre de facto au bénéfice de l’indemnité contractuelle de l’assurance individuelle accident.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 
En savoir plus : 
Cour d’Appel de Rennes le 4 décembre 2013

Jean Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Par exemple, il a été reproché à la Fédération française de cyclisme d’avoir homologué un circuit pour un championnat de France de bicross sans s’assurer qu’il ne mettait pas en danger les compétiteurs. Cass. crim,21 janv. 2014 n°13-80236.

[2] Les fédérations sportives, sont habituellement considérées comme les commettants des arbitres qu’elles désignent. A ce titre, elles peuvent être déclarées responsables des dommages causés par ceux-ci dans l’exercice de leurs fonctions sur le fondement de l’article 1384-5. Ainsi, la Fédération française de rugby a été jugée responsable des brutalités dont a été victime un joueur dès lors que, par son absence de vigilance, l’arbitre n’avait pas permis d’identifier l’auteur des coups (TGI Toulouse, 16 janv. 1990, D. 1993, somm. 337 , obs. J. Mouly).

[3] La doctrine a écarté d’emblée l’hypothèse d’une responsabilité pour faute prouvée, considérant que « cela ne servirait à rien » (F. Chabas, Gaz. Pal. 1992, p. 513). Toutefois, ils ont hésité entre une simple présomption de faute susceptible d’être combattue par la preuve contraire et une présomption de responsabilité qui ne céderait que devant la preuve d’une cause étrangère (F. Alaphilippe D. 1995, somm. p. 29. P. Jourdain, D. 1997 jurispr. p. 96. G. Viney JCP G 1997, 1.4070. C’est cette dernière solution qui a été retenue par la 2ème chambre civile.

[4] Ass. plén. 13 déc. 2002, n° 01-14007,D. 2003, jurispr. p. 231.P. Note  P. Jourdain.

[5] On a pu évoquer, à cet égard, le spectre d’une responsabilité objective puisqu’aussi bien la victime n’a pas à prouver la faute d’éducation ou de surveillance des parents, mais elle est aussi  dispensée de rapporter la preuve d’une faute de l’enfant.

[6] Civ, 2, 12 décembre 2002 n° 00-13553.

[7] F. Chabas,  Dr. et patr. n° 122, janv. 2004, p. 86.

[8] Crim 29 juin 2007, n° 06-18141 Bull. 2007, Ass. plén. n° 7 « Attendu que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés ».

[9]20 nov. 2003. n° 02-13653Bull. civ. II 2003, n° 356, p. 292. Civ. 2, 13 mai 2004. n° 03-10222Bull. civ. II, 2004, n° 232, p. 197. 22 sept. 2005, n° 04-14092 Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208. 5 oct 2006, n° 05-18494Bull. civ. II, 2006, n° 257, p. 238.

[10] Civ. 2, 22 sept. 2005,n° 04-14092 Juris-Data n° 029771. Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208. JCP G 2006, II, 1000, note D. Bakouche. Cah. dr. sport n° 3, 2006, p. 159, note M.  Boudot.

[11] Civ. 2, 5 oct 2006, pourvoi n° 05-18494 (ajouté)Bull. civ. II, 2006, n° 257, p. 238. D. 2007, p. 2004, note M. Mouly « L’arbitre sportif : travailleur indépendant mais préposé au sens de l’article 1384-5 ». LPA 2007, n° 38, p. 9, note F. Lafay et n° 196, p. 6 Cah. dr. sport n° 6 p. 134, note M. Boudot et B. Brignon.

[12] G. Durry, RTD, civ. 1981, p. 401.

[13] A propos de laquelle la cour d’appel observe que ce fait de jeu l’a choquée non par lui-même mais en raison des conséquences qui en sont résultées pour la victime.

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