Une décision de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) est récemment venue nous rappeler que le droit communautaire, souvent présenté comme un droit ayant essentiellement pour vocation de favoriser les échanges commerciaux, pouvait également jouer un rôle important dans l’émergence de la sphère non marchande. À cet égard, l’arrêt «Persche» C-318/07 du 27 janvier2009 nous en donne un exemple remarquable en reconnaissant le principe déductibilité transfrontalière des dons faits par des particuliers à des organismes établis et reconnus d’intérêt général dans un autre État membre de l’Union Européenne. Une décision qui, à n’en pas douter, devrait contribuer à alimenter les débats actuels portant sur l’harmonisation européenne de la définition de la notion d’intérêt général mais risque également d’exacerber encore un peu plus la concurrence entre les institutions sans but lucratif sur le plan communautaire.

1. L’arrêt « Persche » C-318/07 du 27 janvier 2009 : la naissance du mécénat transfrontalier ?

En 2003, un contribuable allemand M. Hein Persche avait consenti un don en nature (1) d’une valeur de 18.180 euros au profit du Centro Popular de Lagoa, une maison de retraite située au Portugal à laquelle était rattaché un foyers d’enfants. Ce dernier avait par la suite joint à sa déclaration de revenus un document de l’administration portugaise dans lequel était indiqué que l’organisme bénéficiaire était habilité, de par sa nature, à recevoir des dons et qu’il bénéficiait, en outre, « de l’ensemble des exonérations et des avantages fiscaux que la loi portugaise accorde aux organismes d’intérêt général ».

Or, le droit allemand (2) prévoit une déduction fiscale des dons versés à des organismes d’intérêt général situés en Allemagne qui remplissent certaines conditions tout en excluant cet avantage fiscal pour les dons versés à des organismes établis et reconnus d’intérêt général dans un autre État membre.

C’est sur ce fondement que le Finanzamt (Office des impôts) réfutait le droit pour M. Persche de bénéficier de l’exonération fiscale prévue par la législation fiscale allemande au motif que celle-ci ne s’appliquait qu’aux organismes établis sur le territoire allemand (3) et ne pouvait être accordée en l’absence d’un reçu établi selon les règles allemandes.

Saisie dans le cadre d’une question préjudicielle, la CJCE rappelait que lorsqu’un contribuable sollicite dans un Etat membre la déductibilité fiscale des dons faits à des organismes établis et reconnus d’intérêt général dans un autre Etat membre, ces dons relèvent des dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux (art. 56 CE), même s’ils sont effectués en nature sous forme de biens courants de consommation.

2 – L’application du principe de libre circulation des capitaux aux « dons »

Le Traité de Rome ne comportant pas de définition des mouvements de capitaux, la CJCE s’est référée aux indices contenus dans la directive 88/361/CEE du Conseil du 24 juin 1988, laquelle prévoyait expressément certaines opérations telles que les dons comme étant protégées par la libre circulation des capitaux, même s’ils n’ont aucun lien avec une activité économique. Ainsi, on le voit, le droit communautaire peut contribuer à l’émergence d’un secteur économique non marchand, à l’instar des débats actuellement en cours sur les services sociaux d’intérêt général.

3 – La libre circulation intra communautaire des « dons » : pour quels organismes d’intérêt général ?

Sur ce point, la CJCE dans sa décision du 27 janvier 2009 précise de manière nuancée que « s’il est légitime pour un Etat membre de réserver l’octroi d’avantages fiscaux aux organismes poursuivant certains de ses objectifs d’intérêt général […], un Etat membre ne saurait toutefois réserver le bénéfice de tels avantages aux seuls organismes établis sur son territoire et dont les activités sont donc susceptibles de le décharger de certaines de ses responsabilités ».

En d’autres termes, tout en réaffirmant le droit pour les Etats membres de définir souverainement la liste des organismes sans but lucratifs appelés à bénéficier des avantages fiscaux consentis à leurs donateurs, le juge communautaire rappelle combien il est désormais nécessaire pour ces États d’organiser la convergence des critères de sélection de ces organismes en vue de favoriser l’émergence d’un véritable mécénat transfrontalier.

Ainsi, on le voit, l’arrêt « Persche » (4) ouvre incontestablement des perspectives nouvelles en matière de dons transfrontaliers (5). Toutefois, il conviendra d’attendre l’élaboration d’un référentiel commun d’éligibilité au rang d’organismes d’intérêt général pour que cette jurisprudence communautaire puisse prendre toute son ampleur (6).

4. L’arrêt « Persche » est-il transposable en droit français ?

Pour qu’un organisme étranger puisse bénéficier d’un don d’un contribuable français éligible à la réduction d’impôt de 66%, celui-ci devra donc répondre aux exigences de l’article 200 du code général des impôts et remplir les différents critères définis par la doctrine de l’administration fiscale (7). A ce titre, l’organisme étranger devra notamment remplir ceux relatifs à la notion de non lucrativité (gestion désintéressée, fonctionnement démocratique, transparence financière, obligations déclaratives ou de nomination d’un commissaire aux comptes, absence de concurrence, utilité sociale…) contenue dans l’instruction fiscale BOI 4 H-5-06 du 18 décembre 2006. Le donateur devra être en mesure de démontrer que l’organisme étranger satisfait à toutes ces conditions, notamment en cas de contrôle de l’administration fiscale (laquelle pourra, si nécessaire, recourir à la procédure d’assistance administrative prévue par la directive 77/99/CEE du Conseil du 19 décembre 1997).

Pas simple, lorsque l’on sait à quel point il est difficile d’obtenir une application homogène de ces critères sur le seul territoire national… Et autant de raisons supplémentaires pour envisager une harmonisation fiscale européenne (8), si l’on veut éviter que le mécénat transfrontalier ne se transforme rapidement en un véritable parcours du combattant.

Cet Edito a fait l’objet d’une publication aux éditions Wolters Lluwer Lamy Associations : Voir en ligne : Bulletin d’actualités n°173 de juillet 2009

Colas AMBLARD
Directeur des publications ISBL consultants
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Documents joints:

la-actu173



Notes:

[1] Il s’agissait de linge de lit et de bain, des déambulateurs et des petites voitures pour enfants

[2] Art. 49 du règlement allemand d’application de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuer – Durechführungsverordnung)

[3] Art. 5, paragraphe 2, point 2 de la loi relative à l’impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuergesetz).

[4] L’arrêt Persche est conforme à la position prise précédemment par la CJCE dans un arrêt du 14 septembre 2006, C-386/04, Centro di Musicologia Walter Stauffer

[5] France Générosités fait d’ores et déjà état, à ce propos, de près de 700.000 français établis en Europe. Parmi elles, des personnes fortunées, qui veulent parfois garder un lien avec la France, qui pourront faire un don aux ONG françaises, mais aussi des donateurs étrangers (source : site internet France Générosités)

[6] En attendant, la Fondation de France a mis en place un système de dons transfrontaliers (Le Transnational Giving Europe)

[7] Doc. adm. 5 B 331 du 23 juin 2000 relative aux dons effectués au profit d’organisme d’intérêt général

[8] Amina Lahrèche-Révil, L’harmonisation fiscale européenne, Éditions La Découverte, collection Repères, Paris, 2000

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