I. Le contexte historique – 124 ans de liberté comptable !

La loi Le Chapelier de 1791 interdisant les associations, avait aussi interdit aux gens de métier de se regrouper sur leurs prétendus intérêts communs. Ces principes étaient édictés au nom de la liberté individuelle. Il faudra toute la conflictualité sociale du XIXe siècle, après la révolution de 1848 qui donna aux citoyens le droit d’association – ce qui profita à la constitution de groupements ouvriers, pour aboutir progressivement à la liberté syndicale.

L’ordre moral du second Empire revint au régime de prohibition antérieure et il faudra attendre la IIIe République et la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels (complétée ultérieurement par la loi du 12 mars 1920) pour que la liberté syndicale soit reconnue en France.

La loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels, aujourd’hui incorporée au code du travail a été suivie par la loi du 1er juillet 1901. Le régime plus favorable accordé aux syndicats incite les salariés à recourir à cette forme spéciale de groupements, spécialement conçu à leur attention.

Ce régime plus favorable se caractérise par :

  • la simplicité de formation,
  • la capacité juridique étendue
  • l’action syndicale en justice,
  • l’absence de tutelle administrative.

Les employeurs peuvent, bien évidemment choisir cette forme juridique pour se regrouper et défendre leurs intérêts, comme ils peuvent également choisir la forme de la loi du 1er juillet 1901.

Ni la loi de 1884 ni celle de 1901 ne comportent de dispositions particulières relatives à la comptabilité et à la transparence financière de leur fonctionnement, la liberté contractuelle dans l’une ou l’autre des formes amène à se référer au statut pour connaître les dispositions relatives aux obligations de transparence.

Au cours du dernier quart de siècle, les pouvoirs publics ont progressivement limité les espaces de liberté comptables qui existaient au sein de la société française.

Les années 1980, avec la loi du 1er mars 1984, (Loi Badinter) relative à la prévention du règlement amiable des difficultés des entreprises, a introduit, pour la première fois, des obligations comptables pour les personnes morales de droit privé non commerçantes qui développent des activités économiques.

Ainsi, les associations offrant des services marchands (chiffre d’affaires ou ressources : plus de 3,1 millions d’Euros, total du bilan : plus de 1,55 millions d’Euros, effectif : plus de 50 salariés, -2 des 3 critères-) qui dépassaient ces seuils, se sont vu imposer des obligations comptables et le contrôle de leurs comptes par un commissaire aux comptes.

Mais, à l’époque, la société française n’était certainement pas mûre pour que les organismes professionnels et sociaux (syndicats, comités d’entreprise…) puissent se voir concerner par les mêmes obligations.

Lors des débats parlementaires, le Garde des Sceaux avait précisé que les activités économiques devaient s’entendre par les activités d’échanges de prestations de services sur le marché et que les organismes professionnels et sociaux, constitués au sein des entreprises, n’étaient pas concernés car n’exerçaient pas, en ce sens, des activités économiques. Ainsi, les syndicats professionnels échappaient aux obligations comptables et de commissariat aux comptes instaurés par ces textes.

Les scandales de financement des partis politiques, qui ont émergé dans les années 1980, ont entraîné de nouvelles législations qui ont obligé ces partis à une transparence financière à partir du début des années 1990, en contrepartie d’un financement public. Ainsi, les candidats aux élections politiques doivent faire contrôler leurs comptes par un expert-comptable préalablement au dépôt à la commission de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques. Les partis politiques, en tant qu’entités, doivent se doter d’un co-commissariat aux comptes. Cette moralisation et cette réglementation du financement des partis politiques a en quelque sorte porté ses fruits puisque depuis une quinzaine d’années, il n’y a pas eu de grand scandale nouveau en ce domaine.

Les affaires qui ont été jugées à la fin des années 1990 ou dans les années 2000, remontaient, pour l’essentiel, à l’époque où les réglementations ne s’appliquaient pas encore. Puis, la loi Sapin du 29 janvier 1993, a instauré une obligation de commissariat aux comptes pour les associations qui percevaient plus de 1 million de francs (aujourd’hui 153 000 €) de subventions publiques. Mais il a fallu attendre 10 ans et la loi de Sécurité Financière du 1er août 2003, pour préciser s’il s’agissait bien de toutes les subventions et non pas chacune isolément.

Les associations, les partis politiques, les fondations ont ainsi vu se développer de nouvelles obligations comptables et de contrôle, avec l’intervention d’un commissaire aux comptes.

Par contre, les organismes professionnels constitués, soient sous l’égide de la loi du 21 mars 1884, soit sous l’égide de la loi du 1er juillet 1901, sont restés vierges de toute obligation en matière de présentation de leurs comptes annuels et de leurs états financiers et de contrôle de ceux-ci.

Il faudra l’affaire de l’IUMM à l’automne 2007 pour donner le coup d’envoi d’une réforme en profondeur de la transparence financière des syndicats.

Seuls les syndicats constitués et sous la forme d’association de la loi du 1er juillet 1901 et dotés de subventions publiques de plus de 153 000 € devaient appliquer le plan comptable associatif et faire contrôler leurs comptes par un commissaire aux comptes.

Il ne s’agit pas de jeter le doute sur les tous les syndicats et leur transparence financière. Certains d’entre eux avaient déjà choisi depuis de nombreuses années de faire contrôler leurs comptes volontairement par un commissaire aux comptes et de nombreuses entités avaient recours aux services d’experts-comptables.

II. La loi du 20 août 2008 – Démocratie sociale et transparence financière

L’objectif premier de la loi du 20 août 2008 est de transposer dans le code du travail de nouvelles règles sur la représentativité et la négociation collective (définie préalablement par les partenaires sociaux dans leur position commune du 9 avril 2008).

Cette réforme s’articule autour de trois points clés :

  • elle conforte davantage la légitimité des syndicats de salariés, par la prise en compte dans la détermination de leur représentativité de leur audience aux élections professionnelles ;
  • elle donne une nouvelle possibilité aux syndicats n’ayant pas encore fait la preuve de leur représentativité mais remplissant certains critères de s’implanter dans les entreprises, avec un libre accès au premier tour des élections professionnelles et la désignation d’un représentant de la section syndicale ;

– *elle confère une légitimité plus grande aux accords collectifs avec le renforcement du principe majoritaire.

Fondamentalement cette loi portant réforme de notre droit de la négociation collective tel qu’il résultait de la loi du 11 février 1950 met fin à la présomption irréfragable de représentativité (dont l’attitude patriotique durant la seconde guerre mondiale) qui était accordée jusqu’à présent à toutes organisations syndicales affiliées à l’une des cinq confédérations considérées comme représentatives au plan national (CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC, CFE-CGC).

Désormais, le syndicat doit remplir un ensemble de critères pour être considéré comme représentatif. Une organisation syndicale doit satisfaire à un ensemble de critères cumulatifs :

  • le respect de valeurs des valeurs républicaines de la République Française ;

l’indépendance ;

  • la transparence financière : ce nouveau critère sera assuré par des règles de certification et de publication des comptes des confédérations, fédérations et unions régionales de syndicats, ainsi que tout syndicat à partir d’un seuil de ressources fixées par décret ;
  • une ancienneté d’au moins deux ans ;
  • une audience suffisante aux élections professionnelles : le syndicat doit recueillir au moins 10% des suffrages au premier tour des élections ;
  • une influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;
  • des effectifs d’adhérents et des cotisations suffisants.

C’est l’article 10 de la loi du 20 août 2008 qui définit les nouvelles dispositions légales en matière de transparence financière des syndicats, en les intégrant au Code du Travail.

« Certification et publicité des comptes des organisations syndicales et professionnelles

« Art. L. 2135-1. − Les syndicats professionnels et leurs unions mentionnés aux articles L. 2131-2, L. 2133-1 et L. 2133-2 relatifs à la création de syndicats professionnels et les associations de salariés ou d’employeurs régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, par le droit local sont tenus d’établir des comptes annuels dans des conditions fixées par décret.

« Art. L. 2135-2. − Les syndicats professionnels et leurs unions et les associations de salariés ou d’employeurs mentionnés à l’article L. 2135-1 qui contrôlent une ou plusieurs personnes morales au sens de l’article L. 233-16 du code de commerce, sans entretenir avec elles de lien d’adhésion ou d’affiliation, sont tenus, dans des conditions déterminées par décret pris après avis du Conseil national de la comptabilité : « a) Soit d’établir des comptes consolidés ; « b) Soit de fournir, en annexe à leurs propres comptes, les comptes de ces personnes morales, ainsi qu’une information sur la nature du lien de contrôle. Dans ce cas, les comptes de ces personnes morales doivent avoir fait l’objet d’un contrôle légal.

« Art. L. 2135-3. − Les syndicats professionnels de salariés ou d’employeurs, leurs unions et les associations de salariés ou d’employeurs mentionnés à l’article L. 2135-1 peuvent, lorsque leurs statuts le prévoient, établir des comptes combinés intégrant la comptabilité des personnes morales et entités avec lesquelles ils ont des liens d’adhésion ou d’affiliation, dans des conditions déterminées par décret pris après avis du Conseil national de la comptabilité.

« Art. L. 2135-4. − Les comptes sont arrêtés par l’organe chargé de la direction et approuvés par l’assemblée générale des adhérents ou par un organe collégial de contrôle désigné par les statuts.

« Art. L. 2135-5. − Les syndicats professionnels de salariés ou d’employeurs, leurs unions et les associations de salariés ou d’employeurs mentionnés à l’article L. 2135-1 tenus d’établir des comptes assurent la publicité de leurs comptes dans des conditions déterminées par décret pris après avis du Conseil national de la comptabilité. « Le premier alinéa est applicable au syndicat ou à l’association qui combine les comptes des organisations mentionnées à l’article L. 2135-3. Ces organisations sont alors dispensées de l’obligation de publicité.

« Art. L. 2135-6. − Les syndicats professionnels ou d’employeurs, leurs unions et les associations de salariés ou d’employeurs mentionnés à l’article L. 2135-1 dont les ressources dépassent un seuil fixé par décret sont tenus de nommer au moins un commissaire aux comptes et un suppléant. »

Le Conseil national de la comptabilité (CNC) a été saisi par le Ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville afin de déterminer les règles comptables applicables à l’établissement des comptes annuels des syndicats. En regard des nouvelles obligations, le CNC a publié le 3 septembre 2009 trois avis qui vous seront présentés dans l’Edito ISBL consultants du mois de décembre 2009.

Gérard LEJEUNE Expert-comptable Commissaire aux comptes FRANCE DEFI

Cet éditorial est publié aux Editions Lamy Associations (bulletin d’actualités, n°176 de novembre 2009)

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Gérard Lejeune





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