Fruit d’un exceptionnel travail collectif[1] commencé dès la genèse de la loi du 31 juillet 2014, le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (ESS) vient récemment d’accoucher d’un guide des bonnes pratiques des entreprises de l’ESS. En se saisissant concrètement de cet outil, le secteur de l’ESS pourrait (enfin) parvenir au changement d’échelle quantitatif et qualitatif qu’il appelle de ses vœux depuis de (trop) nombreuses années.

Un guide, pour qui, pour quoi ? 

Malgré la loi du 31 juillet 2014[2], qui lui a offert une visibilité accrue, l’ESS demeure toujours confrontée à un double enjeu crucial pour sa survie et son développement :

– Le premier enjeu pour l’ESS, essentiellement d’ordre politique, consiste à faire valoir ses spécificités face au modèle économique dominant: pour cela, il lui fallait élaborer un référentiel commun permettant aux différentes composantes de l’ESS de défendre leur périmètre d’intervention tel que défini – après d’âpres négociations menées par les acteurs eux-mêmes – par l’article 1 de la loi précitée. Mais également pour lutter contre la banalisation de leurs actions sous les effets conjugués de la concurrence et de la vision à court terme qu’elle engendre, contre la confusion générée par l’émergence foudroyante de l’économie collaborative révolutionnant le travail et les usages et débouchant assez souvent sur l’ « uberisation » de notre société… Jusqu’à présent, l’ESS se définissait pour ce qu’elle ne souhaitait pas être, argument bien peu compréhensible pour le grand public et peu convainquant pour qui prétend constituer dans le futur une véritable force de transformation sociale. Sur ce point, le guide des bonnes pratiques pourrait contribuer à renverser cette tendance en offrant à l’ESS une vision de l’entreprise de demain à la fois plus concrète, plus positive et plus responsable : l’intégration progressive de la démocratie dans sa gestion interne, l’adoption de règles équilibrées en matière d’affectation des résultats, la parité réelle entre les hommes et les femmes dans les instances de gouvernance de l’entreprise mais aussi en matière de rémunération, l’instauration d’une échelle des salaires… sont autant d’arguments qui contribueront à une meilleure compréhension de ce qu’est l’ESS. Ce guide constituera aussi et surtout une boussole interne à l’entreprise, en terme de réflexion, de concertation et de gestion mais aussi un outil de dialogue et de transparence vis-à-vis de ses différentes parties prenantes (dirigeants, salariés, organisations syndicales, clients, fournisseurs…) ;

– Le second enjeu consiste à développer au sein des différentes composantes de l’ESS un véritable sentiment d’appartenance à une même famille économique : et sur ce point, force est de constater que si la loi du 31 juillet 2014 a indéniablement constitué une étape décisive, elle n’est pas suffisante. Un peu comme si les plans d’une maison en kit avaient été livrés, certes avec la totalité des matériaux nécessaires à sa construction, mais sans le ciment permettant d’assembler les différentes composantes de l’habitat ! Cette illustration ferait presque sourire si elle ne renvoyait pas à une autre réflexion plus aigue encore, car emprunte d’une réalité concrète : sur le terrain, les professionnels de l’ESS constatent chaque jour l’écart existant entre, d’une part, les difficultés et contraintes quotidiennes qu’ont à gérer les structures de l’ESS, et le peu d’intérêt qu’elles peuvent avoir à revendiquer leur appartenance à ce secteur, pourtant souvent perçu comme vertueux par elles-mêmes !

 

Un guide basé sur le principe de la « soft law » !

En votant l’article 3 de la loi du 31 juillet 2014, le législateur a décidé de déléguer aux acteurs de l’ESS le soin d’identifier un certain nombre de bonnes pratiques susceptibles de transcender les particularismes de chaque composante de l’ESS. Dans la suite logique, il a donc confié au Conseil supérieur de l’ESS le soin d’élaborer un guide dans un délai de deux ans à compter de son installation. C’est chose faite. Et à partir de ce référentiel partagée, ce sont désormais toutes les entreprises de l’ESS qui pourront faire valoir plus largement les spécificités et valeurs qui leur sont propres, avec notamment pour objectif de faire savoir au grand public, qu’à côté du modèle économique dominant, il existe d’autres voies soucieuses de trouver un meilleur équilibre entre efficacité économique et responsabilité sociale/environnementale.

Mais au-delà des résultats escomptés, c’est la méthode même d’élaboration et surtout de mise en œuvre concrète du guide des bonnes pratiques qui interpelle. Sur ce plan, incontestablement, le Gouvernement tente d’innover en proposant de rompre avec cette conception jacobine de l’exercice du pouvoir qui caractérise notre pays et ainsi de mettre fin à l’obsolescence programmée d’un système politique à bout de souffle. Il s’agissait également pour lui d’éviter de tomber dans le piège du recours à cette « bonne vieille technique » des chartes qui, à l’instar de la charte des engagements réciproques Etat-Régions-Associations du 14 février 2014, et parce qu’elles ne contiennent aucune valeur juridique contraignante, ont tôt fait de disparaître du paysage une fois signée.

C’est pourquoi, en empruntant le chemin de la « soft law », ce guide constitue un véritable défi pour les acteurs de l’ESS dans la mesure où la loi du 31 juillet 2014 s’est contentée de définir un cadre global mais obligatoire en laissant à ces derniers la liberté d’en définir le contenu opérationnel aux fins de rapprocher leurs pratiques des objectifs suivants :

-Améliorer la gouvernance démocratique,

-Organiser la concertation dans l’élaboration de la stratégie de l’entreprise,

-Amplifier l’impact de l’entreprise sur son territoire,

-Valoriser le capital humain (politique salariale et exemplarité sociale),

-Tisser un lien avec les utilisateurs (bénéficiaires, clients, usagers),

-Promouvoir la diversité et prévenir toute forme de discrimination,

-Favoriser le développement durable dans sa dimension environnementale

-Développer une éthique et respecter la déontologie.

Toutes les composantes de l’ESS (associations, mutuelles, coopératives, sociétés poursuivant une utilité sociale[3]), quelles que soient leurs tailles et leurs activités, sont donc invitées à identifier les voies d’amélioration de leur fonctionnement afin de remplir « un objectif plus ambitieux de progrès social »[4]. Concrètement, chaque entreprise de l’ESS sera tenue de présenter à l’occasion de son assemblée générale les informations relatives à la mise en œuvre de leurs nouvelles pratiques dans un délai de un an pour les entreprises de plus de 250 salariés et de deux ans pour les entreprises de moins de 250 salariés à compter de juin 2017.

Une responsabilité historique pour les acteurs de l’ESS

Reste à savoir si les acteurs de l’ESS vont réellement jouer le jeu dans la mise en œuvre concrète de cette formidable initiative. Cela reste à voir. Pour autant, ils y auraient tout intérêt tant les bénéfices internes ou externes pourraient être importants pour eux. En interne, tout d’abord, car il importe de souligner la dimension structurante de la démarche proposée et cette possibilité désormais offerte de séparer « le bon grain de l’ivraie » à l’intérieur même de cette famille nouvellement recomposée. En externe, ensuite, car ce guide devrait tout à la fois valoriser les multiples dimensions vertueuses que ces nouveaux modes d’entreprendre suscitent (dans les territoires notamment), favoriser une acculturation commune entre des acteurs de l’ESS souvent très éloignés les uns des autres, et enfin permettre une sensibilisation accrue du grand public au progrès social que ce secteur laisse entrevoir depuis de nombreuses années. Incontestablement, il devra être à la hauteur de la confiance accordée par ce Gouvernement, au moment même où les français réclament à corps et à cris plus de démocratie, plus de transparence, plus de pouvoirs décisionnels sur le plan politique, pour une meilleur maîtrise de leur destin collectif.

 

Propositions pour une mise en œuvre concrète du guide

Par sa structure même, le guide des bonnes pratiques de l’ESS constitue une sorte de « guide des guides » qui pose le cadre général dans lequel les structures de l’ESS peuvent interroger leur responsabilité sociétale et progresser en la matière.

En particulier, en invitant les dirigeants des structures de l’ESS à questionner de manière systématique six composantes complémentaires de leur responsabilité sociétale, le guide permet de ne rien laisser de côté et de ne pas se centrer uniquement sur les bénéficiaires / clients / ressortissants mais également d’observer dans quelles conditions – notamment en matière de ressources humaines et de gouvernance – les biens et services proposés par la structure sont produits et délivrés.

Si ces différents éléments sont indéniablement positifs en ce sens qu’ils constituent un cadre de réflexion cohérent et ambitieux, ils risquent de ne pas se suffire à eux-mêmes pour que les dirigeants de l’ESS se lancent massivement dans une réflexion structurée sur leurs pratiques et leurs responsabilités.

En effet, pour faciliter le passage à l’acte dans des volumes significatifs, et dans un contexte où la plupart des structures de l’ESS sont encore débutantes dans leur réflexion en matière de responsabilité sociétale, il apparaît encore indispensable de convaincre des bienfaits de telles démarches. Des actions, nationales et territoriales, de sensibilisation et de valorisation du guide et de ses impacts semblent dans cette perspective incontournable, tout comme l’organisation d’échanges et de rencontres de pair à pair.

En parallèle, il est nécessaire d’outiller les dirigeants, notamment des petites et moyennes organisations de l’ESS, via d’une part des actions de formation mais également via la construction de vade-mecum adaptés à leurs enjeux et à leurs secteurs d’activité ou métiers.

Ces vade-mecum et, plus largement, les méthodologies d’accompagnement permettant de s’approprier les éléments contenus dans le guide des bonnes pratiques, doivent permettre de travailler sur quatre aspects successifs d’une démarche réussie de responsabilité sociétale :

-Cartographier l’ensemble de ses parties prenantes et qualifier les enjeux y afférents ;

-Identifier parmi les six thématiques retenues et valorisées dans le guide celles qui apparaissent comme essentielles et structurantes pour l’organisation et les hiérarchiser ;

-Lancer une démarche réaliste de questionnement de ces différentes thématiques, associant très largement les parties prenantes de l’organisation, pour bien identifier ce que l’on fait déjà et ce que l’on pourrait faire mieux et/ou davantage ;

-Formaliser un plan de progrès ambitieux – et néanmoins réaliste – et être en mesure de le piloter, de l’évaluer et de le faire partager.

Prenant acte de cette nouvelle opportunité pour l’ESS, ISBL consultants s’engage dans les tous prochains mois à approfondir sa réflexion afin de donner une traduction véritablement opérationnelle à ce guide des bonnes pratiques des entreprises de l’ESS.

Xavier ROUSSINET, Directeur associé OPUS 3

Colas AMBLARD, Avocat associé NPS CONSULTING

 
En savoir plus : 
Guide des bonnes pratiques de l’ESS
Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS : « Mettre en place un plan de progrès en matière de RSO (Responsabilité Sociétale des Organisations) » animée par Xavier Roussinet le mardi 23 novembre 2017 à PARIS

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Notes:

[1] E. Verny, Du rapport Vercamer à la loi Hamon : genèse du guide, Juris-associations (Dalloz), 15/02/2017, n°553, p. 16-20 [2] L. 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’Economie sociale et solidaire (JORF n°0176 du 1 août 2014 page 12666) [3] Décret 2015-719 du 23 juin 2015 (JO 25 juin) ; Arrêté du 5 août 2015 (JO 12 août) [4] M. Prinville, Secrétaire d’Etat chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Economie sociale et solidaire, Juris-associations, 15 févr. 2017, n°553, p. 21

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