Les victimes d’infractions dont les auteurs n’ont pas été identifiés ou sont insolvables peuvent compter sur la contribution d’un fonds de garantie pour obtenir réparation de leurs blessures corporelles à condition que les faits litigieux présentent le caractère matériel d’une infraction. Toutefois, s’agissant de compétiteurs sportifs, l’infraction de blessures involontaires n’est caractérisée que s’il y a eu  violation d’une règle du sport pratiqué comme le rappelle l’arrêt de cassation du 29 mars 2018.

1-L’institution d’un Fonds de garantie des victimes d’infraction a mis fin aux difficultés rencontrées par les victimes d’infraction intentionnelles ou non portant atteinte à leur intégrité corporelle[1], dont les auteurs n’ont pas été identifiés ou sont insolvables. Ce mécanisme d’indemnisation, qualifié par certains de « Sécurité sociale des victimes de la délinquance », et dont les parties civiles sont avisées par la juridiction condamnant l’auteur de l’infraction à indemniser la victime, procède en effet d’un système équivalent de garantie contre un risque social faisant appel à la solidarité nationale. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu de condamnation pénale, ni même de poursuite. Hormis le cas d’actes de terrorisme, les victimes d’infractions ordinaires doivent porter leur demande d’indemnisation devant une Commission d’indemnisation (CIVI) qui est une formation particulière du tribunal de grande instance ayant en charge de vérifier l’existence de leur droit à réparation et de l’évaluer.

 

2-L’attribution de l’indemnité réparatrice des dommages corporels qui, faut-il le préciser, peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime, est subordonnée à certaines conditions fixées par l’article 706-3 du code de procédure pénale. Cet article précise que le préjudice subi doit résulter de faits, volontaires ou non, présentant le caractère matériel d’une infraction[2]. C’est précisément l’application de cette condition qui était au cœur du pourvoi formé par le fonds de garantie contre un arrêt ayant désigné un expert médical et octroyé une provision à la victime d’un accident survenu au cours d’une épreuve de course pédestre à obstacles. Les juges d’appel avaient estimé que les éléments fournis par la victime caractérisaient l’infraction de blessures involontaires que lui avait causé la participante inconnue. L’arrêt est cassé pour n’avoir pas relevé une violation des règles de la course pédestre à obstacles présentant le caractère matériel d’une infraction.

 

3-L’arrêt de cassation a été rendu au visa des articles 121-3, alinéa 3 et 222-19 du code pénal. L’alinéa 3 de l’article 121-3 précise qu’il « y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte-tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». De son côté l’article 222-19 prévoit que « Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

 

4-Il ressort à l’évidence de ces deux textes que la faute d’imprudence est bien un des éléments constitutifs du délit de blessures involontaires. Or précisément, pour caractériser le délit, la cour d’appel, s’est appuyée sur un témoignage insistant sur l’imprudence commise par la participante qui suivait de trop près la victime sur le toboggan et sur un autre témoin ayant filmé la scène au cours de laquelle celle-ci a été percutée à la sortie du toboggan. Pourtant la Cour de cassation considère que ces constatations sont insuffisantes pour établir l’existence de l’infraction et qu’il eut fallut « relever une violation des règles de la course pédestre à obstacles pratiquée ».

 

5-Cette exigence est propre à la compétition sportive et spécialement aux sports collectifs où l’affrontement entre les participants est codifié par des règles de jeu. Celles-ci forment la ligne de démarcation entre ce qui est interdit et autorisé. Or celle-ci est reprise à son compte par les tribunaux. Dans un arrêt du 5 décembre 1990, la Cour de cassation reproche à une cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité d’un amateur de boxe française pour avoir frappé son adversaire avec violence « sans caractériser de faute volontaire contraire à la règle du jeu »[3]. Elle fait à nouveau référence  « aux règles du jeu de nature à engager la responsabilité » d’un pratiquant dans son arrêt du 10 juin 2004[4]  et relève, dans celui du 23 septembre 2004 que « la responsabilité d’un pratiquant d’un sport de combat à risque, tel que le karaté, ne peut être engagée à l’égard d’un autre pratiquant, pour un exercice effectué au cours d’un entraînement, qu’en cas de faute volontaire contraire à la règle du jeu[5] ». Il apparaît à l’évidence, à l’examen de ces décisions, qu’une imprudence ordinaire est sans conséquence sur la responsabilité d’un sportif si elle n’a pas pour effet d’enfreindre une règle fédérale. C’est le résultat du relèvement du seuil de la faute civile à laquelle se sont livrés les tribunaux en raison des nécessités de la compétition. Exiger d’un concurrent qu’il fasse preuve de la même prudence et vigilance que dans les actes de la vie courante, alors qu’il doit nécessairement prendre des risques pour avoir une chance de vaincre ses adversaires, aboutirait à fausser la compétition. Aussi l’arrêt du 29 mars 2018 s’inscrit parfaitement dans la ligne définie par la Haute juridiction. C’est celle qu’avait suivie la cour d’appel d’Agen[6] estimant que les dispositions de l’article 706-3 du code de procédure pénale ne sont applicables entre concurrents d’une compétition sportive qu’en cas de violation des règles du sport pratiqué. Celle de Lyon, en revanche, s’en est écartée à ses dépens en se bornant à relever une imprudence  sans rechercher si celle-ci était ou non proscrit par le règlement de l’épreuve.

 

6-L’expression de « violation des règles du sport » demeure cependant ambiguë, si on s’en réfère à la jurisprudence de la 2èmechambre civile ayant trait à la responsabilité des groupements sportifs du fait de leurs membres où il apparaît manifestement que la seule constatation d’une violation des règles du jeu est insuffisante.  Ainsi, s’agissant des matches de rugby, la Haute juridiction a estimé que la violation des règles de positionnement de mise en mêlée ou une poussée irrégulière ne suffisait pas à établir que l’effondrement de la mêlée avait été délibéré[7]. L’arrêt du 5 octobre 2006 fait, encore allusion à une faute délibérée[8]. D’où l’inévitable question posée par Mr Marmayou« qu’est-ce qu’une faute délibérée dans la pratique d’une activité sportive ? Est-ce une faute volontaire ? Intentionnelle ? Consciente ? ». Et cet auteur de suggérer « que la faute délibérée a ceci de plus sur la faute volontaire que la détermination du fautif s’est faite en connaissance de règles de prudence et de sécurité particulières et en conscience de leur violation et ceci de moins sur la faute intentionnelle que le fautif n’a pas forcément recherché le résultat dommageable [9]».

 

7-La chambre criminelle a-t-elle la  même position que la 2èmechambre civile sur ce point? Les juges doivent-il constater que la violation de la règle du sport a été délibérée ? L’arrêt du 29 mars 2018 est muet sur cette question.

 

8-Une autre interrogation demeure également sans réponse. Il s’agit  des sports se pratiquant sans opposition comme ceux de pleine nature. Le juge doit-il rechercher si l’auteur du dommage – par exemple l’alpiniste qui fait tomber une pierre heurtant un grimpeur en contrebas, ou l’amateur de canoyning qui percute un autre participant en dévalant un toboggan – a enfreint les règles de ce sport en admettant qu’elles existent et qu’il en a pris  connaissance ?

 

9-Précisons que dans toutes les espèces évoquées ici les auteurs de l’infraction sont des pratiquants c’est à dire des auteurs directs du dommage au regard des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 121-3. Il en va différemment si celui mis en cause est un personnel d’encadrement. On lui reproche non pas d’avoir provoqué le dommage comme le compétiteur mais d’en avoir  créé les conditions ou de ne pas avoir pris les mesures permettant de l’éviter. S’agissant cette fois-ci d’un auteur indirect, se sont les dispositions de l’alinéa 4 de l’article 121-3 qui s’appliquent. Il  appartient alors au juge de rechercher si l’auteur du dommage a commis une faute délibérée ou caractérisée sans quoi l’infraction n’est pas constituée. C’est là que l’élément moral de l’infraction prend toute son importance. Dans le cas de faute délibérée il faudra établir la double preuve que l’auteur des faits connaissait le règlement enfreint et qu’il ne l’a pas violé par méprise. S’il est question d’une faute caractérisée le ministère public devra rapporter la preuve que son auteur avait conscience d’exposer autrui à un risque d’une particulière gravité. Ainsi, la Cour de cassation a reproché à une cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité  d’un guide bénévole encadrant une sortie de canyoning au cours de laquelle une participante avait perdu la vie par des motifs impropres à caractériser la conscience que l’intéressé exposait les participants à un risque de cette nature et donc à établir que le dommage résultait de faits présentant le caractère matériel d’une infraction (voir notre commentaire du 28/06/2016)

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10-Comme on le voit, si l’arrêt du 29 mars 2018 confirme une ligne de conduite dont la Cour de cassation ne démord pas pour les dommages causés par des compétiteurs, en revanche, certaines questions demeurent en suspens dont la solution est encore sujette à interrogation.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus : 

CASS 29 MARS 2018 FONDS INDEMNISATION

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CASS 29 MARS 2018 FONDS INDEMNISATION



Notes:

[1]Il s’agit des faits ayant entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, des agressions sexuelles, de la réduction en esclavage, de la traite des êtres humains, du travail forcé et des atteintes sexuelles sans violence

[2]Sont exclus les dommages qui relèvent de la compétence d’un autre fonds de garantie, ce qui est le cas des accidents de la circulation relevant de la loi du 5 juillet 1985 et des accidents de chasse.

[3]Civ. 2, n° 89-17698, Bull.civ. II n° 258 p. 133.

[4]Civ. 2, n° 02-18649.Bull. civ. 2004 II n° 296 p. 250.

[5]Civ. 2, n° 03-11274. Bull. civ. II n° 435 p. 369.

[6]CA Agen, ch. civ. 5 avr. 2011, n° 10/01105.En l’occurrence il s’agissait d’un tacle contraire à la loyauté du sport

[7]Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14092, Bull.civ. II n° 234 p. 208.

[8]Civ. 2, n° 05-18494.Bull. civ. II, 2006, n° 257, p. 238.

[9]JCP 2007  n° 37, II 10150.

[10]Civ 2, 3 mars 2016, n° 15-13197.

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