L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 28 mars 2017 a une double portée. D’une part, il confirme, au regard du droit communautaire, la légalité des dispositions du code du sport relatives aux exigences de qualification applicables aux ressortissants de l’Union Européenne et spécialement à l’exercice de la profession d’accompagnateur de skieurs. D’autre part, il accorde à l’exploitant qui organise des séjours de ski le bénéfice de la règle de la rétroactivité de la loi plus douce en annulant la peine prononcée contre lui pour défaut de déclaration préalable de son activité en raison de l’abrogation de cette formalité survenue après sa condamnation en appel.

Un tour opérateur établi en Grande-Bretagne est poursuivi pour organiser des séjours de ski sans déclaration préalable et pour employer un éducateur sportif sans qualification chargé de guider et d’accompagner ses clients sur le domaine skiable de la station de Méribel.

Il est condamné en appel à 15000 euros d’amende pour les délits d’exploitation d’un établissement d’activité physique ou sportive sans déclaration préalable et d’emploi de personnes non qualifiées pour exercer les fonctions d’éducateur, ainsi que pour les contraventions de détachement de salariés temporaires sur le territoire national sans déclaration préalable et de paiement à un salaire inférieur au salaire minimum de croissance.

Les moyens qu’il soutient dans son pourvoi en cassation contre le délit d’emploi illégal d’éducateur sportif prévu à l’article L 212-8 du Code du sport sont rejetés. En revanche, la Chambre criminelle lui donne raison sur le fait que la situation du prévenu n’a pas été examinée au regard de l’article 49- II de la loi du 20 décembre 2014, qui a abrogé le délit d’exploitation d’un établissement d’activités physiques et sportives.

Le débat sur l’application du délit d’emploi illégal d’éducateur sportif

Le délit d’emploi illégal d’éducateur sportif a d’abord été appliqué par l’article 3 dernier alinéa de la loi du 6 mars 1998 aux organisateurs d’activités sportives se déroulant dans un environnement spécifique puis étendu à toutes les disciplines sportives par l’article 48 de la loi du 6 juillet 2000. Cependant, avant que le législateur n’en fasse une infraction à part entière, les tribunaux l’ont sanctionné par la voie de la complicité par assistance. On rappelle qu’est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation[1]. Or, c’est précisément ce qui était reproché aux exploitants d’établissements sportifs qui employaient des éducateurs sportifs non diplômés. En effet, en les rémunérant pour une activité réservée aux seuls titulaires de récépissé d’une déclaration d’éducateur sportif, ils les plaçaient en situation illicite en leur fournissant les moyens de commettre le délit[2].

L’article L 212-8 fait explicitement un renvoi aux articles L. 212-1 et L 212-7 du code du sport. L’infraction est donc matériellement caractérisée par l’inobservation de ces deux textes, le premier s’appliquant aux nationaux et le second aux ressortissants des États membres de l’Union Européenne.

L’alinéa 1 de l’article L. 212-1 qui détermine le périmètre de l’obligation de qualification était au cœur du litige. Dans sa version primitive, l’ancien article 43 de la loi du 16 juillet 1984 ne faisait référence qu’à l’enseignement des activités physiques et sportives. Le Conseil économique et social avait relevé « l’ambigüité du mot enseignement » qui prête à contestation. Ainsi, l’exploitante d’un centre de loisirs soutenait que l’activité de ses moniteurs en charge de l’initiation au ski des enfants était distincte de celle d’enseignement et n’entrait donc pas dans le cadre légal de l’obligation de diplôme. La Cour de cassation ne l’entendit pas de cette oreille et considéra, à l’instar des juges du fond, que la distinction entre l’initiation et l’enseignement était « parfaitement illusoire, l’enseignement recouvrant nécessairement l’initiation »[3]. Toutefois, par précaution le législateur cru bon d’ajouter à côté du verbe enseigner ceux « d’encadrer et d’animer » (Art 24 de la loi du 13 juillet 1992) puis de compléter la liste par l’ajout du verbe « entraîner » (art. 48 de la loi du 6 juillet 2000). Cette attention n’a pas pour autant mis fin aux discussions, comme l’atteste le présent arrêt qui portait sur la question de savoir si une activité d’accompagnement de skieurs entre dans le périmètre de l’encadrement et de l’animation.

Le prévenu soutenait que l’article L. 212-1 du Code du sport n’interdit pas l’accompagnement sans qualification sur les pistes et considérait que l’article 2 de l’arrêté du 20 octobre 2009 qui assimile l’activité d’accompagnement sur le domaine skiable à l’encadrement et à l’animation, était illégal car contraire à la loi. La cour d’appel avait pris le parti d’écarter ce moyen en rappelant que l’arrêté n’était nullement contraire à la loi mais en précisait les modalités d’application.

Si l’enseignement implique nécessairement des compétences qui justifient l’obligation de diplôme, une telle exigence apparaît, cependant, moins évidente quand il s’agit d’encadrement et d’animation. Aussi les juges du fond se sont-ils employés à montrer en quoi l’accompagnement de skieurs n’est pas une activité passive et n’entre pas dans les compétences de n’importe quelle personne. Ils observent que l’accompagnateur doit être en capacité « d’apprécier le niveau technique des clients pour former les groupes, choisir les itinéraires, et de manière générale prévenir de multiples difficultés et parer aux nombreux incidents qui peuvent affecter la progression d’un groupe de skieurs ; que pour ce faire la personne en charge du groupe prend des décisions, donne des directives et des conseils, ou autrement dit anime et encadre les personnes qui lui sont confiées ; qu’elle nécessite des compétences ou des aptitudes pour le cas échéant faire face à des imprévus ou à des aléas inhérents à la pratique du ski alpin ». L’autre motif qui puisse justifier l’emploi de personnel qualifié pour l’accompagnement de skieurs tient selon l’arrêt à la nature du ski alpin, « activité à risque qui s’exerce dans un environnement spécifique, la haute montagne ». Ce second motif n’est pas concluant, comme le soutenait le prévenu, dès lors que l’article L 212-3 du Code du sport dispense de l’obligation de qualification certains agents de l’État et des collectivités locales[4], y compris s’ils encadrent une activité s’exerçant dans un environnement spécifique comme la pratique du ski où seule la détention d’un diplôme délivré dans le cadre d’une formation coordonnée par les services du ministre chargé des sports et assurée par des établissements relevant de son contrôle permet son exercice (L 212-2 C. sport).

Le prévenu interpelait également les juges sur la conformité au droit de l’Union Européenne des articles L. 212-1 et suivants du code du sport. En effet, on se trouvait dans le cas d’une prestation de service[5], puisque l’intéressé était établi en Angleterre. A cet égard, l’alinéa 2 de l’article L 212-7 précise que les fonctions d’éducateurs sportifs au sens de l’article L. 212-1, peuvent également être exercées, de façon temporaire et occasionnelle et sous certaines conditions[6], par tout ressortissant légalement établi dans un État membre de l’Union Européenne. Toutefois, lorsqu’il existe une différence substantielle de niveau entre la qualification dont se prévaut l’éducateur et celle requise en application du I de l’article L. 212-1, le préfet peut décider de le soumettre à une épreuve d’aptitude lorsque cette vérification fait ressortir qu’il existe entre ses qualifications professionnelles et celles requises sur le territoire national une différence substantielle de nature à nuire à la sécurité des bénéficiaires de la prestation de services[7].

Le prévenu reprochait à la juridiction d’appel de ne pas avoir vérifié si la législation française respectait la directive dite « Services » 2006/ 123/ CE qui vise à faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services. Son article 16 énonce que l’État membre dans lequel le service est fourni doit garantir le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire. Dans le cas où cet accès est subordonné à certaines exigences sa validité est alors conditionnée au respect de trois principes : la non-discrimination (en raison de la nationalité pour les personnes physiques et de l’État membre dans lequel elles sont établies pour les personnes morales) ; la nécessité (l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement) et  la proportionnalité (l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif).

Le prévenu reprochait d’abord aux juges du fond, dans le cadre du contrôle qu’ils exercent sur la conventionalité des lois nationales, de ne pas avoir vérifié si la législation française respectait le principe de non-discriminationn, entre personnes françaises ou établies en France et ressortissants d’États membres de l’Union européenne puisque certains nationaux bénéficient de dérogations à l’obligation de diplôme (art. L. 212-3).

L’argument n’est pas décisif même en dépit de cette disposition dérogatoire, dès lors que l’accès à la profession de moniteur de ski est subordonné à une obligation de diplôme qui s’applique indistinctement aux nationaux et aux autres membres de l’Union Européenne. Il n’y a donc aucune discrimination, que ce soit en raison de la nationalité ou de la résidence du prestataire de service, d’autant que l’obtention du brevet d’État est ouverte aux ressortissants de l’Union Européenne ayant satisfait aux épreuves théoriques et pratiques de l’examen et qu’il existe une procédure de reconnaissance des titres étrangers. Enfin, l’article 20 de la directive « Services » 2006/ 123/ CE 2 n’exclut pas des différences dans les conditions d’accès à un service si elles sont directement justifiées par des critères objectifs comme c’est le cas ici de la sécurité des skieurs accompagnés.

Le prévenu soutenait encore que le principe de nécessité n’était pas respecté au regard de l’objectif de sécurité des skieurs pour les mêmes raisons que précédemment qui tiennent aux dérogations de l’article L. 212-3. Par ailleurs, il faisait observer que l’activité en cause d’accompagnateur n’a aucune finalité d’enseignement ou de compétition sportive.

Là encore ce raisonnement n’est pas concluant dès lors qu’il a déjà été établi que l’accompagnement de skieurs, s’il n’a pas pour objet l’enseignement, nécessite néanmoins une connaissance approfondie du milieu montagnard et de ses risques. Aussi est-ce pour des raisons de sécurité publique et parce que les clients font la démarche de rémunérer des professionnels pour avoir cette garantie que la législation française réserve l’exercice de la profession de moniteur de ski à des personnes diplômées. Or cette condition est parfaitement conforme à la directive pour une double raison. D’une part, son article 16-3 autorise l’État où s’effectue la prestation de service à imposer des exigences lorsqu’elles sont justifiées, notamment par des raisons de sécurité publique. D’autre part, l’article 17.6 exclut du champ de la libre prestation de services les matières où des exigences en vigueur dans l’État membre réservent une activité à une profession particulière, comme c’est le cas pour l’enseignement et l’encadrement du ski.

Enfin, il n’y a pas d’atteinte au principe de proportionnalité dès lors que l’exigence de diplôme est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi qui n’est autre que la nécessité de confier la sécurité des skieurs à des personnes qualifiées.

Si les moyens tirés de dispositions législatives qui seraient contraires au traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne n’ont pas abouti, en revanche, le pourvoi obtient gain de cause sur la question de l’abrogation de l’obligation de déclaration des établissements sportifs en application de la règle sur la rétroactivité des lois pénales plus douces.

La suppression du délit de défaut de déclaration de l’établissement et l’application du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce.

L’ancien article L. 322-3 du code du sport subordonnait l’exploitation des établissements sportifs à une obligation de déclaration. L’arrêt de la cour d’appel de Chambéry, en date du 4 septembre 2014, a été rendu sous l’empire de cette législation. Mais depuis que le pourvoi a été formé l’article 49- II de la loi du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises, a supprimé cette formalité.

Il existe un principe de non-rétroactivité des lois pénales de fond[8] à la différence des lois pénales de forme qui s’appliquent immédiatement, y compris au jugement des faits commis avant leur promulgation[9]. Cette règle de non-rétroactivité des lois pénales de fond subit une importante exception pour les lois pénales plus douces. Celles-ci s’appliquent non seulement aux faits commis avant leur entrée en vigueur et non encore jugés mais aussi, comme c’était le cas en l’occurrence, aux faits déjà jugés en 1ère instance et en appel tant qu’une décision définitive n’est pas intervenue (art. 112-1al.3 C. pén). Solution de bon sens car le principe de non-rétroactivité ayant été édicté pour protéger le prévenu, il serait aberrant qu’il se retourne contre lui et qu’on lui fasse perdre le bénéfice d’une répression allégée pour la seule raison que la loi plus sévère était en vigueur à la date de la commission des faits.

Si on peut parfois hésiter sur la détermination d’une loi plus douce, il en est d’autres où elle est incontestable comme celles qui suppriment une incrimination. En l’occurrence, l’abrogation de l’article L. 322-3 du code du sport a mis fin à l’obligation de déclaration et au délit qui y était associé (1° de l’article L. 322-4 du code du sport) de sorte que la cassation était inévitable. Après avoir rappelé la règle de la rétroactivité « in mitius » la chambre criminelle en déduit que  la déclaration de culpabilité est désormais privée de base légale et que la peine d’amende de 15000 euros doit être annulée. La juridiction de renvoi devra donc réexaminer cette peine initialement prononcée pour la répression de deux incriminations dont une seule demeure en vigueur.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.

En savoir plus :
Cour de Cassation, Chambre Criminelle 28 mars 2017

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CRIM 28 MARS 2017 EXPLOITATION ILLEGALE SKI



Notes:

[1] Art 121-7 C. pén.

[2] Cass. Crim. 7 oct 1998, pourvoi n° 97-85336, Bull. crim. n° 249, p.719. CA Chambéry, 12 oct. 2000, n° 00/746.

[3] Cass crim. 24 oct. 1989 pourvoi n° 88-87551. Bull. Crim. n° 374 p. 900 D. 1991, jurispr. p. 94, note J-P. Marguénaud.

[4] Il s’agit des militaires, fonctionnaires relevant des titres II, III et IV du statut général des fonctionnaires dans l’exercice des missions prévues par leur statut particulier et enseignants des établissements d’enseignement publics et des établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’État dans l’exercice de leurs missions

[5]La libre prestation de service (LPS) se caractérise par la fourniture d’un service de manière temporaire ou occasionnelle sur le territoire d’un État membre autre que celui où le professionnel est installé tandis que la liberté d’établissement consiste, pour un professionnel, à pouvoir s’établir en permanence dans un autre État membre, afin d’y exercer son activité

[6] Lorsque l’activité concernée ou la formation y conduisant n’est pas réglementée dans l’État d’établissement, le prestataire doit l’avoir exercée, dans un ou plusieurs États membres de l’Union européenne ou parties à l’accord sur l’Espace Économique Européen, à temps plein pendant au moins une année ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente, au cours des dix années qui précèdent la prestation

[7] Ou qui n’est pas compensée par les connaissances, aptitudes et compétences qu’il a acquises au cours de son expérience professionnelle ou de l’apprentissage tout au long de la vie.

[8] Ainsi, une loi pénale qui crée une incrimination, qui élève la peine applicable à une infraction existante, qui ajoute une peine complémentaire nouvelle, ou supprime une cause d’atténuation de la sanction ne s’applique pas aux faits accomplis avant son entrée en vigueur. La loi nouvelle ne s’applique donc qu’aux actes postérieurs à sa promulgation.

[9] C’est le cas des lois de procédure qui sont relatives à la constatation, à la poursuite des infractions et à la compétence des juridictions pénales. Leur application immédiate est fondée sur l’idée que la loi nouvelle est censée assurer une meilleure administration de la justice.

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