La vétusté ou la défectuosité des matériels sportifs ou autres équipements annexes qui mettent en péril la sécurité des pratiquants ou des amateurs de spectacles sportifs est rigoureusement sanctionnée par les tribunaux, quel que soit le fondement de la responsabilité – contractuelle ou délictuelle – sur laquelle s’affrontent l’organisateur sportif et la victime. Le moindre disfonctionnement dans la structure ou le positionnement de l’équipement suffit à engager la responsabilité de l’organisateur sportif comme l’attestent les arrêts des cours d’appel de Metz (14 novembre 2017) et de Montpellier (24 juillet 2018).

 

1-Voici deux espèces où le client d’une salle de sport et la spectatrice d’un spectacle équestre ont été victimes de chutes malencontreuses, dont l’une fatale, provoquées par des équipements défectueux. Dans la première, la victime qui s’apprêtait à utiliser une machine pour la musculation des lombaires est tombée en avant sur les cervicales et a succombé à ses blessures (CA Montpellier 24 juillet 2018). Dans la seconde, elle  a heurté un madrier au sol destiné à baliser un chemin piétonnier réservé aux spectateurs (CA Metz 14 novembre 2017).

2-Les deux accidentés ont assigné en responsabilité le premier l’exploitant de la salle sur le fondement d’un manquement de sa part à l’obligation contractuelle de sécurité et le second, le centre équestre organisateur du spectacle, sur le fondement des articles 1382 et 1384 alinéa 1 (devenus les articles 1241 et 1242 du code civil) et accessoirement sur le fondement de l’article 1147 (devenu l’article 1231-1du code civil).

3-L’exploitant, à qui était reproché la défectuosité d’un appareil de musculation et que les premiers juges ont condamné à indemniser intégralement la victime, cherchait à obtenir en appel une exonération de responsabilité en mettant l’accident qui s’en est suivi au compte d’une faute de son client. Un  mauvais positionnement de la clavette et son manque de concentration pendant l’exercice au cours duquel elle rédigeait des messages sur son téléphone portable aurait été, selon sa version, la cause du dommage. Le moyen n’est pas retenu, les juges estimant, d’une part, que l’usage du téléphone portable n’est pas suffisant pour établir qu’il est à l’origine d’une négligence de la victime à placer la clavette et, d’autre part, le fait que celle-ci soit tombée à terre ne suffisait pas à établir les circonstances exactes du dysfonctionnement de l’appareil.

4-Dans l’autre espèce, le chemin longeant un bâtiment où se pressait la foule était matérialisé par des traverses de chemin de fer posées au sol, invisibles de nuit en l’absence d’éclairage. Par ailleurs il y avait, à cet endroit, un goulot d’étranglement formé par le resserrement du chemin d’environ 1m80 alors qu’il était de 4 mètres de largeur auparavant. Si les premiers juges avaient estimé que la victime ne rapportait pas la preuve d’une faute de l’organisateur, en revanche la cour d’appel s’appuyant sur un témoignage circonstancié a conclu à une faute de négligence de sa part pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des spectateurs « alors qu’il était prévisible qu’une bordure de quelques centimètres de hauteur délimitant un chemin piétonnier représentait un obstacle »  susceptible d’entraîner leur chute.

5-Dans ces deux espèces les parties étaient liées par un contrat et c’est à l’occasion de son exécution que l’accident était survenu. C’est donc les règles de la responsabilité contractuelle et de l’obligation de sécurité qui devaient s’appliquer à ces deux litiges. Rappelons pour mémoire que l’obligation de sécurité, que les tribunaux ont greffée sur un certain nombre de contrats et spécialement ceux conclus par les organisateurs sportifs, a pour but de garantir le créancier contre les risques qui menacent sa sécurité corporelle. L’intensité de cette obligation est plus ou moins forte selon qu’elle est de moyens ou de résultat. La mise en œuvre de l’obligation de moyens est subordonnée à l’existence d’une faute de l’organisateur dont la charge de la preuve incombe à la victime. Sa demande d’indemnité sera rejetée si elle ne parvient pas à établir un manquement de l’organisateur  à son obligation de sécurité (notre commentaire du 25/09/2017). En revanche, dans le cas de l’obligation de résultat le fardeau de la preuve est inversé : la responsabilité de l’exploitant est engagée du seul fait de la survenance du dommage et il ne peut s’en exonérer que par la preuve d’une cause étrangère (force majeure, fait de la victime ou d’un tiers).

6-Par principe, l’obligation de l’organisateur sportif est de moyens en application des critères de distinction entre les deux catégories d’obligation fondés sur l’aléa et le comportement du créancier. L’obligation de résultat trouve sa justification par l’absence d’aléa dans l’exécution de la prestation et par le comportement passif du créancier. En revanche, le débiteur d’une obligation de moyens n’est pas en capacité de promettre au créancier qu’il sera sain et sauf au terme de l’exécution du contrat car ce dernier dispose d’une liberté d’action et d’initiative personnelle sur laquelle il n’a pas prise.

7-Dans les deux espèces commentées les victimes étaient en mouvement : l’une utilisait un engin de musculation et l’autre déambulait dans le périmètre du centre équestre. Elles avaient bien chacune un rôle actif qui est la marque de l’obligation de moyens, comme ne manquent pas de le préciser chacune des deux juridictions.

8-D’un côté, la cour d’appel de Metz relève que « l’organisateur d’une manifestation sportive ou culturelle est débiteur envers les spectateurs d’une obligation de sécurité de moyens au titre de laquelle il est tenu de prendre les mesures nécessaires pour éviter les risques prévisibles ». De l’autre, la cour de Montpellier observe que « L’appelant ne critique pas le principe de l’obligation de sécurité mise à la charge du gardien du matériel de la salle de sport à la disposition des clients ».

9-Pourtant, il n’est pas exclu d’imaginer qu’une même prestation puisse être scindée en deux parts, l’une qui relève de l’obligation de moyens et l’autre de l’obligation de résultat. La Cour de cassation en offre précisément un exemple à l’occasion d’un accident d’atterrissage survenu à une personne qui participait à un stage de parapente. En l’occurrence, la victime troublée par  une panne radio inexpliquée au moment de la phase d’atterrissage et n’ayant pu exécuter les consignes du moniteur avait pris une mauvaise direction à l’origine de sa collision avec des sapins. La Haute Juridiction approuve la cour d’appel de Chambéry pour avoir « retenu que le contrat formé entre la personne qui participe à un stage de parapente et le professionnel qui l’organise met à la charge de celui-ci une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne le matériel utilisé pour exécuter sa prestation »[1].  L’obligation de sécurité de l’organisateur a donc été sectionnée en deux morceaux. L’un relatif à la préparation préalable et à l’assistance au vol considéré comme de moyens et l’autre à la fourniture d’un appareil de radio qualifiée d’obligation de résultat. En raisonnant par analogie on pourrait appliquer cette analyse à l’accident survenu à l’occasion de l’utilisation d’un engin de musculation. En effet, c’est bien le dysfonctionnement de l’appareil consécutif à la chute de la clavette qui est à l’origine exclusive du dommage. Dans ce cas, la responsabilité de l’exploitant se trouverait automatiquement engagée sans que les juges aient à rechercher s’il a fait le nécessaire pour sécuriser l’appareil. A charge pour lui de rapporter la preuve d’une faute de l’utilisateur. Il est vrai qu’à la différence de la présente espèce où la défectuosité de l’engin de musculation était avérée, l’équipement radio, dans l’accident de parapente, était de bonne qualité, récent, correctement entretenu et avait été testé au départ du vol tandis que l’appareil de musculation était défectueux. Dans ces conditions la cour d’appel de Montpellier pouvait s’en tenir à l’inexécution de l’obligation de moyens par la faute de l’exploitant. Encore fallait-il établir que celui-ci avait créé les conditions d’un risque anormal. En effet s’il est admis que les pratiquants acceptent les risques inhérents à l’exercice du sport pratiqué, c’est sous réserve qu’il s’agisse de risques normaux. Il n’est pas d’usage de réparer les dommages contre lesquels un pratiquant moyennement prudent et vigilant peut se prémunir. Ainsi, l’exploitant prétendait que son client connaissait depuis longtemps la bonne utilisation de l’appareil qu’il utilisait environ quatre fois par semaine, de sorte que s’il avait procédé à une vérification de l’ancrage de la jambe dans la fixation avant de commencer, il se serait rendu compte que la partie mobile n’était pas fixée par la clavette. Toutefois, imposer à sa clientèle un appareil vétuste de près d’une trentaine d’années, et de ce fait dangereux, alors qu’il existe de nouvelles normes, n’est pas en soi normal.  Comme le rappellent, à juste titre, les juges « l’exploitant d’une salle de sport doit mettre tout en oeuvre pour assurer la sécurité de ses clients ». Cette exigence est d’autant plus forte, s’agissant des équipements sportifs, que la Cour de cassation elle-même considère que « le seul respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives est insuffisant pour exonérer une association de ses devoirs en matière de sécurité et que, au-delà d’un strict respect des prescriptions sportives, il existe à sa charge une obligation de prudence et de diligence »[2]. Une telle affirmation n’est autre que la consécration d’une obligation de moyens alourdie pour tout emploi d’équipement sportif.

10-Pour autant, on se méprendrait sur la portée de cet arrêt en y voyant une présomption de faute comme le soutenait, dans une espèce voisine, le client d’une salle de remise en forme blessé à la tête par la chute d’un portique. Selon les motifs de son pourvoi en cassation la seule atteinte à la sécurité des pratiquants lors de l’utilisation d’une machine faisait présumer la défaillance de l’exploitant à qui il appartenait de prouver qu’il n’avait commis aucune faute. Son pourvoi fut rejeté pour n’avoir pu prouver que l’appareil employé par lui aurait été défectueux ou aurait dû être fixé au sol[3]. (voir notre commentaire du 25/09/1017). Aussi, si les juges admettent, comme le fait la cour de Montpellier  que la simple vétusté de l’appareil puisse suffire à engager la responsabilité de l’exploitant, encore faut-il que la victime rapporte la preuve de cette vétusté ou anomalie de fonctionnement.

11-Dans la seconde espèce, c’est  sur le terrain délictuel et notamment sur le fondement de l’article 1241 du code civil que la spectatrice avait fondé sa demande. Curieusement, et au mépris du principe du non-cumul des responsabilités[4], la cour d’appel de Metz observe que la victime recherche la responsabilité délictuelle de l’association organisatrice du spectacle équestre alors même qu’elle vient de rappeler dans un précédent paragraphe que « l’organisateur d’une manifestation sportive ou culturelle est débiteur envers les spectateurs d’une obligation de sécurité de moyens » !

12-Sans doute cette incohérence ne porte-elle pas à conséquence car aussi bien la responsabilité contractuelle pour inexécution d’une obligation de moyens que la responsabilité délictuelle fondée sur l’article 1241 du code civil sont l’une et l’autre des régimes de responsabilité pour faute. En l’occurrence, l’organisateur a bien commis une faute de négligence en ne prenant pas les mesures nécessaires (pose de barrières de protection, choix d’un itinéraire piéton sans obstacle…) pour prévenir le risque de chute lors des déplacements des spectateurs.

13-Faut-il également ajouter qu’une action engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, outre qu’elle aurait enfreint le principe du non-cumul, n’aurait pas été plus avantageuse pour la victime en terme de charge de la preuve. En effet, si elle est dispensée d’établir une faute du gardien de la chose et s’il existe une présomption de causalité lorsqu’elle est entrée en contact avec celle-ci, en revanche elle doit démontrer, en cas d’inertie, qu’elle a été l’instrument du dommage.  En l’occurrence, il lui fallait démontrer que la chute avait bien été provoquée par des traverses de chemin de fer posées au sol et que celles-ci avaient eu rôle actif dans la survenance du dommage, ce qui revenait à établir une anomalie dans leur structure et leur positionnement (en l’occurrence une bordure affleurant du sol, d’une hauteur de quelques centimètres, invisible pour une personne pressée dans une foule) et donc, en définitive une faute de l’organisateur.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus : 
CA METZ 14 NOV 2017 SPECTACLE EQUESTRE
CA MONTPELLIER 24 JUILLET 2018

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA METZ 14 NOV 2017 SPECTACLE EQUESTRE
CA MONTPELLIER 24 JUILLET 2018



Notes:

[1]Civ. 1, 11 janv. 2017,  n°15-24696.

[2]Civ.1,16 mai 2006, n° 03-12537. Bull. civ. n° 249 p. 218.

[3]Civ1,22 juin 2017, n°16-18681

[4]En application de ce principe, les parties ne peuvent invoquer concurremment les deux régimes de responsabilité contractuelle et délictuelle. De surcroît, la voie de la responsabilité délictuelle leur est fermée si les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies.

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