Le médecin ne peut pas refuser de signer des ordonnances de renouvellement de ses prescriptions qui n’auraient pas été préalablement préparées par des infirmières.

La question de la distribution des médicaments dans les établissements médico-sociaux a un impact majeur sur la qualité des soins et la prise en charge des résidents. C’est pour cela que la coopération des personnels de santé en charge des actes de prescription ou de délivrance des ordonnances est des plus primordiales. Or parfois, notamment dans les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, il apparaît certains dysfonctionnements.

1. Les faits

Il faut croire que dans cette affaire le principal acteur croyait en l’adage « la persévérance vient à bout de tout ». Sa démarche s’avéra cependant vaine.

Le 15 juin 2002, Monsieur Le Maréchal, médecin non titulaire, fût licencié par le Directeur de la Maison de retraite « La pie voleuse », établissement public.

Les faits reprochés étaient pour le moins étonnants : la Direction tenait rigueur au médecin d’enjoindre au personnel infirmier de rédiger les projets de renouvellement des prescriptions médicales destinées aux résidents de la maison de retraite, avant de les signer après les avoir éventuellement corrigés. En dépit de multiples rappels à l’ordre émanant tant de la Direction que du médecin inspecteur de la DDASS, le médecin refusait de modifier son comportement de sorte que son employeur était contraint d’organiser et rémunérer l’intervention d’un autre médecin afin que le traitement des pensionnaires ne soit pas interrompu.

Que pouvait bien avancer le médecin pour justifier un tel comportement ?

Le médecin en cause se défendait en arguant de ce que son employeur confondait l’acte de prescrire et celui d’écrire l’ordonnance, précisant que cette opération aurait parfaitement pu être déléguée à une secrétaire médicale. Il ajoutait que la délégation de cette tâche aux infirmières était due au fait que les patients étaient nombreux et qu’il n’officiait que les lundi, mercredi et vendredi. Il précisait que l’article 76 du code de déontologie médicale n’imposait pas au médecin la tâche de rédiger de manière manuscrite le corps du document médical, que seule la signature du médecin devait être manuscrite, qu’il signait lui-même ses ordonnances, visa qui matérialisait clairement le contrôle des prescriptions renouvelées auprès des pensionnaires, qu’il s’agissait de renouvellements et non de prescriptions initiales, qu’il avait utilisé cette pratique durant 20 ans sans que la Direction ne puisse déplorer un seul incident, qu’aucune faute grave ne pouvait dès lors lui être reprochée. Il contestait en outre son lien de subordination, rappelant qu’il travaillait en vacations à temps partiel et que dans le cadre de l’exercice de son art médical, il recouvrait toute liberté. De ce fait, il sollicitait dès lors sa réintégration ou à défaut la condamnation de la maison de retraite au versement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis, de licenciement, des dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait du caractère vexatoire de son licenciement.

La Cour d’appel de Versailles par une décision du 3 décembre 2007, confirmait le jugement administratif rejetant la requête du Docteur. Elle rappelait que les faits reprochés étaient de nature à justifier légalement une sanction disciplinaire, peu important que son employeur ait toléré cette pratique jusqu’à l’adoption du décret du 11 décembre 2002 et que la décision de licencier pour faute grave n’était pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Le conflit, cristallisé sur la question de la répartition des compétences entre médecin et infirmier, faisait l’objet d’un recours devant le Conseil d’état.

2. La décision

L’affaire portée devant le Conseil d’état ne donne pas plus satisfaction au médecin.

Le Conseil d’état rend sa décision au visa des décrets du 16 février 1993 et du 11 février 2002 relatifs aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier.

Plus précisément, le juge administratif fixe la limite des compétences entre médecin et infirmier, sur le fondement de deux textes codifiés :

  • l’article R. 4312-29 du code de la santé publique : « L’infirmier ou l’infirmière applique et respecte la prescription médicale écrite, datée et signée par le médecin prescripteur, ainsi que les protocoles thérapeutiques et de soins d’urgence que celui-ci a déterminés (…). Il doit demander au médecin prescripteur un complément d’information chaque fois qu’il le juge utile, notamment s’il estime être insuffisamment éclairé. L’infirmier ou l’infirmière communique au médecin prescripteur toute information en sa possession susceptible de concourir à l’établissement du diagnostic ou de permettre une meilleure adaptation du traitement en fonction de l’état de santé du patient et de son évolution » ;

 

  • l’article R. 4311-7 du même code : « (…) l’infirmier est habilité à pratiquer les actes suivants soit en application d’une prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, soit en application d’un protocole écrit, qualitatif et quantitatif, préalablement établi, daté et signé par un médecin : (…) Administration des médicaments… ».

Le juge suprême rappelle que Monsieur Le Maréchal ne pouvait refuser de signer des ordonnances de renouvellement de ses prescriptions qui n’auraient pas été préalablement préparées par des infirmières. La décision de licenciement n’étant dès lors pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité de la faute commise.

Cette affaire est l’occasion pour le Conseil d’état de rappeler que si les dispositions du code de la santé publique, permettent aux infirmiers de préparer à la demande et suivant les indications d’un médecin un projet d’ordonnance dont il sera le seul auteur et qu’il lui appartiendra, après examen du malade et, sous sa responsabilité, de modifier ou de valider en y apposant sa signature, elles font en revanche obstacle à ce qu’un médecin subordonne la délivrance et la signature de ses ordonnances à l’exigence qu’elles aient été préalablement préparées par le personnel infirmier.

Un traitement médical ne peut donc, sauf urgence, être prescrit que par le médecin, à l’exclusion de tout autre professionnel.

3. Portée

La question de la répartition des compétences entre médecin et infirmier a déjà été abordée par les juges judiciaires.

Le 9 octobre 2002, la Cour d’appel de Nancy est venue rappeler que l’infirmier doit respecter les soins et médicaments ordonnés par le médecin, sans prendre la liberté de modifier les prescriptions (CA. Nancy, 9 octobre 2002 n°00-2092 Borlet c/ SA Sté Française de services Sodexo).

Il s’agissait en l’espèce d’une infirmière dans une maison de retraite qui avait modifié de son propre chef une prescription médicale, sans la consigner dans le cahier. La Cour d’appel a jugé que cette dernière avait commis une faute réelle et sérieuse, puisqu’elle se devait de respecter scrupuleusement les soins et médicaments ordonnés par le médecin s’agissant de la santé des résidents.

Cependant, la faute grave avait été écartée, au motif que les agissements ne semblait pas avoir revêtu un caractère dangereux et que la tâche qui lui était impartie (une infirmière pour 90 résidents) était extrêmement lourde.

Dans une autre affaire soumise récemment à la Cour de cassation, la faut
e grave a au contraire été retenue (Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.230). La Cour retient que commet une faute grave, l’infirmière qui a commis plusieurs fautes parmi lesquelles le refus à plusieurs reprises d’administrer une prescription médicale d’un médecin. En l’espèce, la salariée exigeait à tort, pour respecter l’ordonnance, que soit donné le consentement exprès du patient (et s’agissant d’un majeur incapable, de son tuteur).

Dans les deux arrêts cités, le juge judiciaire rejoint la position du juge administratif considérant que le médecin est seul compétent pour prescrire les médicaments et soins nécessaires aux résidents. Le personnel infirmier se devant donc de respecter les prescriptions émises.

(CE, 11 décembre 2009, n°312742)

Frédérique MARRON, Avocat, spécialiste en droit social Cabinet CAPSTAN Avocats

Descriptif :

Articulation des compétences entre professionnels de santé (médecin/infirmier) au sein d’un établissement accueillant des personnes âgées dépendantes

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