Les arrêts rendus par les cours d’appel de Chambéry et de Versailles envoient un message clair aux clubs d’escalade et à leur encadrement. D’une part, il ne peut y avoir d’escalade libre sans contrôle préalable du niveau des pratiquants nouvellement accueillis (CA Versailles 6 octobre 2016). D’autre part, l’obligation de sécurité est modulable. Si une surveillance rapprochée des pratiquants réguliers d’un club ne s’impose pas, en revanche, un strict contrôle de leur progression s’avère nécessaire dans des circonstances particulières comme la pratique d’un nouvel exercice au cours d’un entrainement (CA Chambéry 4 février 2016).

1-Deux jeunes grimpeurs qui pratiquaient avec leur partenaire l’escalade « à la moulinette » sur des structures artificielles d’escalade font une chute qu’ils imputent à un défaut de surveillance de l’encadrement du club. Les circonstances des deux espèces diffèrent sur un point. Dans la première, la victime était un nouvel arrivant autorisé avec son camarade à évoluer en autonomie sans la présence d’un moniteur d’escalade. Dans la seconde, en revanche, la victime était un adhérent de l’association et avait chuté alors qu’elle effectuait un nouvel exercice d’entrainement chronométré sous la surveillance d’un moniteur.

2-Dans la première espèce (CA Versailles), le club se voit imputer l’entière responsabilité de l’accident pour n’avoir pas testé le niveau des deux grimpeurs et s’être assuré qu’ils maitrisaient l’un et l’autre les techniques d’assurance (I). Dans la seconde (CA Chambéry), il est reproché au moniteur qui encadrait la séance d’entrainement de ne pas avoir rappelé les consignes de sécurité et de ne pas s’être assuré par lui-même que les participants procédaient bien à un autocontrôle de sécurité, et au contrôle systématique de leur binôme (II). L’affaire se clôt ici par un partage de responsabilité alors que, dans la précédente espèce, les juges ont occulté les défaillances des victimes et retenu l’entière responsabilité du club (III).

I-Obligation de sécurité et pratique libre de l’escalade

3-La cour d’appel de Versailles statuait comme cour de renvoi après cassation d’un arrêt rendu par la cour de Paris qui avait exonéré l’association de toute responsabilité. L’arrêt de censure de la 1re chambre civile de la Cour de cassation[1] avait été remarqué pour sa sévérité au point qu’on pouvait s’interroger sur une possible remise en cause de la pratique de l’escalade libre au sein des clubs (voir notre commentaire). La haute juridiction reprochait, en effet, à la cour d’appel d’avoir énoncé que l’obligation de sécurité du moniteur n’existe que pendant une formation et non lorsque la personne exerce librement l’escalade dans une salle ou sur un mur mis à sa disposition.   En réplique, elle avait affirmé « que l’association sportive est tenue d’une obligation contractuelle de sécurité de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux et sur des installations mises à leur disposition, quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité ». L’expression très générale « d’obligation contractuelle de sécurité de prudence et de diligence » était susceptible d’une double interprétation. Soit, on considérait que la Haute juridiction avait voulu mettre à la charge des clubs une obligation de surveillance rapprochée ce qui ne manquerait pas de leur poser un redoutable problème d’encadrement. Soit on s’orientait vers une lecture plus libérale de l’arrêt de cassation, comme le firent le club d’escalade et son assureur, et on estimait alors que la Cour de cassation avait sanctionné la cour d’appel non pas pour avoir dispensé le club de l’obligation de surveillance mais pour ne pas s’être prononcée sur les autres composantes de l’obligation de sécurité comme le contrôle du degré de connaissance des participants et de leurs aptitudes techniques.

4-L’arrêt de la cour de renvoi était donc attendu. La solution retenue par la cour de Versailles est plutôt rassurante pour les clubs qui craignaient d’avoir à leur charge la surveillance rapprochée et permanente de tout utilisateur d’une structure d’escalade sans distinction entre novices et grimpeurs expérimentés. L’arrêt ne fait aucune allusion à un tel manquement. Il observe que le président du club, seul encadrant présent ce jour là, avait autorisé les deux jeunes gens à accéder au mur d’escalade sans tester leur degré de connaissances, ni vérifier qu’ils possédaient les aptitudes techniques suffisantes pour évoluer sur l’installation en toute sécurité alors que l’enquête a révélé que l’un des deux était inexpérimenté. Par ailleurs, l’arrêt prend acte de ce que le club a décidé de renforcer ses mesures de contrôle dans le cadre de la pratique libre en élaborant un nouveau règlement ce qui sous entend qu’elles étaient insuffisantes. Il est clair à la lecture de ces motifs que la cour d’appel ne censure pas le club pour un manque de surveillance mais pour un défaut d’organisation. Il ne lui est pas reproché l’absence d’encadrement mais le défaut de vérification du niveau technique des grimpeurs en autonomie. Rien de très nouveau quand au degré d’intensité de l’obligation de sécurité. L’arrêt est dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation pour laquelle « le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »[2]. Cette rigueur se traduit par une expansion du périmètre de l’obligation de sécurité. Il n’est donc pas étonnant dans ce contexte que soit mis à la charge des clubs l’obligation de soumettre les nouveaux grimpeurs à un contrôle formalisé de leur aptitude et à un rappel des instructions de sécurité à observer.

5-Les circonstances de cette affaire, où deux jeunes grimpeurs ont été autorisés à utiliser l’installation sans être membres du club, restent marginales. Elles ont cependant le mérite d’appeler l’attention des dirigeants sur la nécessité de revoir leurs règlements d’utilisation des murs d’escalade pour la pratique de l’escalade libre ce qu’a d’ailleurs fait le président du club mis en cause. Surtout, la cour de Versailles lève l’équivoque soulevée par les termes de l’arrêt de cassation. Le club est dispensé de surveiller ses pratiquants expérimentés. Voilà qui devrait rassurer les dirigeants et amateurs d’escalade libre.

II-Obligation de sécurité et pratique de l’escalade encadrée

6-Dans les pratiques sportives encadrées le rappel des règles de sécurité s’impose par nécessité quant elles s’adressent à des débutants. Lorsqu’il s’agit de sportifs expérimentés qui viennent s’entrainer, l’éducateur n’est pas tenu de leurs répéter systématiquement les consignes de prudence qu’ils connaissent nécessairement sauf dans des circonstances particulières, comme l’apprentissage d’une nouvelle technique ou la pratique d’un exercice inhabituel. C’est l’enseignement qu’il faut tirer de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Chambéry.

7- En l’occurrence, la victime avait assigné concurremment le club et le moniteur chacun pour leurs propres fautes. On remarquera au passage qu’elle aurait pu faire supporter à l’association l’entière responsabilité du dommage au titre de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui[3]. Sa demande formée contre le club sur le fondement de la responsabilité de son fait personnel n’avait aucune chance d’aboutir puisque celui-ci avait mis à disposition de ses adhérents du matériel adapté et un moniteur diplômé comme le fit observer la cour d’appel.

8- Restait donc l’action formée contre le moniteur. En l’absence de relations contractuelles entre celui-ci et ses élèves, c’est sur le terrain de la responsabilité délictuelle que l’action de la victime a été examinée. Elle n’avait pas pour fondement l’inexécution d’une obligation de sécurité mais l’obligation générale de prudence qui s’applique à toute personne et en l’occurrence au moniteur qui avait en charge la sécurité des participants.

9-Il encadrait un exercice de vitesse consistant pour ses élèves à faire des allers-retours sur des voies d’escalade différentes en prenant un court temps de récupération entre chaque montée et descente. Bien que cet exercice fut inhabituel les juges estiment ni anormal, ni imprudent de l’avoir proposé lors d’un entraînement d’autant qu’il ne s’adressait pas à des débutants mais à des grimpeurs expérimentés. En effet, la victime pratiquait l’escalade depuis longtemps et à l’époque de l’accident deux fois par semaine. De surcroît, elle avait déclaré que son niveau lui permettait d’emprunter des voies d’un classement supérieur à celles dans lesquelles elle s’était engagée le jour de l’accident. En revanche, cet exercice nécessitait une grande vigilance de la part du moniteur pour trois raisons. D’abord, l’exercice était inhabituel pour les participants. Ensuite, le moniteur qui effectuait un remplacement ne connaissait pas leur niveau technique. Enfin, l’exécution rapide de l’exercice comme la technique d’assurance avec un seul mousqueton augmentaient le danger.

10-Aussi, bien que les deux grimpeurs fussent expérimentés, les juges considèrent que le moniteur avait le devoir non seulement de leur rappeler les consignes de sécurité, mais également de contrôler personnellement le verrouillage de leur unique mousqueton ou tout au moins de veiller à ce qu’ils fassent un autocontrôle de sécurité et s’assurent de la bonne coordination de leur binôme. Si cette obligation de contrôle renforcée ne s’applique pas en temps ordinaire avec un public de pratiquants réguliers, c’est l’existence de circonstances particulières, comme c’était le cas ici, qui la justifient. Le résultat aurait été le même si l’affaire avait été jugée sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Le périmètre de l’obligation de sécurité des organisateurs sportifs n’est pas fixé une fois pour toute mais modulable en fonction d’éléments qui tiennent à la fois au danger du sport pratiqué, à la nature de l’exercice effectué, au niveau et à l’âge des pratiquants. Cette pluralité de critères qui se combinent entre eux confèrent au juge un pouvoir considérable dans l’appréciation des responsabilités qui n’a pas lieu d’être avec l’obligation de résultat où il suffit de constater l’existence d’un dommage sans avoir à s’interroger sur le comportement du débiteur de la prestation. Dans ce cas, le débat se déplace sur le terrain de la faute de la victime, moyen habituel d’exonération du débiteur d’une obligation de résultat.

 

III-Faute de la victime et exonération de responsabilité

11-La faute de l’organisateur n’est pas nécessairement la cause unique du dommage. Elle peut également être en tout ou partie imputable à la faute de la victime. Il en résulte une exonération ou atténuation de la responsabilité du club.

12- Dans l’espèce examinée par la cour de Versailles, le club soutenait que l’accident provenait à la fois de la défaillance du grimpeur qui assurait son camarade et n’avait pas stoppé sa chute et de la victime qui avait omis de vérifier que son camarade de cordée l’assurait bien au moment d’entamer la descente. Les juges admettent à leur tour que l’accident résulte de l’inexpérience de l’un, de l’imprudence de l’autre et d’un manque total de coordination entre les deux jeunes gens. Pourtant, ils refusent au club le bénéfice d’un partage de responsabilité estimant que l’autorisation donnée aux deux grimpeurs sans vérification de leurs aptitudes techniques constituait la cause déterminante du dommage. C’est l’application pure et simple de la théorie de la causalité adéquate qui a les faveurs du juge administratif. A la différence de l’équivalence des conditions qui prend en compte toutes les causes ayant concouru au dommage, le juge écarte ici celles qu’il estime accessoires pour ne retenir que la cause jugée la plus adéquate parce que la plus grave. L’imprudence et l’inexpérience des grimpeurs est absorbée par la faute de l’organisateur. Cette solution est discutable. En effet, on aurait pu tout aussi bien soutenir que la négligence de la victime pourtant habituée de la discipline et le manque de vigilance de son camarade avaient concouru au dommage. Dans ces conditions, il eut été possible d’envisager un partage de responsabilité et d’exonérer le club pour une part.

13-Dans l’autre espèce, au contraire, les magistrats de la cour de Chambéry ont appliqué l’équivalence des conditions et admis que le manque de vigilance des deux partenaires – le premier n’ayant pas correctement verrouillé le mousqueton, et la seconde n’ayant pas vérifié la corde de la victime comme cela se fait habituellement – avaient concouru au dommage à proportion des 2/3.

14-La comparaison entre ces deux décisions peut donner le sentiment d’un certain arbitraire pour déterminer le rôle respectif de chacune des fautes dans la survenance d’un dommage. Il ne faut pas s’en étonner : c’est la rançon du pouvoir d’appréciation accordé aux tribunaux !

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport

En savoir plus :
VERSAILLES 6 OCTOBRE 2016
CHAMBERY 4 FEVRIER 2016

Print Friendly, PDF & Email
Jean-Pierre Vial



Documents joints:

VERSAILLES 6 OCTOBRE 2016
CHAMBERY 4 FEVRIER 2016



Notes:

[1] Civ 1, 15 décembre 2011, n°10-23528 10-24545. Bull civ I, n° 219

[2] Civ. 1, 16 oct. 2001. N° 99-18221.Bull. civ. I, 2001, n° 260, p.164. D. 2002, somm. 2711 obs. A. Lacabarats, JCP 2002, 2, 10194, note C. Lièvremont. RTD civ. 2002, p. 107 obs. P. Jourdain. Gaz. Pal. 2002, 1374, note P. Polère.

[3] L’organisateur d’une activité répond non seulement de ses propres fautes mais également de celles de toute personne, comme ses préposés ou prestataires, qu’il inclut dans l’exécution du contrat.

© 2024 Institut ISBL |  Tous droits réservés   |   Mentions légales   |   Politique de confidentialité

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?