L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 février 2015[1] rejette le pourvoi formé par un entraineur sportif condamné pour agression sexuelle sur ses élèves mineurs. Cette décision porte sur le sujet controversé de la contrainte morale. A défaut d’une définition précise, elle a conduit certains tribunaux à la déduire de la minorité de la victime ou de l’autorité de l’auteur des faits alors qu’il s’agit de circonstances aggravantes qui ne peuvent être considérées à elles seules comme des éléments constitutifs de l’infraction. En l’espèce, on ne pourra pas reprocher cet amalgame aux juges du fond. Ils ont pris soin de relever que le prévenu avait su tirer parti de l’autorité que lui conférait son statut d’entraineur et son aura de professeur reconnu de karaté ainsi que des cadeaux qu’il faisait aux enfants, pour établir la preuve que leur consentement a été forcé.

1-Le monde sportif n’est pas à l’abri des violences sexuelles. Une enquête menée en 2000-2002[2] sur la région Champagne auprès d’étudiants en sciences et technique des activités physiques et sportives (STAPS) a montré que près de 8 % d’entre eux disent avoir subi une agression sexuelle au cours de pratiques sportives. Le gouvernement a d’ailleurs bien pris la mesure du problème puisqu’un programme de lutte contre le harcèlement et les abus sexuels dans le sport a été mis en place en 2008, sous l’égide du ministère de la Santé de la Jeunesse et des Sports[3].
2-Ces comportements de prédateurs sont facilités, voire encouragés par la répétition des entrainements et le face à face quasi quotidiens de l’entraineur et ses élèves, de sorte qu’inévitablement se créé une certaine intimité entre eux. Celle-ci est renforcée par des périodes de cohabitation liées aux nombreux déplacements pour des stages ou compétitions. A cet égard, les jeunes sportifs sont les plus exposés car l’entraîneur « jouit d’une autorité particulière et d’une certaine aura auprès d’eux »[4].
3-Ce pouvoir de domination qu’exercent certains entraineurs sur leurs élèves a été médiatisé par la presse nationale dans l’affaire Demongeot où le directeur d’un centre d’entrainement et ex-entraîneur de joueuses de tennis réputées était accusé d’agression sexuelle sur plusieurs élèves[5].
4-Le présent arrêt de la chambre criminelle offre une nouvelle application de ces dérives qui résultent habituellement d’un abus d’autorité de l’entraîneur profitant de la vulnérabilité de ses élèves. En l’occurrence, le prévenu présentait un lourd passif puisqu’il avait été condamné pour détention de l’image d’un mineur présentant un caractère pornographique, corruption de mineurs de 15 ans, et agressions sexuelles aggravées.
5-Il avait formé un pourvoi en cassation contre sa condamnation pour agression sexuelle fondée sur la violation des articles des articles 222-22 et 222-22-1 du code pénal. L’enjeu du débat portait sur le défaut de consentement des victimes. En effet, il n’y a pas d’agression sexuelle si la victime est consentante. Cependant, de tels faits commis sans contrainte et donc avec son accord  ne sont pas impunis si la victime est un mineur.  C’est alors la qualification d’atteinte sexuelle sans violence qui s’applique. Le délit des articles 222-22 et suivants ne pouvait donc être consommé que par l’emploi de la violence, de la contrainte, des menaces ou de la surprise.
6-A cet égard, il faut distinguer le consentement « forcé » du consentement « surpris ». Le premier suppose que la victime a conscience de l’acte qu’on lui impose. Mais elle ne peut s’y soustraire sous l’effet de la violence physique ou morale. Dans le second cas, la victime ne se rend pas compte des actes qu’elle subit, soit parce qu’elle est persuadée par erreur que l’auteur est une autre personne[6] soit plus vraisemblablement, parce qu’elle est sous l’empire de l’alcool ou de la drogue ou qu’il s’agit d’un mineur en bas âge incapable de discerner la nature des actes perpétrés sur lui. En l’occurrence, on laissera de côté la surprise car les victimes étaient de jeunes sportifs et donc douées de discernement.  De même, elles n’avaient été soumises ni à des violences physiques ni même à de menaces, comme le révèlent leurs déclarations. Reste la contrainte qui était l’enjeu du pourvoi.
7-L’emploi de ce terme est ambigu car il recouvre tous les comportements ayant pour résultat d’annihiler le consentement de la victime en la forçant à un acte sexuel. En l’occurrence, si contrainte il y a eu, elle ne s’est exercée ni par violences ni par l’emploi de menaces puisque le prévenu  offrait des cadeaux à ses élèves! Mais, puisqu’il s’agissait de mineurs, il peut être tentant d’imputer la contrainte à la différence d’âge entre l’entraineur et ses élèves. La déduire de cette seule constatation c’est prendre le risque d’un amalgame entre un élément constitutif de l’infraction et la circonstance aggravante. En effet, la Cour de cassation refusait jusqu’ici qu’une infraction soit constatée à partir d’une circonstance qui n’est qu’une cause d’aggravation de la peine[7], sauf dans le cas d’enfants en bas âge[8]. La question a ressurgie avec la loi n° 2010-121 du 8 février 2010sur la répression de l’inceste et la seconde phrase de l’article 222-22-1 selon laquelle la « contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». L’emploi du terme « pouvoir » ôte tout l’intérêt du texte car il signifie que la différence d’âge et  l’autorité de fait ou de droit ne sont que des circonstances factuelles susceptibles de caractériser la contrainte.  Le Conseil Constitutionnel en a déduit que ce texte ne visait pas les éléments constitutifs de l’infraction  (ce qui eut été le cas s’il avait précisé que la différence d’âge ou  l’autorité exercée sur la victime impliquaient la contrainte)  mais avait seulement pour objet « de désigner certaines circonstances de fait sur lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l’espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte »[9]. En somme la loi nouvelle n’a rien réglé et comme le fait judicieusement remarquer un auteur, elle « a eu pour seul effet de réaffirmer le pouvoir des juges de se prononcer selon leur intime conviction : le résultat est admirable »[10].
8-Commentant un précédent arrêt[11], cet auteur observait que la chambre criminelle avait suivi la position du Conseil Constitutionnel en relevant que la différence d’âge entre la victime âgée de trois ans et l’auteur de l’infraction caractérisait la contrainte.  C’est donc bien l’important écart les séparant qui en a été le révélateur.  Il est possible que la Haute Juridiction ait estimé que celle-ci n’était pas suffisamment établie si l’écart avait été bien moindre. Il y a donc bien là un espace pour que les juges exercent un contrôle. En revanche, l’autorité de fait ou de droit, pourrait suffire à elle seule à constituer la contrainte, si on en croit la chambre criminelle pour qui elle « résulte de l’autorité de fait exercée sur les victimes par le prévenu ». En se sens, elle est revenue sur sa jurisprudence antérieure à la modification de l’article 222-22-1 où elle affirmait que « l’autorité attribuée au prévenu ne peut constituer qu’une circonstance aggravante du délit d’agression sexuelle »[12].
9-Pourtant, dans la présente espèce, la cour d’appel ne s’était pas contentée de cette seule constatation pour établir la contrainte. Elle a pris soit de relever que  l’autorité de l’entraîneur trouvait pour l’essentiel sa source dans la conjugaison de deux éléments factuels. D’abord, de « l’aura » qui l’entourait tiré de son statut de professeur reconnu de karaté lui conférant une autorité certaine dont il a fait usage pour créer une proximité relationnelle et affective avec ses victimes. Le prestige résultant de la fonction a déjà été utilisé par d’autres pour exercer une emprise morale sur de jeunes sportifs comme celui qui, s’appuyant sur son passé de champion et son activité d’entraîneur avait réussi à convaincre un de ses jeunes élèves que les pratiques sexuelles étaient indispensables dans le milieu sportif[13]. Par ailleurs une autre circonstance factuelle, dans ce dossier a concouru à constituer la contrainte : les cadeaux que l’entraîneur leur faisait ont contribué à mettre les jeunes « dans une situation de dette ». En définitive, ce n’est pas l’autorité que le prévenu exerçait sur ses victimes qui est la cause directe de l’état de dépendance dans lequel il les a placées, comme pourrait le laisser penser la formulation de la chambre criminelle. Ce sont les manœuvres qu’il a imaginées en tirant parti de son autorité de fait pour placer ses élèves dans cet état de dépendance.
10-Bien que les juges du fond ne l’aient pas évoqué, la contrainte aurait pu aussi résulter de la crainte chez des jeunes, avides de résultats, que l’entraineur refuse de les entrainer en réaction à leur refus de ses attouchements. Il faut en effet prendre en compte le prix que les jeunes champions attachent aux conseils, à la fois techniques et mentaux, de leurs entraineurs auxquels ils attribuent une part déterminante de leur succès. Aussi, cette ambition, sinon cette  obsession de réussir une carrière de haut niveau, peut être habilement exploitée par des entraineurs sans scrupule qui font dépendre la qualité de leur l’entraînementde l’attitude des élèves à leur égard[14] ou encore, qui parviennent à les convaincre qu’une relation sexuelle ne pourrait qu’améliorer leurs performances sportives[15] !

 Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

 



Notes:

[1] Pourvoi n° 14-80772.Rev. pénit. 2015, p. 356, et les obs.

[2] Jolly et Descamps.
[3] Ce plan comprend trois volets. Une charte de bonne conduite dans le milieu sportif signée par le Comité National Olympique et Sportif et la plupart des fédérations sportives. Un référentiel de compétence intégré dans la formation des cadres sportifs. Des sessions d’information et de sen­si­bi­li­sa­tion à la pro­blé­ma­ti­que des violences sexuelles au sein du milieu sportif organisées pério­di­que­ment dans les régions.
[4] Sur ces questions : « La maltraitance en milieu sportif : aspects juridiques » J. V. Borel.
[5] Les poursuites engagées contre le prévenu ont d’abord abouti à un non-lieu pour une part dicté par la prescription et pour l’autre pour charges insuffisantes. Toutefois cette affaire a connu un rebondissement avec un arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2011  qui a  cassé partiellement la décision []. La cour d’assise de Lyon a condamné le 11 février 2014 le prévenu à 8 ans de réclusion, peine alourdie en appel par la cour d’assise du Var à 10 ans  de réclusion.
[6] On cite habituellement, à titre d’illustration, le cas unique de l’individu  qui s’est glissé dans le lit conjugal laissant croire à la victime qu’il s’agissait de son mari (Cass. crim. 25 juin 1857, Bull. crim. no 240 ; 31 déc. 1858, Bull. crim. no 328).
[7] Cass. crim., 10 mai 2001, n° 00-87.659; Bull. crim. 2001, n° 116. – Cass. crim., 14 nov. 2001, n° 01-80.865 .Bull. crim. 2001, n° 239. 
[8] Cass. crim., 7 déc. 2005, n° 05-81.316; Bull. crim. 2005, n° 326 ; Dr. pén. 2006, comm. 31, obs. Véron ; Rev. pénit. 2006, p. 152, obs. Malabat ; Rev. sc. crim. 2006, p. 319, obs. Mayaud.
[10] Ph. Conte rev. dr.  pén. n° 12, déc. 2015, comm. 154.
[12] Cass. Crim. 14 nov. 2001 n° 01.80.865, Bull. crim. 2001 n° 239 p. 781 revue personne et famille, av. 2002 p. 28.
[13] CA Douai, 22 juin 2011 Juris-Data n° 022771.
[14] En se sens, CA Caen, 3 juin 2011, n°10/01105.

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