Après une décennie de mise en en concurrence avec le secteur privé lucratif, une baisse massive des subventions publiques ainsi que la non compensation de dépenses transférées aux collectivités locales contraignant ces dernières à réduire leur soutien à l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), le nouveau gouvernement a annoncé que ce secteur serait pleinement intégré dans sa stratégie de recherche de croissance et de relance de l’appareil productif. Pour la première fois, il s’est doté d’un Ministre délégué à l’ESS, en la personne de Benoît Hamon, après l’expérience d’un secrétariat à l’Économie Solidaire créé sous le gouvernement Jospin en 2000. Ce choix constitue un acte politique d’autant plus fort, qu’il se voit rattaché au ministère de l’Économie et des Finances. Insuffisamment relayé par les médias, la création de ce nouveau ministère détient pourtant les clefs de l’économie du changement. Entre projets de loi en préparation annoncés pour la fin de l’année 2012 et un déplacement du Ministre délégué devant l’intergroupe ESS du Parlement européen, le 06 septembre dernier, l’un des premiers secteur économique d’importance en France attend avec une certaine impatience les premières mesures annoncées.

1 / Porter un nouveau regard sur le monde de l’entreprise et ses finalités
Contrairement au discours dominant, la recherche de la maximisation des profits n’est pas la seule motivation pour entreprendre. Une alternative à l’entrepreneuriat capitalistique classique existe : elle s’appuie historiquement sur les entreprises dont le statut juridique s’organise principalement autour du principe de propriété impartageable des bénéfices. Ce secteur composé par les associations, les mutuelles, les coopératives, mais également plus de 2.000 fondations et fonds de dotation, représente aujourd’hui 9% des entreprises, 8% du PIB et 10% de l’emploi en France (soit 2.144.000 salariés). L’absence de rapports capitalistiques entre actionnaires permet aux entreprises de l’ESS de fonctionner autour de principes émancipateurs pour les individus : la liberté d’adhésion, une gouvernance démocratique (« un homme – une voix »), la solidarité et la non-lucrativité. Certes, les pratiques ne sont pas toujours vertueuses et certains émettent des réserves quant à la capacité de l’ESS à constituer un véritable projet de transformation (1) – notamment en raison de son confinement à l’économie de services – cependant, les caractéristiques de ce nouveau modèle de gestion des entreprises (ancrage territorial, inscription dans des politiques d’intérêt général ou d’utilité sociale, démarche de développement durable, …) offrent pour l’instant à l’ESS les moyens de plutôt bien résister à la crise actuelle, notamment en raison de l’emploi souvent non délocalisable qu’elle créée.
2/ Définir le périmètre de l’ESS
Néanmoins, comme l’a rappelé récemment Benoît Hamon, à l’occasion du discours prononcé le 03 juillet dernier devant le Conseil Supérieur de l’Economie Sociale et solidaire (CSESS), « il n’y a pas de présomption irréfragable en matière d’ESS qui serait liée au seul statut (ce que d’ailleurs le droit européen ne permettrait pas). C’est donc sur la base des pratiques et surtout de leur pérennité que l’appartenance d’un organisme à l’ESS sera validée ». Après avoir rappelé que, pour lui, « l’exemplarité du secteur est essentielle » et que la promotion de l’ESS doit avant tout être « fondée sur des valeurs », le Ministre semble d’ores et déjà avoir arbitré en faveur de la pratique de la labellisation. Celle-ci devra intégrer un certain nombre de critères incontournables, parmi lequel devra figurer celui de la mesure de l’impact social, et faire l’objet d’une procédure d’évaluation régulière. Pour les tenants de l’entrepreneuriat social, il est important de faire émerger des synergies avec l’ESS, y compris en accompagnant la transformation de certaines structures ; pour les autres, il conviendra d’être vigilant face à la tentation du blanchissement social («  social-washing »). Sur ce point, le projet de loi d’ESS annoncé pour la fin 2012, dont le vote devrait avoir lieu au cours du premier semestre 2013, semble d’ores et déjà avoir tranché cette question en faveur des premiers.
3/ Doter l’ESS des moyens nécessaires à son développement
Conformément aux engagements pris dans le cadre du projet PS et de la campagne présidentielle, le Ministre délégué à l’ESS a annoncé devant le CSESS de nombreux chantiers :

  •  L’élaboration d’une loi d’orientation pour l’ESS : parmi les critères permettant de déterminer si la structure peut ou non être labellisée, la question de l’écart des salaires devrait être en bonne place, sans que le Ministre n’ait tranché sur l’écart de 1 à 10 ou de 1 à 20 ; de la même façon, l’intégration d’un processus général de mandatement pour les SIEG en application de la réglementation européenne des aides d’Etat demeure à l’étude. Ces deux points ont été récemment proposés par le Collectif des associations citoyennes dans le cadre de sa participation au processus de consultation.

 

  •  La facilitation de l’accès aux marchés publics pour les entreprises de l’ESS : les mesures attendues devraient faire en sorte que «  l’ESS se batte à arme égale » avec les entreprises du secteur lucratif. Elles devraient se traduire par une modification ou simplification du code des marchés publics, afin de permettre à ce secteur de mieux accéder à la commande publique.

 

  •  La création de la Banque Publique d’Investissement (BIP) avec un compartiment dédié au financement de l’ESS : le Ministre l’a officiellement annoncé le 03 juillet dernier, l’ESS se verra affecter 500 millions d’euros (sur les 30 milliards prévus). Ce nouveau dispositif qui verra probablement le jour à l’occasion de la mise en œuvre de l’acte III de la décentralisation, permettra « d’amplifier les moyens de financement de l’économie sociale et solidaire, au-delà du programme Investissement d’Avenir de 100 millions d’euros géré par la Caisse des dépôts et Consignations ». Les régions se verront confier le rôle d’un guichet de financement dédié à l’ESS.

 

  •  La mobilisation des emplois d’avenir au bénéfice du secteur non lucratif : parmi la feuille de route, le gouvernement va proposer 150.000 emplois d’avenir et 500.000 contrats de génération. Cette mesure destinée à endiguer le chômage, particulièrement chez les jeunes peu ou pas qualifiés, devrait se faire dans le cadre d’une procédure d’appels à projets de recrutement, de façon à s’assurer de la qualité des emplois et de leur utilité sociale.

 

  •  Parmi les autres mesures à prévoir, il est notamment question de réactiver les titres associatifs et participatifs afin d’aider les structures exerçant une mission d’intérêt général à constituer les fonds propres qui leur font défaut ; un autre chapitre concernera les formes de contractualisations entre l’Etat, les collectivités territoriales et les acteurs du secteur pour développer l’ESS avec des programmes pluriannuels ; il est également question de «  consulariser » les chambres régionales d’Economie sociale et solidaire (CRESS) afin de parvenir à une meilleure reconnaissance institutionnelle des acteurs de l’ESS et de leur participation au dialogue social dans les territoires ; enfin, le gouvernement envisage de créer une nouvelle forme de coopérative facilitant la reprise par les salariés de leur entreprise et encourage l’adoption de statuts de mutuelle européenne.

4/ Débattre des enjeux de l’ESS au niveau communautaire
Pointant du doigt «  un défaut de régulation majeur au niveau communautaire », le Ministre délégué a semble-t-il pris conscience des enjeux et de l’impact du droit européen sur l’ESS. En application de la hiérarchie des normes, le statut des entreprises de l’ESS ne permet plus d’obtenir un traitement privilégié, ainsi que l’ont démontré les débats portant sur la circulaire Fillon du 18 janvier 2010. Critiquant « une forme de renoncement de la part des pouvoirs publics » et invitant les entreprises de l’ESS « à ne plus subir une vision unilatérale et libérale », une démarche a été entreprise les 5 et 6 septembre 2012 pour porter la nouvelle vision française de l’ESS devant le conseil des ministres et l’intergroupe ESS du Parlement européen. Le gouvernement français a ainsi pu faire part de son intérêt pour les discussions en cours sur la nouvelle directives services publics, sensibiliser le Commissaire européen Michel Barnier aux enjeux liés à la prise en compte des aspects sociaux dans l’attribution des marchés et, enfin, réaffirmer l’idée selon laquelle l’ESS ne devait pas être limitée à une économie de la réparation dédiée à un public en difficulté.
Colas Amblard
Directeur des publications
En savoir plus :
Premières orientations pour la BPI et les structures de l’ESS Source : CIDES, 28/09/2012 : voir en ligne
Pour revoir le précédent éditorial publié aux éditions Lamy Associations dans le bulletin d’actualités de juin 2012 (n°205) : voir ici

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Documents joints:

Intervention Hamon devant l’intergroupe ESS – communiqué du 6 septembre 2102
Communication Conseil des Ministres 5 septembre 2102
Discours CSESS du 3 juillet 2012



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