Chute sur le sol d’une douche (CA Versailles 9 novembre 2017), collision entre skieurs (CA Grenoble 16 janvier 2018), ou heurt d’un jet-ski avec son passager (CA Bordeaux, 24 octobre 2017), voici trois espèces qui ont un commun : la responsabilité du fait des choses (voir notre commentaire du 28 avril 2015). Les solutions retenues ont le mérite de revenir sur les questions classiques qui animent les discussions autour de la garde et du fait de la chose.

1-L’emblématique responsabilité du fait des choses dont les dispositions figurent à l’article 1242 du code civil (ancien article 1384 alinéa 1) permet aux victimes de tirer parti de la présomption de responsabilité qui offre le double avantage de les dispenser de la charge de la preuve d’une faute et d’empêcher l’auteur du dommage de combattre la présomption en établissant qu’il n’a pas commis de faute[1].

2-Il a été maintes fois répété que ce régime créait une inégalité au détriment des amateurs de sports qui se pratiquent à main nue. Elle sévit aussi entre les victimes de dommages résultant de l’exécution d’un contrat et les autres. En effet, les adhérents des clubs sportifs et les clients des établissements sportifs doivent supporter la charge de la preuve qu’impose l’obligation de sécurité de moyens à la charge de l’encadrement sportif, à la différence des victimes ayant la qualité de tiers qui jouissent des avantages offerts par la responsabilité du fait des choses. Aussi faudra-t-il attendre la réforme du droit de la responsabilité pour que cette inégalité soit supprimée[2](voir notre commentaire du projet de réforme).

Un contentieux de la sphère délictuelle

3-La responsabilité du fait des choses relève du champ des responsabilités délictuelles. Elle ne s’applique pas aux litiges entre contractants ou plus exactement à tout dommage étranger à l’exécution d’une obligation du contrat. C’est le cas des trois espèces commentées ici dont l’une mérite, toutefois, l’attention sur cette ligne de partage. En effet, il y était question d’une chute dans les douches à la suite de laquelle la victime avait assigné son club sur le fondement de la responsabilité contractuelle en soutenant que celui-ci avait manqué à son obligation de sécurité. Souhaitant profiter des mêmes avantages que ceux de la responsabilité du fait des choses elle prétendait que le club avait contracté une obligation de résultat.

4-Ce moyen prenait le contre-pied de la jurisprudence dominante selon laquelle les obligations de résultat ne s’appliquent que si le débiteur maitrise entièrement l’exécution de la prestation dans laquelle le créancier n’a eu qu’un rôle passif. Le sportif qui prend sa douche participe activement à une opération dans laquelle le gestionnaire de l’installation n’a guère de prise. Aussi le rejet de ce fondement par la cour d’appel de Versailles est sans surprise mais son motif doit être souligné. En effet, l’arrêt limite le cercle contractuel à la pratique de l’activité sportive. Il affirme que l’obligation de sécurité « ne porte pas sur chaque mde la surface du bâtiment ». La mise à disposition d’une douche ne serait donc pas incluse dans l’obligation de sécurité, ce qui peut se concevoir dès lors qu’il n’y a pas de risque particulier à prendre une douche qui fait partie des gestes habituels de la vie quotidienne[3]. Il en va différemment, toutefois, quand il s’agit d’enfants dont la vulnérabilité requiert une surveillance renforcée. Ainsi, il a été jugé que l’obligation de surveillance, à leur égard, commençait au moment où ils pénètrent dans l’enceinte du club jusqu’au moment où ils la quittent[4], de sorte qu’elle ne s’interrompt pas pendant le temps que les enfants passent dans les vestiaires après la fin des activités[5]. En revanche, s’agissant d’adulte en l’espèce, une telle obligation de surveillance n’a pas de raison d’exister de sorte que le dommage ne procédant pas de l’inexécution d’une obligation du contrat, la voie de la responsabilité délictuelle était ouverte.

5-Dans les deux autres espèces, la mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses ne soulevait pas de difficulté. Dans le premier cas, le passager d’un jet-ski avait été éjecté de l’engin en mouvement et sérieusement blessé à la jambe. Il ne pouvait être question de responsabilité contractuelle puisqu’il s’agissait d’un transport bénévole (et non d’une assistance bénévole). Dans le second cas, deux skieurs étaient entrés en collision au croisement de deux pistes.

6-Comme il est d’usage dans l’examen des contentieux fondés sur la responsabilité du fait des choses il faut établir que celui dont la responsabilité est recherchée avait la qualité de gardien (lire, à ce sujet, nos commentaires du 29 mars 2013 et du 29 mai 2017) et que la chose a été l’instrument du dommage (voir notre commentaire).

Garde de la chose

7- Le pilote du jet-ski soutenait qu’il n’en avait pas la garde. Rappelons que la circonstance qu’il n’en soit pas propriétaire était indifférente dès lors que, depuis l’arrêt Franck, la garde matérielle a pris le pas sur la garde juridique : est gardien celui qui a « l’usage, le contrôle et la direction de la chose ». Le débat portait donc sur la question de savoir s’il en avait la garde matérielle au moment de l’accident. Elle ne se serait pas posée s’il avait agi comme préposé. En effet, le commettant conserve la garde de la chose car le lien de subordination est incompatible avec l’exercice d’un pouvoir de contrôle et de direction. De même, le transfert de garde ne se serait pas réalisé si l’engin avait été prêté pour un cours laps de temps et dans l’intérêt du propriétaire[6]. Enfin, on écartera l’hypothèse de la garde en commun qui fait barrage à la responsabilité du fait des choses (voir notre commentaire) dès lors que la victime n’était qu’un passager de l’engin et ne participait aucunement à sa conduite.

8-Le pilote soutenait, contrairement aux attestations de la victime et d’un autre participant, que l’accident était survenu non pas au cours de la navigation mais sur la plage. Il affirmait qu’au moment où il s’apprêtait à se baigner avec la victime il avait perdu l’équilibre par l’effet du shore break (vague de bord à marée descendante), et ainsi heurté de plein fouet son camarade dont la jambe était restée entre lui et le jet-ski. En supposant cette version exacte, elle n’impliquait pas pour autant la perte de la garde de l’engin comme voudrait le faire croire le pilote. Celle-ci n’est pas subordonnée à son utilisation effective mais à sa détention matérielle et au pouvoir dont dispose le pilote d’en faire usage. Le transfert de garde s’opère à compter de la remise de la chose.  A partir de ce moment l’emprunteur en a la maitrise qu’il s’en serve ou non.  Cette version des faits était  néanmoins utile au pilote pour mettre en évidence que l’engin, inerte au moment de l’accident, n’avait pu contribuer à sa survenance.

Le fait de la chose

9-Il n’y pas de responsabilité du fait des choses s’il n’est pas établi que la chose a été l’instrument du dommage. La preuve de ce lien de causalité incombe à la victime. Les tribunaux lui facilitent la tâche lorsque la chose en mouvement est entrée en contact avec le siège du dommage.  Ils admettent alors l’existence d’une présomption de causalité que le gardien ne peut combattre que par la cause étrangère. En revanche si la chose avec laquelle la victime est entrée en contact est inerte, elle doit  prouver que les apparences sont trompeuses et que la chose, bien que passive, a provoqué le dommage soit par sa défectuosité soit par un positionnement ou un comportement anormal. On comprend mieux alors la tactique du pilote du jet-ski qui spéculait sur l’inertie de l’engin pour obtenir de la cour d’appel de Bordeaux le rejet de la demande de réparation. Mais  les juges objectent qu’il « lui appartenait de stationner le jet-ski suffisamment haut sur la plage de façon à éviter tout risque de contact entre les baigneurs et le jet-ski ». En somme, ils mettent en évidence le stationnement anormal de l’engin et par voie de conséquence son rôle actif dans la survenance du dommage. Il reste que la version de la victime,  qui prétend avoir été éjectée de l’engin lors d’un choc à vive allure avec une vague puis de l’avoir heurté avec sa jambe en retombant, est la plus vraisemblable. Elle lui permet de revendiquer le bénéfice de la présomption de causalité.

10-La victime de l’accident de douche qui mettait en cause l’état du sol ne pouvait évidemment  prétendre à une telle faveur. Il lui appartenait d’établir que le sol de la douche avait « participé de façon incontestable et déterminante à la production du préjudice » ce qui revenait à rapporter la preuve de son mauvais état ou de son inadaptation. La cour d’appel de Versailles va même jusqu’à évoquer l’exigence d’une causalité exclusive[7]. Le critère d’anormalité est celui qui est habituellement retenu par les tribunaux pour établir l’existence du lien causal entre la chose et le dommage[8]. Toute victime d’une chute qu’elle impute au sol doit alors relever des circonstances matérielles suffisamment précises – comme une flaque d’huile dans le sol du hall d’un immeuble[9] ; une crème glacée sur le sol d’un grand bazar[10] ; l’infiltration d’eau de pluie dans un parking souterrain et l’absence de revêtement anti dérapant à l’endroit de la chute – pour qu’on lui attribue avec assez de certitude la cause de la glissade. En revanche, le simple fait de déclarer que le sol « n’était pas très propre »[11] ou de produire trois attestations de clients d’une grande surface sur l’état d’humidité du solvagues et imprécises[12]ne suffisent pas à établir un état d’anormalité[13]. Aussi, l’arrêt de rejet de la cour de Versailles est-il sans surprise au vu de la seule production par la victime de deux attestations plusieurs années après l’accident, dont celle de sa fille affirmant que sa mère était tombée dans la douche « car le sol était réellement glissant ».

11-La présomption de causalité trouve un terrain propice avec les collisions entre skieurs comme le révèle l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble. La responsabilité du fait des choses s’applique sans difficulté lorsque les parties tranchantes des skis ont heurté la victime. Toutefois, le heurt entre deux skieurs ne permet pas toujours de déterminer si c’est le corps du pratiquant ou son ski qui est à l’origine de la collision. Aussi,  dans le cas de choc entre les corps des deux skieurs, les tribunaux ont-ils surmonté la difficulté en attribuant le rôle causal des skis à leur dynamisme propre, dès lors qu’ils prennent une vitesse accélérée que l’homme ne pourrait avoir sans eux[14]. En somme, le seul fait de la collision suffit pour mettre en jeu la responsabilité de celui qui a fait chuter la victime. Aussi, dans l’espèce rapportée,  le motif allégué par le défendeur de l’absence de preuve du contact de ses skis avec ceux de la victime n’avait aucune chance d’être retenu. Cette seule constatation aurait pu suffire à la cour d’appel de Grenoble pour approuver le jugement. Pourtant, elle retient la responsabilité des parents de l’auteur de la collision[15], non pas sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, mais sur celui de la responsabilité pour faute de l’article 1240 Code civil (ancien article 1382). En effet, elle relève le comportement fautif de l’auteur de la collision. Etait-ce nécessaire alors qu’il est acquis, depuis les arrêts du 9 mai 1984 de l’Assemblée plénière, que la condition de faute du mineur ait été supprimée ? Il suffit, pour que la responsabilité des parents soit engagée, de constater que « le dommage invoqué par la victime a été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur »[16]. Il est vrai que les juges n’ont pas eu beaucoup de peine à relever le comportement fautif du skieur qui tenait à la fois à sa vitesse excessive (il est arrivé « à  très vive allure dans une zone de croisement de pistes») et à la perte de contrôle de sa trajectoire. La maitrise de la vitesse et du comportement sont, en effet, considérées comme une condition élémentaire de prudence par les tribunaux et figurent dans les règles de conduite du skieur édictées par la Fédération française de ski. L’obligation pour tout skieur d’adapter sa vitesse s’impose particulièrement aux croisements de pistes d’où peuvent surgir d’autres skieurs. Autre  règle d’or : celle de la priorité du skieur aval qui met le skieur amont, dont la position dominante permet le choix d’une trajectoire, dans l’obligation de prévoir une direction assurant sa sécurité[17]. Les intimés l’avaient reprise à leur compte en soutenant que la victime se trouvait en position amont au moment de la collision. Mais l’arrêt relève que cette circonstance ne résulte pas du croquis de l’accident qui montre seulement un croisement de deux pistes. De même, pour écarter le reproche d’une perte de contrôle de la trajectoire imputée au mineur, les intimés objectaient que celui-ci avait voulu éviter deux skieuses qui tournaient sur une piste de liaison. Mais il est facile aux juges de répliquer que cette circonstance n’était nullement imprévisible car il incombe à tout skieur au « croisement de pistes normalement signalé d’adapter sa vitesse afin de contrôler sa trajectoire en fonction des skieurs susceptibles de croiser sa route ».

12-Responsables de la collision en qualité de garants sur le fondement de l’article 1242 alinéa 4 du code civil, les parents auraient pu appeler en garantie le moniteur de ski. En effet l’accident était survenu dans le cadre d’un cours de ski. La responsabilité du moniteur comptable de la sécurité de ses élèves aurait pu, le cas échéant, être retenue à condition d’établir que celui-ci ne leur avait pas donné les consignes de maitrise de la vitesse spécialement au croisement des pistes ou n’avait pas accordé une attention suffisante à la surveillance de son groupe.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus :

Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA VERSAILLES 9 NOVEMBRE 2017
CA BORDEAUX 24 OCT 2017 JET SKI



Notes:

[1]Il ne dispose d’autre moyen d’exonération que la preuve d’une cause étrangère : force majeure, faute de la victime, fait d’un tiers.

[2]En effet, l’article 1233-1 du projet de réforme précise que « Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilitéextracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du contrat ».

[3]De même, un arrêt a refusé d’examiner sur le terrain contractuel la responsabilité de l’exploitant d’un centre médical pour le dommage subi par un patient victime d’une glissade dans le hall d’accueil (Civ. 1, 10 janv. 1990. A contrario,  civ 1, 2 juin 1981, n° 79-15286, bull. civ. 1 N. 189 (le tenancier d’un bar contracte l’obligation de mettre à la disposition des clients des sièges suffisamment solides pour ne pas s’effondrer sous leur poids).

[4]CA Aix-en-Provence, 23 sept. 1993 n° 92646.

[5]En ce sens CA Aix-en-Provence, 14 sept. 2011 n° 09/08197. « L’accident s’est produit à l’issue de l’entraînement proprement dit mais pendant une période de temps où l’enfant, âgé de dix ans, membre du club, était toujours sous la responsabilité de l’association, l’entrée dans le vestiaire ne mettant pas fin à l’obligation de surveillance de celle-ci ».

[6]En ce sens  Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n° 87-10.357. Bull. civ. 1989, I, n° 344 p. 231 ; RTD civ. 1990, p. 92, obs. P. Jourdain.Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n° 01-17.575. Bull. civ. n° 201, p.169.

[7]Ce qui se discute au regard d’un arrêt de la Cour de cassation censurant une cour d’appel pour avoir rejeté la demande de réparation de la victime d’une chute sur un parquet vernis alors qu’elle « avait été au moins pour partie l’instrument du dommage ». Cass. civ. 2,11 déc. 2003,  n° 02-30558,Bull. civ. II II n° 386 p. 318.

[8]En ce sens, Cass. civ. 2,18 oct. 1989, Bull. civ. II n° 187 p. 95.Cass. civ. 2, n° 87-17467, 29 mai 1996, n° 94-16820.Cass. civ. 2 jeudi 12 janv. 2017, n ° 16-11032.

[9]Cass. civ. 2,16 févr. 1994, n° 92-17344.

[10]Cass. civ. 2, 24 janv. 1985, n° 83-15378.Bull. civ. II N. 21 p. 14.

[11]Cass. civ. 2, n° 87-17467, 29 mai 1996, n° 94-16820.

[12]Cass. civ. 2, 18 oct. 1989, n° 87-17467, Bull. Civ. II n° 187 p. 95.

[13]C’est encore le cas des projections d’eau des baigneurs sur la margelle qui entoure un bassin de natation dont la fonction antidérapante  composée d’un matériau poreux ne revêt normalement aucun caractère dangereux. Cass. civ. 2,10 nov. 2009, n° 08-18781

[14]CA Toulouse, 14 mars 1958, JCP 1961, II,11942 bis note Colombini. TGI Seine, 21 oct. 1961,Gaz Pal 62,I,170. Grenoble 8 juin 1966, JCP 1967,II,14928, note Rabinovitch. CA Pau,27 mai 2002
RG n° 01/000861  « Le déplacement du skieur dépend de ses skis avec lesquels il forme un ensemble de telle sorte que, même si son corps seul entre en collision avec un tiers, ce sont ses skis qui sont l’instrument du dommage »

[15]En application de l’alinéa 4 de l’article 1242 du code civil.

[16]Ass. Plénière, 9 mai 1984,  D. 1984 p. 525 note F. Chabas. JCP 1984, II, 20255, obs. N. Dejean de la Batie. RTD civ. 1984, p. 508, obs. J. Huet ;13 déc. 2002, n° 01-14007et  00-13787.Bull. crim. 2002 n° 3 p. 35.

[17]Chambéry, 19 oct. 1954, JCP 1954, II-8408, 2èmearrêt ; Lyon, 29 janv. 1962, JCP 1962, II,12697 ; Chambéry, 9 oct. 1964,  D 1965, Somm. 18.TGI Paris, 11 avr. 1970, Gaz. Pal. 1970, 2, somm. 14.

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