L’arrêt rendu par la cour d’appel de Pau le 19 mars 2019 à l’occasion d’un accident survenu lors d’une course cycliste et dont la victime recherchait la responsabilité de l’organisateur, mérite l’attention à un double titre. D’abord, car il est question du « non-cumul » des responsabilités contractuelle et délictuelle. Ensuite, car il met en jeu les conditions de mise en œuvre de l’ancien article 1384 alinéa 1 (devenu l’article 1242 alinéa 1du code civil).


 

1-Les chutes lors de courses cyclistes font partie des aléas habituels de la compétition et nourrissent une partie non négligeable du contentieux des accidents sportifs (voir nos commentaires du 28 janvier 2010, 2 juillet 2012,  29 septembre 2014, 29 octobre 2017 et 28 juillet 2018 ). En l’espèce, un coureur a chuté en heurtant la roue arrière d’un autre concurrent qui s’était brutalement déporté sur sa droite alors que le peloton se préparait à disputer un sprint pour l’octroi d’une prime.

2-Si le coureur impliqué dans la chute avait été identifié, la victime aurait pu agir contre lui sur le fondement d’une responsabilité pour faute ou d’une responsabilité sans faute. Auparavant les victimes n’avaient pas cette alternative. La théorie de l’acceptation des risques faisant barrage à l’application de la responsabilité du fait des choses, elles étaient confrontées à la charge de la preuve d’une faute de l’auteur du dommage sur le fondement de l’ancien article 1382 du code civil (devenu l’article 1240). Depuis le fameux arrêt du 4 novembre 2010[1]qui a mis l’acceptation des risques au rebut et ouvert la voie d’une responsabilité sans faute, les compétiteurs ne manquent pas de faire de l’ancien article 1384 alinéa 1 le fondement de leur action en réparation. En effet chaque coureur a  la garde de son engin[2] et en l’espèce, le vélo avait bien été l’instrument du dommage, du fait du contact entre les roues des deux protagonistes.

3- Mais toute action contre l’auteur de la chute était ici exclut. La victime n’étant pas parvenue à en identifier l’auteur n’avait guère d’autre solution que d’assigner en réparation le club organisateur de l’épreuve et son assureur, ce qu’elle fit sur le fondement principal de l’ancien article 1147 (devenu l’article 1231-1 du code civil) pour manquement de l’association à son obligation contractuelle de sécurité et subsidiairement de l’ancien article 1384 alinéa 1 en raison de la faute caractérisée du coureur qui l’avait fait chuter.

4-Sa demande est rejetée par les premiers juges, à la fois sur le plan contractuel pour défaut de causalité entre le nombre excessif de participants et l’accident, et sur le plan délictuel au motif d’une part que la responsabilité de l’organisateur du fait d’un de ses membres n’est pas applicable, et d’autre part en l’absence de preuve d’une faute sportive de sa part.

5-En appel, la victime fonde ses demandes contre l’organisateur exclusivement sur les dispositions de l’ancien article 1384, alinéa 1, en soutenant qu’il doit répondre des conséquences dommageables des fautes commises par les concurrents.

6-Ce moyen et la réplique de la cour d’appel soulèvent la question de la pertinence de ce fondement au regard du principe du non-cumul des responsabilités et celle de l’application des conditions de la responsabilité du fait d’autrui au cas particulier des courses cyclistes.

 

La règle du « non-cumul » en question

7- L’organisateur soutenait que le lien se formant entre l’organisateur d’activités physiques et sportives et le sportif participant, est de nature contractuelle, de sorte  que son éventuelle responsabilité doit être recherchée sur le fondement contractuel. Sans le dire explicitement, il faisait référence à la fameuse règle dite « du non-cumul » qui exclut la mise en jeu de la responsabilité délictuelle lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies. Elle ôte toute possibilité d’option entre les deux régimes de responsabilité de sorte que les parties ne peuvent pas invoquer les règles de la responsabilité délictuelle pour le cas où l’action contractuelle échouerait. Les partisans de la règle du « non cumul » font  remarquer qu’il s’agit de deux institutions distinctes s’appliquant à des objets différents : l’une sanctionne l’inexécution d’obligations contractuelles et l’autre les règles de conduite d’origine légale, réglementaire ou jurisprudentielle. Mais ils font surtout valoir le particularisme de la responsabilité contractuelle fondée sur la protection du contrat tel que les parties l’ont aménagé. La contamination du régime contractuel par le régime délictuel apparaît incompatible avec le respect du au contrat.

8- Cependant, la règle du « non cumul » n’est pas sans inconvénient pour les victimes d’accidents sportifs spécialement dans tous les sports qui ne se pratiquent pas à main nue comme le cyclisme. En effet, comme l’organisateur sportif n’est assujetti qu’à une obligation de sécurité de moyens la victime est contrainte de rapporter la preuve d’une faute d’organisation ou de surveillance dans l’exécution de la prestation. On comprend alors qu’elle cherche à tirer parti des responsabilités objectives, comme celle du fait des choses,  qui présente l’immense avantage de la dispenser de la preuve d’une faute.

9-Néanmoins, la Cour de cassation refuse catégoriquement à la victime de se placer sur le terrain délictuel chaque fois qu’il y a lieu à l’application de la responsabilité contractuelle.  Ainsi la stagiaire d’un séjour de voile, victime d’une fracture de l’avant bras lors du renversement du voilier sous l’effet d’une bourrasque de vent, avait été autorisée à assigner l’organisateur du stage sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. L’arrêt fut censuré en appel pour s’être prononcé par « des motifs inopérants sur le fondement de la garde du voilier », alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’organisateur du stage« ne pouvait engager que sa responsabilité contractuelle [3]».

10-Même verdict pour un participant blessé lors d’un cours de « pencak Silat » (art martial pratiqué sous forme de combat rythmique) ayant assigné l’organisateur en qualité de commettant de l’instructeur qui animait la séance. La Haute juridiction reproche à la cour d’appel d’avoir considéré que l’association organisatrice de la séance était « de plein droit, par application de l’article 1384, alinéa 5, du code civil, responsable du dommage qui a été causé alors que la responsabilité de l’organisateur d’une activité sportive est de nature contractuelle et suppose, lorsque le créancier a un rôle actif, la faute prouvée du débiteur »[4].

11-Pourtant, la cour de Pau objecte à l’organisateur, qui soutient que son éventuelle responsabilité dans l’accident doit être recherchée sur le fondement contractuel, que la recevabilité de l’action en responsabilité délictuelle  « ne peut être contestée dès lors que la responsabilité de l’association n’est pas recherchée en raison d’un manquement personnel à ses obligations contractuelles (notamment de sécurité) mais en sa qualité de garant du fait fautif d’un tiers au contrat conclu entre l’association organisatrice de la compétition et le concurrent victime ».

12-La cour d’appel considère, à juste titre, qu’il n’y a pas d’immixtion de la responsabilité délictuelle dans le domaine réservé de la responsabilité contractuelle dès lors que l’action en responsabilité ne porte pas sur les obligations contractuelles de l’organisateur. Cette analyse vaut aussi bien qu’il s’agisse du fait personnel de l’organisateur ou du fait d’autrui, c’est-à-dire de toute personne – auxiliaire, préposé ou non – à qui il s’est adressé pour exécuter la prestation à sa place. C’est le cas de l’instructeur qui blesse son élève lors d’un cours de « pencak Silat« . Il est l’auxiliaire de l’association pour l’exécution d’une tâche d’encadrement. Il est donc logique que la Cour de cassation censure la cour d’appel qui a permis à la victime de rechercher la responsabilité de l’association sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 5[5]. En revanche, la majorette qui blesse une autre majorette avec son bâton en participant à un défilé[6], le joueur de football qui retire sa chaussure pour frapper et blesser un joueur de l’équipe adverse[7], ou les joueurs de rugby qui provoquent l’écrasement d’une mêlée[8] n’exécutent pas de prestation pour le compte de l’organisateur du défilé ou du match. De même, le coureur qui fait chuter un autre concurrent n’agit évidemment pas comme auxiliaire ou substitut de l’organisateur de l’épreuve. Son comportement fautif est sans rapport avec l’exécution de l’obligation de sécurité à la charge de l’organisateur. Il n’y a donc pas d’atteinte à la règle du non-cumul à le laisser agir contre l’organisateur sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 1. Encore faut-il réunir les conditions de sa mise en œuvre. C’est là que le bât blesse ! En effet, dans les courses cyclistes l’auteur du dommage n’est pas nécessairement membre du club organisateur de l’épreuve.

 

L’adhésion au groupement condition nécessaire

13- Le pouvoir de contrôle sur l’activité d’autrui qu’avait initié l’arrêt Blieck[9] offrait un important potentiel d’élargissement du domaine d’application de l’ancien article 1384, alinéa 1, du Code civil comme l’ont révélé les arrêts de 1995[10]. Ceux-ci ont en effet étendu cette jurisprudence aux clubs sportifs « qui ont pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent ». Puis le cercle des répondants n’a cessé de s’élargir[11] jusqu’à certaines dérives [12] que la Cour de cassation a censurées[13].

14- Le principe directeur de la responsabilité du fait d’autrui suppose l’exercice d’un pouvoir de contrôle et de direction sur autrui et donc d’un rapport d’autorité. Ainsi, un club sportif contrôle l’activité  de ses membres mais n’a aucun pouvoir sur les tiers. Il est donc normal d’exiger que l’auteur du dommage soit membre du club assigné en responsabilité. La Cour de cassation veille au respect de cette condition. Ainsi, elle a approuvé une cour d’appel  « pour avoir exactement déduit que la responsabilité civile de l’UNSS en sa qualité d’organisatrice de la compétition sportive ne pouvait être recherchée sur le fondement des dispositions de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil » dès lors  qu’il n’était pas établi que l’auteur du dommage était membre de l’UNSS[14].

15- La cour d’appel de Pau se livre ici au même raisonnement en relevant qu’aucun élément n’a établi que le concurrent (non identifié) était membre de l’association organisatrice de l’épreuve. La question n’a pas lieu de se poser dans les rencontres de football ou de rugby car l’auteur du dommage, qu’il soit ou non identifié, est forcément membre du club adverse. En revanche dans une course cycliste, les coureurs ne sont pas nécessairement les adhérents du club organisateur de l’épreuve. Une partie des participants adhèrent à d’autres clubs. Dans ces conditions, la responsabilité du club organisateur de l’épreuve ne peut être engagée sur le fondement de l’article 1240 alinéa 1 du code civil que dans le cas où le coureur impliqué dans la chute en est membre. Il en résulte que la situation des victimes dépend du hasard, selon que l’auteur du dommage est ou non membre du club organisateur. Au plan de l’équité, rien ne justifie que dans une même compétition de sport automobile, de motocyclisme ou de cyclisme, les concurrents soient traités différemment. Par ailleurs, l’existence d’un pouvoir de contrôle que le groupement sportif doit exercer sur ses membres n’est nullement remise en question par l’organisation d’épreuves sur route ou sur circuit. En effet, l’organisateur d’une course cycliste a bien un réel pouvoir sur les concurrents. Il leur donne des consignes de sécurité au départ de l’épreuve, peut décider à tout moment d’arrêter la course ou encore de déclasser un concurrent ayant enfreint le règlement. Aussi, si l’on veut traiter tous les concurrents sur un pied d’égalité il faudrait élargir le concept de membre en y incluant tous les participants qui ont acquitté leur droit d’engagement pour participer à l’épreuve.

16-Toutefois, en supposant que cette condition soit assouplie, l’exigence de violation d’une faute qualifiée par l’auteur du dommage demeure une condition essentielle qui en l’espèce n’est pas remplie. En effet, le brusque écart d’un coureur provoquant un contact avec la roue avant du concurrent qui le suit, fait partie des péripéties de la course, particulièrement lorsque les concurrents se placent en vue de disputer un sprint. Au coude à coude, entourés par leurs voisins, les coureurs se faufilent pour se retrouver en première ligne. Dans ces conditions un changement soudain de direction n’est, tout au plus, qu’une faute courante, comme peut l’être l’inobservation des règles de positionnement d’une mêlée de rugby qui ne suffisent pas à elles seules pour constituer une faute qualifiée, s’il n’est pas établi que l’acte est délibéré[15]. Il faut entendre par là, non pas nécessairement que son auteur a recherché un résultat dommageable comme des violences volontaires, mais plutôt qu’il a pris consciemment un risque anormal pour autrui. Comme l’écrit J-M. Marmayou « la faute délibérée a ceci de plus sur la faute volontaire que la détermination du fautif s’est faite en connaissance de règles de prudence et de sécurité particulières et en conscience de leur violation et ceci de moins sur la faute intentionnelle que le fautif n’a pas forcément recherché le résultat dommageable » [16]. On a l’exemple d’un tel comportement déloyal lorsqu’un sprinter se déporte soudainement vers les barrières dans le but de barrer la route à un concurrent ou lui donne un coup de coude pour qu’il lui laisse le passage. Il n’y a pas trace d’un tel geste dans l’espèce commentée.

 
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
 
En savoir plus : 
CA PAU 19 MARS 2019 COURSE CYCLISTE
 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA PAU 19 MARS 2019 COURSE CYCLISTE

Notes:

[1]N° 09-65947, Bull. civ.II, n° 176.JCP G 2011, note 12, D. Bakouche. RTD civ. 2011, p. 137, obs. P. Jourdain.D.2011 p. 690, note J. Mouly.

[2]Sauf s’il s’agit de coureurs professionnels. En effet, le préposé n’est jamais gardien.

[3]Cass.Civ 2, 18 octobre 2012, N° 11-14155.

[4]Cass. civ. 1, mardi 19 févr. 2013, n° 11-23017.

[5]Cass. civ. 2, 12 déc. 2002, n° 00-13553. Bull. civ. 2 n° 289 p. 230.

[6]Cass. civ. 2, 12 déc. 2002, n° 00-13553. Bull. civ. 2 n° 289 p. 230.

[7]Civ. 2,8 juill. 2010, n° 09-68.21.

[8]Civ. 2, 5 oct. 2006, n° 05-18494, Bull. civ.  2, n° 257, p. 238.

[9]Cass. ass. plén., 29 mars 1991, n°89-15231 : Resp. civ. et assur. 1991, comm. 128, chron. 9, H. Groutel ; D. 1991, jurispr. p. 324, note C. Larroumet ; JCP G 1991, II, 21673, concl. H. Dontenwille, note J. Ghestin ; RTD civ. 1991, p. 541, obs. P. Jourdain.

[10]Cass. civ. 2, 22 mai 1995, n° 92-21871.Bull. civ. 2, II n° 155 p. 88. JCP 1995, éd. G, II, 22550, note J.Mouly. G. Viney, Responsabilité civile : JCP 1995, éd. G, I, 3853 ; D. 1996, somm. p. 29, obs. F. Alaphilippe ; RTD civ. 1995, p. 859, obs. P. Jourdain ; Defrénois 1996, art. 36272, p. 357, note D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. 1995, chron. n° 36, obs. H. Groutel ; Petites affiches 2 févr. 1996, n° 15, p. 16, note S. Hocquet-Berg ; Gaz. Pal. 1996, 1, p. 16, note F. Chabas ; RJDA 1995, p. 853, rapp. P. Bonnet

[11]A la suite de l’arrêt des majorettes du 12 déc. 2002, la Cour d’appel de Paris a fait application de l’article 1384 alinéa 1, à une association de scoutisme organisatrice d’un match de rugby. CA Paris, 14èmech. section B. 9 juin 2000. RG n° 02202. Resp. civ. et assur. 2001, comm.  n° 74, obs. L. Grynbaum.

[12]Emportées par le mouvement, certaines juridictions sont carrément sorties du périmètre défini par  les arrêts de 1995. Ainsi une association de supporteurs d’un club de football a été déclarée responsable des dégradations commises par ses membres qui avaient mis à sac deux autocars loués par leur clubalors qu’elle « ne dispose d’aucune autorité réelle sur ses membres, ni d’ailleurs d’aucun véritable pouvoir de contrôle sur leurs actes ». CA Aix-en-Provence, 10èmech. 9 oct. 2003, Resp. civ. et assur. avr. 2004, n° 89, note  Ch. Radé.

[13]Elle a exclut qu’un chasseur puisse rechercher la responsabilité d’une association de chasse agréée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 au motif qu’elles n'ont pas pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres mais uniquement de favoriser sur leur territoire le développement du gibier et la destruction des animaux nuisibles. Cass. civ, 2, 11 sept. 2008, n° 07-15842.

[14]Cass. civ. 2, 22 sept. 2005,  n° 04-18258. Bull. civ. 2, n° 233 p. 207.

[15]Cass civ. 2, 13 mai 2004,n° 03-10222.  N° 89-15231.Bull. civ. II, 2004, n° 232, p. 197. Cah. dr. sport 2005, n° 2, p. 157, obs. C-A. Maetz. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14092. Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208. JCP G 2006, II, 1000, note D. Bakouche.

[16]JCP G, n° 37, 12 sept. 2007, II 10150.

 

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