L’arrêt rendu le 28 mars 2019 par la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans la droite ligne de l’obligation de sécurité aggravée à la charge des organisateurs de manifestations sportives à risque comme les courses cyclistes. Cette sévérité s’explique par le souhait des juges de faciliter la réparation des dommages corporels, elle-même garantie par l’obligation d’assurance à la charge des organisateurs sportifs. Mais en contribuant au renchérissement du coût de l’assurance, et par contrecoup des licences sportives, elle met en péril les pratiques sportives encadrées. 

 

1-Les accidents de courses cyclistes sont souvent l’occasion d’une superposition d’actions en responsabilité entre celle formée par la victime contre le coureur qui l’a fait chuter et celle qu’elle entreprend contre l’organisateur de l’épreuve. La première s’effectue sous l’empire de la responsabilité délictuelle et la seconde met en œuvre les règles de la responsabilité contractuelle[1]. Entre coureurs il n’y a plus guère que la responsabilité du fait des choses qui constitue le fondement de l’action engagée par les victimes depuis que la Cour de cassation a levé l’obstacle de l’acceptation des risques qui écartait la mise en œuvre de l’ancien article 1384 alinéa 1 (aujourd’hui article 1242 C. civ.) et mettait la victime dans l’obligation d’établir l’existence d’une faute de l’auteur du dommage sur le fondement de l’ancien article 1382 (aujourd’hui article 1240 C. civ.). En ce qui concerne l’organisateur, s’il est acquis qu’il n’est assujetti qu’à une obligation de sécurité de moyens, les tribunaux n’hésitent pas, comme l’atteste l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon, à l’interpréter de manière extensive, faisant ainsi de l’obligation de moyens alourdie l’antichambre de l’obligation de résultat.

2-En l’occurrence, un coureur était entré en collision avec le vélo d’un autre concurrent qui avait  perdu l’équilibre sur une plaque de sable située sur le côté gauche de la route. La victime avait assigné en réparation son homologue ainsi que le comité départemental de cyclisme organisateur de l’épreuve. Ceux-ci furent jugés l’un et l’autre responsables des dommages corporels causés à la victime, le coureur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses en qualité de gardien du vélo ayant provoqué la chute et le comité sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour avoir manqué à son obligation d’assurer la sécurité des participants en ne s’assurant pas de la présence d’obstacles sur le parcours et en particulier de sable sur la chaussée. En appel, la responsabilité du coureur et du comité départemental de cyclisme est confirmée. En revanche, le jugement qui avait rejeté l’appel en garantie formé par le comité départemental contre l’auteur du dommage est infirmé. Le coureur est condamné à le garantir de la moitié des condamnations prononcées contre lui au motif que sa faute a contribué avec celle du comité à la survenance du dommage.

 

I-Responsabilité du coureur

3-La responsabilité du coureur ayant provoqué la chute de son homologue avait été facilement établie sur le fondement de l’ancien article 1384 du Code civil, qu’il s’agisse de sa qualité de gardien ou du rôle actif de sa bicyclette. D’abord, il est acquis que chaque concurrent exerce les attributs de la garde sur son engin puisqu’il en a « l’usage, le contrôle et la direction ». Ensuite, le rôle actif du vélo est dans tous les cas établi, que la victime soit entrée en contact avec le vélo de l’autre concurrent – ce qui fait présumer son rôle actif – où que le contact se soit produit entre les corps des deux protagonistes. En effet, à l’égal de ce qu’elle a décidé pour les collisions à ski, la Cour de cassation a admis qu’un cycliste « formait un ensemble avec la bicyclette sur laquelle il se tenait et que la collision survenue entre lui-même et l’autre cycliste impliquait que sa propre machine avait été l’instrument du dommage »[2]. Elle a même admis que le vélo d’un coureur n’avait pu être « que pour partie, l’instrument du dommage » dans une espèce où la chute de la victime provenait d’un contact préalable entre ce coureur et un autre concurrent qui avait amené celui-ci à se déporter sur la droite et à heurter la roue avant de la victime[3](lire notre commentaire).

4-On rappelle pour mémoire que si le gardien de la chose ne peut s’exonérer par la preuve de l’absence de faute de sa part, en revanche il a la possibilité de faire valoir une cause étrangère telle que la force majeure ou la faute de la victime. De toute évidence, une chute de cette nature n’a nullement le caractère d’imprévisibilité propre à la force majeure. Par ailleurs, il ne pouvait guère être reproché sa maladresse ou son imprudence à la victime. D’une part, elle roulait au centre de chaussée au moment de sa chute et non sur le côté gauche de la route qui était interdit aux concurrents. D’autre part, l’allure rapide des coureurs ne lui permettait pas d’éviter le vélo à terre de l’autre coureur.

5-Pour limiter les conséquences de l’arrêt du 4 novembre 2010[4]qui menaçait de fausser les compétitions par la crainte des concurrents de voir leur responsabilité de plein droit engagée en qualité de gardien du matériel qu’ils utilisent, le législateur en a limité la portée aux dommages corporels. En effet, l’article L.321-3-1 du code du sport dispose que les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose dont ils ont la garde à l’occasion d’une manifestation sportive sur un lieu réservé à cette pratique. C’est sur le fondement de ce texte que la cour d’appel approuve les premiers juges ayant rejeté la demande d’indemnisation du dommage causé au matériel du coureur mettant ainsi l’auteur du dommage dans l’obligation de rapporter la preuve d’une faute de celui qu’il avait entrainé dans sa chute. Peine perdue d’avance pour l’intéressé puisque, comme le relèvent les juges, la victime se trouvant au milieu de la chaussée quand il l’a heurté, il ne peut lui reproché d’avoir enfreint la règle interdisant aux concurrents d’emprunter la partie gauche de la chaussée.

6-Toutefois, la position de la Cour d’appel peut se discuter au regard de l’article L.321-3-1 qui est ambiguë dans sa formulation. En effet, ce texte vise les manifestations sportives qui se déroulent « sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à la pratique sportive». Les installations sportives, comme les circuits de courses automobiles ou motocyclistes et les vélodromes répondent à la définition de lieux permanents ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la course se disputait sur la voie publique. L’expression « lieu réservé de manière temporaire à la pratique sportive », qui s’applique aux voies ordinairement ouvertes à la circulation publique est d’application plus délicate. En effet, ou bien la voie publique est fermée par arrêté préfectoral à la circulation publique et dans ce cas elle est bien « réservée  à la pratique sportive» ou bien elle demeure ouverte à la circulation publique et dans ce cas d’utilisation non privative, comme c’est le cas des coureurs à l’entraînement, on peut estimer  que l’article  L.321-3-1 n’est pas applicable et que la victime peut réclamer la réparation de son dommage matériel sur le fondement de l’article 1242 C. civil. Distinction discutable, par ailleurs, car elle aboutit à remettre au gout du jour l’acceptation des risques  qui excluait la responsabilité du fait des choses en compétition alors qu’elle pouvait s’appliquer à l’entrainement[5].

7-En l’occurrence, l’espèce fait débat. En effet, l’arrêté préfectoral mettait à la charge des concurrents l’obligation de respecter la partie droite de la chaussée qui leur était réservée. Il faut en déduire que la partie gauche demeurait ouverte à la circulation publique puisque les coureurs avaient interdiction de l’emprunter. Suffisait-il alors de considérer, comme l’ont fait les juges, que dès lors que la partie droite de la chaussée était réservée aux coureurs on se trouvait dans les prévisions de l’article L.321-3-1 ? Cette interprétation se discute quand on sait comment se disputent les courses cyclistes. Les organisateurs n’ignorent pas que les coureurs font parfois des incursions sur la partie gauche de la chaussée pour les besoins de la course notamment lorsqu’ils cherchent à s’extraire du peloton, ce qui s’est sans doute produit en la circonstance. Il eut donc été plus conforme à la réalité de considérer que cette route n’étant pas entièrement réservée aux coureurs, la victime était en droit de réclamer l’indemnisation des dommages matériels causés à son engin sur le fondement de l’article L.321-3-1.

 

II-Responsabilité de l’organisateur

8-Par principe, les organisateurs de manifestations sportives ne sont assujettis qu’à une obligation de sécurité de moyens. Leur responsabilité ne peut pas être engagée du seul fait de la survenance d’un accident survenu à un compétiteur comme ce serait le cas s’ils avaient une obligation de résultat à leur charge. La victime doit donc rapporter la preuve d’une défaillance de l’organisateur dans la préparation ou la surveillance de l’épreuve.

9-En l’occurrence, le comité départemental soutenait que la victime n’établissait pas qu’il avait enfreint les règles prescrites par la Fédération Française de Cyclisme et les obligations de l’arrêté préfectoral ayant autorisé l’épreuve cycliste.

10-L’arrêté préfectoral précisait que les mesures de sécurité doivent être conformes au cahier des charges de la Fédération Française de cyclisme qui mentionne dans son article 1.2.061 « que l’organisateur, sans préjudice des dispositions légales et administratives applicables et du devoir de prudence de chacune, doit veiller à éviter dans le parcours ou sur le lieu des compétitions des endroits ou des situations présentant un risque particulier pour la sécurité des personnes, en particulier celle des coureurs ». Ces dispositions, que l’arrêt ne manque pas de rappeler, laissent par leur généralité toute latitude aux juges pour une appréciation  rigoureuse des mesures que doit prendre l’organisateur pour la sécurité de l’épreuve et notamment de « s’assurer (…) de l’absence d’obstacles, et en particulier de sable, sur la chaussée, même si ce sable ne se trouvait pas sur la partie droite, dès lors que sa présence exposait les coureurs à un risque d’accident ». Aussi, il eut suffit à la cour d’appel de s’en tenir au non-respect de ces prescriptions pour retenir la responsabilité de l’organisateur. Pourtant elle ne s’en contente pas et croit utile de rajouter « que le seul respect des obligations de sécurité par les autorités administratives ou les instances sportives est insuffisant pour exonérer l’organisateur d’une épreuve sportive de son obligation contractuelle de sécurité, dès lors qu’au-delà d’un strict respect des prescriptions imposées par ces autorités, il existe à la charge de l’association organisatrice une obligation de prudence et de diligence ».

11-Cette position de principe n’est pas une première. Hormis quelques cas isolés[6], les tribunaux ont une conception extensive de l’obligation de sécurité qui dépasse largement le respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives ou administratives. Ainsi, une cour d’appel a estimé qu’il ne suffisait pas à l’organisateur de rappeler avant le départ les prescriptions de sécurité puisqu’elle lui a reproché de ne pas s’être assuré que tous les coureurs les avaient bien entendues[7]. Bien que la Fédération internationale de gymnastique n’impose pas le port de la ceinture de sécurité, la Cour d’appel de Paris a estimé à deux reprises « qu’un gymnaste doit pouvoir être équipé d’un harnais pour entreprendre des exercices potentiellement dangereux et qu’un club manque à son obligation contractuelle de sécurité s’il n’est pas équipé de ce matériel pour les gymnastes qui font des exercices à la barre fixe »[8]. De même, il ne suffit pas à un entrepreneur de karting d’exciper son homologation par sa fédération ou un arrêté préfectoral[9] et à l’organisateur d’une course automobile de justifier d’une autorisation administrative[10], si les circonstances de l’espèce révèlent qu’ils n’ont pas pris toutes les mesures de sécurité en faveur des compétiteurs. Même remarque pour l’organisateur d’une épreuve de triathlon qui avait cru être à l’abri d’une mise en jeu de sa responsabilité en se prévalant d’une autorisation préfectorale. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a estimé que le fait d’avoir organisé l’épreuve cycliste « sur un axe particulièrement fréquenté » et « pendant la tranche horaire de plus grand flux des véhicules » n’était en rien exonératoire de responsabilité et a cru utile d’ajouter que le rappel aux coureurs, avant le départ de la course, du respect des prescriptions du Code de la route « n’a pas pour effet de neutraliser le danger objectivement et anormalement couru par eux »[11].

12-La 1èrechambre civile a rendu à son tour le même verdict en approuvant un arrêt ayant énoncé « que le seul respect des obligations de sécurité fixées par les instances sportives est insuffisant pour exonérer une association de ses devoirs en matière de sécurité »  et que, « au-delà d’un strict respect des prescriptions sportives, il existe à sa charge une obligation de prudence et de diligence ».[12] En  reprenant mot pour mot cette déclaration de principe la cour d’appel de Lyon veut aussi signifier que le juge n’est pas lié par l’ordre juridique sportif. Pour autant c’est oublier que les fédérations sportives délégataires ont une délégation de pouvoir ministérielle pour édicter les règlements sportifs en application des articles L131-14 et L331-1 du code du sport, ce qui confère à ceux-ci « un statut comparable à celui des règlements autonomes pris dans le cadre de l’article 37 de la constitution »[13].

13-Cette sévérité particulière des tribunaux s’explique en partie par le fait que la compétition met les concurrents dans l’obligation de prendre des risques, s’ils veulent pouvoir l’emporter sur leurs adversaires. Ainsi il est admis que les impératifs de l’épreuve  nécessitent pour un coureur « une allure de plus en plus vive et un effort de plus en plus grand » pour distancer ses concurrents et l’autorisent  implicitement à circuler à gauche de la route pour négocier un virage[14], notamment s’il est lancé à la poursuite des coureurs de tête à proximité de l’arrivée[15]. Mais la principale raison de cette bienveillance à l’égard des victimes tient à l’obligation pour l’organisateur de souscrire des garanties d’assurance en responsabilité civile, ce qui garantit la solvabilité de l’auteur du dommage puisque c’est l’assureur en responsabilité qui supporte le poids de l’indemnisation. Toutefois cette jurisprudence peut avoir des conséquences fâcheuses. En effet, c’est au prix d’un renchérissement des cotisations d’assurance et par contrecoup des cotisations des clubs et des licences sportives qui sont susceptibles de décourager la pratique sportive.

14-Fallait-il nécessairement rechercher la responsabilité du comité ? La victime aurait pu s’en dispenser en appelant en garantie l’assureur du comité dès lors que tout organisateur d’une manifestation sportive à l’obligation, en application des articles L 321-1 et L 331-9 du code du sport, de souscrire des garanties d’assurance couvrant la responsabilité civile des pratiquants du sport.

 
 
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
 
En savoir plus : 
CA LYON 28 MARS 2019 COURSE CYCLISTE

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA LYON 28 MARS 2019 COURSE CYCLISTE

Notes:

 

[1]Toutefois, la cour d’appel de Pau (19 mars 2019, RG, n°17/02572)a admis que la victime d’une chute survenue lors d’une course cycliste pouvait rechercher la responsabilité de l’organisateur sur le fondement de la responsabilité des groupements sportifs du fait de leurs membres. Pour écarter le moyen tiré d’une violation de la règle du non-cumul des responsabilités, elle fait valoir que « la responsabilité de l'association n'est pas recherchée en raison d'un manquement personnel à ses obligations contractuelles (notamment de sécurité) mais en sa qualité de garant du fait fautif d'un tiers au contrat conclu entre l'association organisatrice de la compétition et le concurrent victime ».

[2]Crim. 21 juin 1990,n° 89-82632.Bull. crim. 1990, n° 257, p. 662.

[3]Civ. 2,9 juin 2016, n° 15-17958.

[4]N° 09-65947. Bull. civ.II, n° 176.JCP G 2011, note 12, D. Bakouche ; RTD civ. 2011, p. 137, obs. P. Jourdain.D.2011 p. 690, note J. Mouly.

[5]Comme, par exemple « une sortie dominicale, organisée entre amateurs animés du seul désir de s'entraîner ». Cass.civ2, 22 mars 1995, n° 93-14051. Bull.civ.2,N° 99 p. 57.

[6]Versailles, 3èmech. 19 nov. 1993 RG n° 7129/91. Juris Data n° 046429.

[7]Poitiers, 16 mai 1984. L’activité sportive dans les balances de la justice, tome II, p. 137, note F. Alaphilippe.

[8]CA Paris, 17 juin 1987, D. 1987, Inf. rap. p.176.

[9]CA Aix-en-Provence, 27 juin 1963, Gaz. Pal. 1963, 2, p.262. Civ. 1, 6 janv. 1998 n° 96-10463. CA Versailles, 22 sept. 1983, Juris-Data n° 044530.

[10]En l’espèce, aucun dispositif de protection n’avait été installé à l’endroit de l’accident. Montpellier, 12 oct. 1987, JCP G, 1988, 21131.

[11]CA Aix-en-Provence, 21 nov. 2001, RG n° 97/23429. Juris-Data n° 171781.

[12]En l’occurrence, elle a estimé que l'installation de filets protecteurs aux extrémités d’un terrain de hockey-sur-glace, bien que conformes aux normes de la fédération française de patinage artistique, était insuffisante et que l’association organisatrice du match avait commis un manquement à son obligation contractuelle de sécurité dès lors qu'il existait d'autres solutions techniques récentes satisfaisantes.Civ. 2, 16 mai 2006,Bull. civ. I n° 249 p. 218.  Resp. civ. et assur. 2006, comm. 239. RLDC  juill. /août 2006 ,p. 25, obs. B. Legros.

[13]G. Simon. Puissance sportive et ordre juridique étatique. LGDJ 1990, p 233.

[14]CA Montpellier, 22 déc. 1981, Juris-Data n° 601384.

[15]Reims, 28 janv. 1993, Juris-Data n° 045696.

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