L’arrêt de rejet du 24 octobre 2013 de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler aux victimes que les juges ne badinent pas avec la délimitation de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle. L’organisatrice d’une course à cheval heurtée à l’arrivée par une des concurrentes elle-même blessée par la collision l’a appris à ses dépens. Son pourvoi est rejeté à la fois pour avoir voulu agir contre la cavalière sur le fondement de l’article 1382 et pour avoir prétendu, en réplique à l’action en réparation que cette dernière avait formé contre elle, qu’elle n’était tenue à aucune obligation de sécurité à son égard.

1-En marge d’un championnat départemental de la Fédération française d’équitation, la déléguée du comité régional organisateur de l’épreuve prend l’initiative d’organiser une course de vitesse sur l’hippodrome ouverte aux cavaliers qui le souhaitent. Ceux-ci sont tous novices, comme leurs montures, en matière de galop. L’organisatrice se poste après la ligne d’arrivée avec deux autres cavalières pour ralentir les chevaux. A l’arrivée, le cheval d’une des concurrentes heurte violemment le sien, lui causant des blessures ainsi qu’à leurs deux montures. L’organisatrice de la course  assigne alors la cavalière et son assureur en indemnisation de son préjudice sur le fondement de l’article 1382 du code civil mais est déboutée de toutes ses demandes. La concurrente lui réclame à son tour des dommages et intérêts et obtient gain de cause.

2-Dans son pourvoi, l’organisatrice critique l’arrêt ayant considéré qu’un contrat s’était formé entre elle même et la cavalière qui l’avait heurtée. Elle fait valoir que la course avait un caractère totalement gratuit et facultatif, de sorte qu’il n’existait aucun lien contractuel entre elles. Par ailleurs, elle relève que la concurrente n’ayant contracté aucune obligation de sécurité, même tacite, à  son égard, son action en responsabilité ne pouvait être engagée que sur un fondement délictuel.

3-Contrairement aux prétentions de l’organisatrice, la formation d’un contrat entre elle et la concurrente a été retenue par les juges (I).  S’il faut convenir que l’organisatrice n’a pas exécuté l’obligation de sécurité à sa charge (II) l’inverse est plus douteux (III).

I-Formation du contrat

4-L’auteur du pourvoi s’efforçait de démontrer que la cavalière n’était pas liée avec elle par contrat. Elle faisait d’abord valoir que celle-ci n’avait pas participé au championnat départemental organisé par le comité régional dont elle était la déléguée, mais à une autre épreuve organisée par l’association qui lui avait fourni la monture. Le moyen ne résiste guère à l’examen, dès lors que les circonstances de l’espèce révèlent au contraire qu’elle avait fait effectuer en personne la reconnaissance du terrain aux cavaliers et leur avait donné plusieurs consignes dont celle de courir en ligne droite. Elle avait, ensuite, indiqué qu’elle se trouverait avec deux autres cavaliers après la ligne d’arrivée pour ralentir les chevaux. Il y avait donc bien, à travers ses indications, un engagement de sa part.

5-Pourtant, cet engagement n’aurait pas eu, selon elle, valeur de contrat dès lors que la participation à la course était gratuite. La jurisprudence est hésitante sur cette question. Certains tribunaux considèrent, en effet, que l’accord de volonté doit se traduire sous la forme d’une prestation à titre onéreux. Ainsi, il a été jugé que le fait de faire monter à cheval une personne dans le cadre de relations amicales[1] ou de lui prodiguer des conseils bénévoles[2] ne peut s’analyser en une convention liant les parties. A l’inverse, les tribunaux reconnaissent l’existence d’un contrat à la cotisation acquittée ou à la leçon rémunérée[3].

6- S’agissant des manifestations sportives, la Cour de cassation a admis qu’un contrat tacite avait pu être passé entre une équipe de football organisatrice d’un match et les participants recrutés à l’appel de haut parleur[4]. En admettant que soit appliquée cette jurisprudence à l’accident hippique, il faut ajouter que les circonstances précédant l’épreuve révèlent que l’offre de contracter et de s’obliger a été extériorisée. L’organisatrice a donné des consignes aux participants avant le départ (courir en ligne droite et ralentir dès la ligne d’arrivée franchie) et leur a annoncé qu’elle se positionnait après la ligne d’arrivée pour ralentir les chevaux. Quant aux participants, ils ont manifesté expressément leur acceptation en prenant part à la course.

II-Obligation de sécurité de l’organisatrice

7- Si on admet l’existence d’un contrat, l’organisatrice n’a manifestement pas exécuté l’obligation de sécurité à laquelle elle était tenue. D’abord, elle a commis une erreur d’appréciation sur son positionnement.  En effet, elle se trouvait à environ vingt mètres après la ligne d’arrivée de sorte qu’en raison de la vitesse d’un cheval au galop et de la distance nécessaire dont il a besoin pour ralentir, il n’y avait pas la distance suffisante à l’endroit où elle se trouvait pour ralentir des chevaux. Sa seconde faute est d’avoir mal évalué le niveau des cavaliers. Ceux-ci étant novices aucun d’entre eux n’était capable de maîtriser sa monture et par conséquent de rester dans sa ligne de course. La consigne de l’organisatrice devenait donc impossible à respecter. Il n’y a donc rien à redire au rejet du pourvoi.

III-Responsabilité de la cavalière

8- L’organisatrice de l’épreuve prétendait que le dommage qu’elle avait subi était étranger à l’exécution d’un contrat comme l’atteste la jurisprudence sur les cours de skis. En effet, si le moniteur contracte une obligation de sécurité vis-à-vis de son élève, l’inverse n’est pas vrai. L’élève ne prend pas l’engagement d’assurer la sécurité de son moniteur. En conséquence, le moniteur blessé par son élève peut l’actionner sur le fondement de l’article 1382[5], et plus surement sur celui de l’article 1384 alinéa 1[6] qui le dispense d’établir la faute de l’élève[7]. Même raisonnement pour une course hippique : l’organisateur de l’épreuve contracte une obligation de sécurité à l’égard des concurrents ; en revanche ceux-ci ne prennent pas d’engagement équivalent vis-à-vis de l’organisateur.

9-Pour aboutir à ses fins l’organisatrice aurait du établir que son dommage provenait d’une faute de la cavalière si elle l’avait actionné sur le fondement de l’article 1382. Sans doute cette dernière n’avait-elle pas suivi ses consignes en déviant de sa ligne et traversant la piste de gauche à droite. Mais  tout montre que ces instructions étaient inapplicables. D’abord les lignes n’étaient pas matérialisées. Ensuite, les participants étant des cavaliers novices et inexpérimentés en matière de galop. Le fait qu’un cavalier ne conserve pas sa ligne et se trouve sur la gauche de la piste de course à l’arrivée, nonobstant son emplacement sur la ligne de départ, ne peut lui être reproché.

10-L’autre alternative aurait été d’agir sur le fondement de l’article 1385 du code civil qui met à la charge du gardien de l’animal l’obligation de répondre des dommages qu’il cause. Régime de responsabilité avantageux qui aurait dispensé l’organisatrice du fardeau de la preuve d’une faute du gardien de l’animal. Mais il ne semble pas qu’elle y ait fait allusion dans ses conclusions. Dans ces conditions, le rejet de son action en réparation devenait inéluctable.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

 

En savoir plus :</strong > 

Cour de Cassation, 2ème chambre civile, 24 octobre 2013

Jean Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] CA Toulouse, 7 janvier. 1997.

[3] CA Versailles, 6 février 1998, Juris-Data, 041284. Grenoble 26 juin 1995.

[4] Civ 1, 13 juillet 1982, n° 81-13493. Bull civ. 1 n°. 264. L’arrêt vise formellement l’article 1147.

[5] Civ, 2, 13 mai 1969. Bull civ. 2, 156. Civ1, 22 juillet 1986. Gaz Pal, 20 nov. 1986, p. 18.

[6] CA Chambéry, 18 mars 1968, JCP 68      éd. G II, 15489,  note Rabinovitch.

[7] Si bien que le moniteur se trouve mieux protégé que son élève !

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