Les personnes qui prennent des cours de ski ne sont pas à l’abri d’accidents et auraient tort de penser qu’elles seront indemnisées en toutes circonstances (lire notre précédent commentaire). L’élève qui se blesse pendant la séance par imprudence ou inattention ne doit s’en prendre qu’à lui-même (Lire notre précédent commentaire). Le moniteur tenu seulement par une obligation de moyens n’est pas responsable de sa chute. De même, si l’agence organisatrice du séjour de ski est présumée responsable du seul fait des blessures subies par ses clients, elle ne répond pas de leurs fautes.

 

1-L’exercice de passage sur bosses n’est pas dénué de tout danger. Deux élèves qui prenaient un cours de ski en ont fait l’amère expérience. Le premier, un jeune garçon, n’ayant pas réussi à négocier un virage ni à maîtriser sa vitesse, a rebondi sur une bosse, dévalé le champ neigeux puis est tombé lourdement sur la piste en contrebas. La seconde, une femme cliente d’une agence de tourisme a chuté alors qu’elle sautait une bosse en voulant éviter deux skieurs situés en aval de l’obstacle.

2-Les parents de la première victime ont assigné le moniteur en réparation (CA Pau 12 septembre 2013). La seconde lui a réclamé également des indemnités (CA Grenoble  28 août 2012). Aucune de ces demandes n’a abouti en l’absence de preuve d’une faute du moniteur (I). Dans la seconde espèce, la victime a également mis en cause l’agence de tourisme qui avait organisé le séjour de ski. Peine perdue, bien que celle-ci soit plus responsable que le moniteur de ski à qui elle a sous-traité les cours. En effet, si  elle est responsable du seul fait de la survenance du dommage et ne peut s’exonérer en établissant l’absence de faute de sa part, elle a toujours la possibilité, comme en l’espèce, d’imputer le dommage à l’imprudence de son client (II).

 

I- Responsabilité du moniteur

3-Voisines par les faits, les deux actions en réparation avaient un fondement juridique différent. Pour l’une, il était question d’une responsabilité contractuelle et, pour l’autre d’une responsabilité délictuelle. L’explication de cette différence tient au fait que dans la première espèce (CA Pau), la victime avait contracté directement avec le moniteur, alors que dans la seconde (CA Grenoble), elle n’avait aucun rapport contractuel avec lui, mais uniquement avec l’agence de voyage à laquelle elle s’était adressée pour les cours de ski. Néanmoins si le fondement juridique des deux actions diffère dans les deux espèces (art. 1147 du code civil dans un cas et articles 1382 et 1383 dans l’autre) le régime de responsabilité qui en découle est semblable puisqu’il s’agit d’une responsabilité pour faute prouvée.

Si on considère que la faute est caractérisée par la méconnaissance d’un devoir imposé par l’ordre juridique il n’y a, a priori, guère de différence entre la faute contractuelle se définissant comme l’inexécution d’une obligation née d’un contrat et la faute délictuelle comprise comme celle provenant de la violation d’un devoir extra-contractuel de prudence et de précaution. Cependant, les obligations qu’elles enfreignent se distinguent par leur intensité. A la différence des obligations extracontractuelles, les obligations contractuelles peuvent être de moyens (responsabilité pour faute) ou de résultat (responsabilité sans faute). L’obligation de sécurité contractuelle sera de résultat si l’organisateur s’oblige « en tous temps et en toutes circonstances à ramener ses clients sains et saufs dans la station »[1].  Mais une telle obligation n’existe que dans les contrats où le créancier ne participe pas à son exécution et que le débiteur en a la maîtrise complète. Le transporteur peut assurer aux voyageurs qu’ils arriveront sains et saufs à destination au contraire du moniteur de sport qui n’a pas complètement prise sur le comportement de ses élèves.  Ceux-ci se tromperaient lourdement en pensant que le professionnel, en qui ils ont mis leur confiance, s’engage, pendant le temps de la leçon, à les indemniser en toutes circonstances en cas de chute y compris s’il n’a aucune faute à se reprocher. Le moniteur tenu par une obligation de moyens promet seulement de « tout mettre en oeuvre pour ne pas accroître les risques encourus et au contraire, tâcher de les diminuer » comme le souligne la cour d’appel de Pau. Le fait de ne pas tenir cet engagement constitue une faute contractuelle dont la victime doit rapporter la preuve.

4-La méconnaissance des obligations extracontractuelles aboutit au même régime que l’obligation contractuelle de moyens. Si le moniteur n’a pas contracté directement avec ses élèves mais avec l’agence qui l’emploie, il s’est néanmoins engagé à faire preuve de prudence à leur égard. Sa responsabilité est engagée si la victime établi qu’il n’a pas tenu sa promesse.

En somme, dans les deux cas – responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle – la victime doit rapporter la preuve d’une faute du professionnel.

5-L’essentiel du débat portait, dans les deux espèces, sur le contenu de cette faute. Pour la caractériser, il fallait apprécier le comportement du moniteur de ski. A cet égard, les tribunaux combinent deux modes d’appréciation. Le moniteur est d’abord comparé à un modèle standard, celui du professionnel « raisonnable et avisé ». Cette appréciation  « in abstracto » est en partie corrigée par la prise en compte des caractéristiques  propres à une leçon de ski. C’est l’appréciation « in concreto » qui  conduit  le juge à  s’intéresser au niveau des participants, à la configuration du terrain et aux différentes  techniques enseignées.

6-L’obligation de sécurité pour l’un et le devoir de prudence pour l’autre ne s’exécutent pas seulement pendant la durée du cours mais prennent forme avant le début de la leçon.

1-    Les obligations du moniteur avant le cours

7- Le terrain choisi pour la leçon doit être approprié aux aptitudes des élèves dont le moniteur aura préalablement vérifié le niveau.

8-Le choix de la piste était contesté par les deux appelants. Dans la première espèce (CA Pau) les parents de l’enfant blessé reprochaient au moniteur d’avoir organisé la séance sur une zone signalée comme dangereuse à forte déclivité sur neige dure et verglacée et hors piste.  Dans la seconde (CA Grenoble), la victime se plaignait également d’avoir été contrainte d’effectuer des sauts de bosse sur une piste dont la neige était dure et de surcroît fréquentée par d’autres skieurs et des surfeurs alors que la visibilité était insuffisante.

9-Aucun de ces moyens n’est retenu par les juges. La cour de Pau observe que l’exercice s’est déroulé sur un terrain modéré au regard de sa longueur et du pourcentage de pente. L’enquête n’a pas révélé que la neige était verglacée. En outre, le bulletin météo indiquait que le temps était ensoleillé et la visibilité bonne. La cour de Grenoble observe de son côté que la victime n’a pas établi que les conditions d’enneigement étaient mauvaises et ajoute que l’exercice s’étant déroulé sur une piste  bleue «  le niveau suscité des skieurs leur permettait d’évoluer sans difficultés et de s’adapter à la neige, même si celle ci était dure ». Celui-ci doit, en effet, être pris en compte dans le choix de la piste. A plusieurs reprises, les tribunaux ont reproché à des professionnels de s’être mépris sur les capacités de leurs élèves. C’est le cas  de celui qui cho
isi une piste réservée « aux skieurs chevronnés »[2],  leur fait  contourner  le deuxième jour un éperon rocheux à pied sur une pente atteignant 60% et surplombant une barre rocheuse[3] ou encore les emmène sur une piste difficilement praticable en raison d’un enneigement très déficient et de la nature rocailleuse du terrain[4].

10-L’appréciation du niveau du pratiquant s’applique aussi au choix de l’exercice. L’élève ne doit pas être exposé à « un risque inconsidéré » selon l’expression de la cour de Pau. S’il n’y a pas d’apprentissage sans chute et que le moniteur ne garantit pas, comme l’indique la cour de Grenoble, « l’absence de risque », il doit, cependant, veiller à ne faire prendre à ses élèves que des risques calculés car l’apprenti skieur n’accepte pas de subir de graves atteintes à son intégrité physique.

11-Les juges ont vérifié que ces précautions avaient bien été prises. Dans la première espèce, ils ont constaté que l’exercice était conforme aux indications du carnet de capacité en ski alpin édité par la fédération française de ski[5] et que l’élève avait atteint le niveau pour l’effectuer puisqu’il n’avait été proposé qu’au troisième jour du stage. Dans la seconde espèce, la cour relève que l’exercice n’est intervenu que le 5ème jour et que  l’élève possédait un niveau 3 qui correspond à « des bons skieurs pouvant skier tout terrain, sur des pentes fortes, et bosselées, et en toute neige (gelée, profonde) ». Dès lors, le reproche fait aux deux moniteurs d’avoir choisi une piste inappropriée pour exécuter des sauts de bosse n’était pas fondé.  Comme l’avait déjà estimé la cour d’appel de Lyon la chute d’un élève sur une piste lisse et dure mais d’une difficulté moyenne au regard de ses capacités fait partie des risques inhérents à la pratique du ski[6].

 

2-    Les obligations du moniteur pendant le cours

12-Le moniteur s’engage à fournir pendant le cours les conseils, indications et consignes de nature à assurer la sécurité de ses élèves. Ainsi, il doit prendre garde qu’ils ne se suivent pas de trop près et observent une distance minimale entre eux « afin de pallier par une distance suffisant les conséquences d’erreurs prévisibles »[7]. Cette règle à bien été observée par le premier moniteur qui faisait partir ses élèves à tour de rôle. En revanche, on ignore si le second leur a donné des consignes de prudence, notamment sur la vitesse à observer compte tenu de la fréquentation de la piste. A cet égard, la victime lui reprochait de ne pas l’avoir avertie que d’autres skieurs se trouvaient derrière la bosse qu’elle s’apprêtait à franchir et qu’il ne se tenait pas à proximité de celle-ci alors qu’elle devait exécuter un exercice difficile.  Il aurait donc manqué à la fois à son devoir d’information et à une obligation de surveillance rapprochée. La cour d’appel réplique qu’il ne lui était pas matériellement possible d’être présent derrière chaque bosse empruntée par les skieurs, dès lors qu’il était le seul moniteur encadrant le groupe. Fallait-il, alors, que le groupe soit encadré par un deuxième moniteur ou que le nombre de participant soit réduit? Si la question pouvait se poser pour des enfants en bas âge, inconscients du danger, en revanche, elle n’avait pas lieu de l’être, s’agissant d’adultes de niveau 3 parvenus à leur 5ème jour de stage. Par ailleurs, en supposant que le moniteur se soit trouvé au bon endroit et ait alerté la victime de la présence d’autres skieurs, il est vraisemblable, compte tenu de sa vitesse supposée, puisqu’elle reconnaît avoir eu « une glisse très rapide », qu’il aurait été trop tard pour qu’elle rectifie sa direction.

13-La seule vraie question  était de savoir si les participants aient bien reçu toutes les consignes de sécurité nécessaires pour passer les bosses sans dommage et notamment celle de réguler leur vitesse compte tenu de la fréquentation de la piste. La cour de Grenoble les passe sous silence. En supposant qu’elles aient été données, il appartenait, alors, « à chaque skieur d’adapter son évolution, qu’il s’agisse de sa trajectoire, de sa vitesse ou du choix d’effectuer tel saut à tel endroit ». C’est la marge d’autonomie dont disposent les élèves sur laquelle le moniteur n’a pas matériellement de pouvoir d’agir.

14-Si les parents du jeune garçon n’avaient guère d’autre solution que de mettre en  cause le moniteur, en revanche la seconde victime n’a pas manqué d’assigner l’agence de voyage organisatrice du séjour dans lequel étaient inclus les cours de ski. Elle avait, en effet, intérêt à le faire car la loi soumet l’agence de voyage à une responsabilité sans faute.

 

II-Responsabilité de l’agence organisatrice du séjour de ski

15-La victime avait choisi d’actionner l’agence à la fois sur le fondement de L 211-16 du code du tourisme qui édicte un régime spécial de responsabilité pour les agences de voyage.

 

1-    Responsabilité pour faute

16-La cour de Grenoble opère la distinction entre la responsabilité du fait personnel de l’agence et sa responsabilité du fait du moniteur qu’elle a fait intervenir pour donner les cours.

17-En s’adressant à un tiers, l’agence a agi comme mandataire pour le compte de son client. Dès lors, il ne peut pas lui être reproché, au titre de son fait personnel, des négligences ou imprudences dans l’organisation et le déroulement de la séance qu’elle a délégués, mais uniquement un mauvais choix de l’encadrement. En l’occurrence, ce n’était pas le cas puisqu’elle avait fait appel à un moniteur de l’école du ski français dont les membres offrent toutes les garanties de qualification.

18-L’agence pouvait également avoir à répondre du fait du moniteur auquel elle s’était adressée en application du mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui. S’il n’existe pas dans le champ contractuel de texte de portée générale comparable à l’article 1384 du code civil qui énumère plusieurs cas de responsabilité du fait d’autrui,[8] les tribunaux ont  néanmoins admis « qu’en matière contractuelle ceux dont on doit répondre sont non seulement les préposés et mandataires mais encore ceux que l’on a introduit volontairement dans l’exécution »[9]. Dès lors, en sous traitant à un tiers les cours de ski, l’agence s’est engagée personnellement vis-à-vis de ses clients à les indemniser en cas de défaillance du substitut. Elle répond de son fait comme si elle avait exécuté elle-même la prestation. En conséquence, si l’obligation du moniteur avait été de résultat, sa responsabilité aurait été engagée du seul fait de l’inexécution de la prestation sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute de sa part. Mais, s’agissant d’une obligation  de moyens, elle était subordonnée à la faute du moniteur. Celui-ci n’ayant rien à se reprocher, la victime n’avait alors au
cune chance d’aboutir. Voilà pourquoi, avait-elle plus intérêt à actionner l’agence sur le fondement de l’article  loi du 13 juillet 1992- dont les dispositions ont été reprises aux  L 211-1 et suivants du Code du tourisme. Diverses catégories de prestations sont visées : l’organisation de voyages ou de séjours individuels ou collectifs à titre principal, des services pouvant être fournis à l’occasion de cette opération[10] et des services liés à l’accueil touristique[11]. S’ajoutent à cette liste, les opérations de production ou de vente de forfaits touristiques. En l’espèce c’est de ce dernier type de prestation dont il était question.

20-Selon  l’article 211-2 du Code du tourisme le forfait touristique se compose de trois éléments : il se caractérise, d’abord, par la combinaison d’au moins deux opérations portant respectivement sur le transport, le logement ou d’autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement et représentant une part significative du forfait ; ensuite, la durée du séjour doit être supérieure à vingt quatre heures ou incluant une nuitée ; enfin la prestation est vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris.

21-Le premier type de difficulté que soulève cette disposition est de savoir si la prestation offerte entre bien dans la définition du forfait et notamment, pour les agences proposant des activités sportives, si celle-ci constitue bien  « une part significative du forfait ». Ainsi, il a été jugé que la seule fourniture d’une prestation de raft et de repas par une société qui ne prenait en charge ni le transport ni le logement ne constituait pas une part significative du forfait[12]. Mais ce n’était pas le cas en l’espèce puisque l’agence offrait l’hébergement et les cours de skis qui représentaient la part prépondérante de la prestation, ce que personne ne contestait. En revanche, le point litigieux portait sur la qualification des cours de skis. L’agence de voyage prétendait qu’ils ne pouvaient être assimilés « à des services touristiques ». La question n’est pas nouvelle et avait déjà été soulevée dans une précédente espèce où un tribunal a considéré qu’un séjour sportif « ne constitue pas un service touristique » mais une « prestation essentiellement liée à la découverte d’un pays, d’une région, ou d’un site particulier »[13]. C’est oublier que le législateur dresse au b) et c) de l’article 211-1 du Code du tourisme, une liste non limitative des services pouvant être fournis à l’occasion de voyages ou de séjours et des services liés à l’accueil touristique, comme le confirme l’emploi de l’adverbe « notamment » utilisé à deux reprises. S’il ne mentionne pas les activités sportives, le législateur ne les exclut donc pas.  Cette opinion n’a pas prospéré. Pour preuve, la cour de Grenoble considère que l’activité ski constitue « une activité touristique au sens des articles L 211-1 et suivants du code du tourisme ».

22-Le deuxième sujet de contestation concerne l’application d’une responsabilité objective en toutes circonstances. Une partie de la doctrine considère que « l’agence ne peut être tenue plus sévèrement que le prestataire local dont elle s’assure le concours »[14]. A cet égard, on a fait remarquer que la lettre de l’article L 211-16  était ambiguë. En effet, si on considère que l’agence de voyages est responsable de la « bonne exécution des obligations résultant du contrat », on peut avoir « égard à la portée de ces obligations pour apprécier la responsabilité de l’agence »[15]. C’est le schéma du droit commun de la responsabilité du fait d’autrui que la Cour de cassation avait d’ailleurs appliqué à une agence de voyage avant la loi du 13 juillet 1992.  A l’époque,  elle estima, à la lumière de l’arrêté du 14 juin 1982  qu’elle était « directement tenue de la même responsabilité que les divers prestataires de service auxquels elle avait eu recours pour l’exécution du contrat »[16]. En somme, elle ne devait répondre du dommage causé à  la victime que si le prestataire était tenu lui-même de le réparer. Elle serait donc responsable de plein droit du dommage si le prestataire était assujetti à une obligation de résultat, et ne le serait que sous condition que celui-ci ait eu un comportement fautif s’il avait contracté une obligation de moyens.

23-Un certain nombre de tribunaux ont fait ce raisonnement écartant la responsabilité de plein droit chaque fois que le participant avait eu un rôle actif comme cela a été jugé pour une partie de football[17], une randonnée pédestre[18], de la planche à voile[19], de l’équitation[20], de la bicyclette[21] ou encore de la pêche en mer[22].

24-Deux cours d’appel, statuant dans le même sens, à propos d’accidents survenus aux clients d’une agence dont l’un avait chuté dans l’escalier de l’hôtel et l’autre s’était mortellement blessé  en tombant dans une crevasse, ont été rappelées à l’ordre par la Cour de cassation[23]. Celle-ci s’en est tenue à la lettre de l’article L 211-16 qui édicte  une responsabilité « de plein droit». Il faut admettre, si on adhère à cette interprétation, que ce texte rompt avec le droit commun de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui. La responsabilité de l’agence de voyage ne doit pas être appréciée à l’aune de celle de son prestataire. Elle est tenue en toutes circonstances par une obligation de résultat,  non seulement en l’absence de faute de sa part, mais également en l’absence de faute prouvée du prestataire. Alors qu’elle constituait jusque là « le prolongement de celle du prestataire » sa responsabilité se « révèle donc personnelle et autonome »[24]. C’est une véritable responsabilité objective qui est consacrée sur le modèle de celle des parents qui répondent des dommages causés par leurs enfants mineurs même en l’absence de faute de ceux-ci. A cet égard, l’arrêt de la cour de Grenoble précisant que  «l’existence d’une faute du prestataire encadrant l’activité ski n’était pas une condition de mise oeuvre de la responsabilité de plein droit » n’a rien d’inédit.

25-On a fait remarquer que cette jurisprudence était avantageuse pour les
victimes et sévère pour les agences de voyage[25]. Cependant, cette rigueur est atténuée par leur assurance en responsabilité. Si elle mérite des réserves c’est plutôt parce qu’elle ne met pas les victimes sur un même pied d’égalité, comme le révèle la comparaison des deux décisions commentées. En effet, le client d’une agence pourra compter sur une présomption de responsabilité l’épargnant de la charge de la preuve alors que celui qui aura contracté directement avec un moniteur de ski n’obtiendra réparation qu’à la condition d’établir une faute de celui-ci.  Là où l’agent de voyages sera tenu par une obligation de résultat, le moniteur, lui, ne sera débiteur que d’une obligation de sécurité de moyens.  En somme, le client d’une agence sera mieux protégé que celui d’un moniteur de ski.

26-Comme dans tous les régimes de responsabilité de plein droit, l’agence présumée responsable peut s’exonérer en établissant l’existence d’une cause étrangère. L’article L 211-16 prévoit , en effet, qu’elle  « peut s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure ».

27-Pour que le fait de l’acheteur exonère totalement l’agence, il faut qu’il apparaisse comme la cause génératrice et exclusive du dommage. C’est précisément l’analyse que font les juges  grenoblois, estimant que l’accident trouvait « sa cause unique dans la faute de la victime qui n’a pas su adapter sa vitesse et maîtriser la trajectoire de ses skis » en raison d’une glisse trop rapide alors qu’elle aurait dû adapter sa vitesse à la configuration du terrain et à la fréquentation de la piste.

28-Cette référence à la causalité est importante. Une cour d’appel a été censurée pour avoir exonéré une agence de sa responsabilité, en faisant uniquement allusion au manque d’attention d’une mère dont la fille s’était noyée dans la piscine d’un hôtel prestataire d’une agence « sans constater que le manquement relevé était à l’origine du dommage»[26].

Il reste qu’un doute subsiste sur la question de savoir si le moniteur a bien donné les consignes nécessaires aux participants puisque l’arrêt n’en fait pas mention. S’il s’avérait qu’elles faisaient défaut, il aurait alors fallu prononcer un partage de responsabilité.

29-Dans la présente espèce, le recours en garantie contre le prestataire prévu par le législateur n’aura pas besoin d’être exercé puisque l’agence est exonérée de sa responsabilité. On fera seulement remarquer que ce recours ne peut aboutir qu’à la condition, pour l’agence, « d’apporter la preuve de la faute commise par le prestataire »[27] et de caractériser le lien de causalité entre cette faute et le dommage subi[28].

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 

 

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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] TGI Grenoble 5 nov. 1963. D. 1964 J 207 note Rabinovitch.

[2] Chambéry 27 avril 1999. Juris-Data n°044075 (SaillardBree).

[3] Paris 26 février 1982 DS 1984 p. 188 note Marty.

[4] TGI Grenoble 5 nov. 1963 déjà cité.

[5] Celui-ci prévoit d’une part que le «niveau Etoile de bronze»  implique la capacité à maîtriser son équilibre en décollant sur bosses arrondies sur piste ou terrain aménagé et d’autre part que le candidat doit s’initier à la pratique du ski dans toutes les neiges.

[6] Lyon, 9 nov. 1984 Juris-Data n° 041903 (Schmidt SARL Vallencant)

[7]Aix-en-Provence 16 avril 1975, Gaz. Pal. 1976. p. 127 note Rabinovitch. Dans le même sens. Pau 16 fév. 1999. Juris-Data n° 043943 (Mutuelles du Mans UAP).

[8] On trouve uniquement dans le code civil des dispositions spécifiques à certains contrats comme ceux de location ou de transport de marchandise.

[9] CA Angers, 27 mai 1941, DA, 1942.J.25.

[10] Notamment la délivrance de titres de transport, la réservation de chambre, la délivrance de bons d’hébergement ou de restauration.

[11] Notamment l’organisation de visites de musées ou de monuments historiques.

[12] Paris section A, 4 sept. 2000. RG n° 1999/07281

[13] TGI Marseille, 17 fév. 2000, Hauwel c/ SA club méditerranée RG 7333/98.

[14] J-Y. Maréchal « La responsabilité des agences de voyages : dura lex, sed lex ! ». D, 2006 p. 1016.

[15] P. Jourdain, RTD Civ. 2006 p. 329.

[16] Civ 1, 10 mai 1989, n° 87-15655. Bull. civ. 1989 I n° 183 p. 122. RTD civ. 1989 p.752 ; 15 janv. 1991, Bull. civ. I, n° 21 ; D. 1991.435, note P. Diener ; Paris, 15 mars 2004, D. 2004.2006, note Y. Dagorne-Labbe.

[17] TGI Paris, 1ère ch. 2ème Sec., 22 janv. 2004. RG n°03/01317.

[18] CA Paris 17ème ch . Sec. 3, 20 mars 2000. RG n°1998/15028.

[19] CA Paris 25ème ch. Sect. B, 4 mai 2001. RG n° 1999/ 22736.

[20] TGI Paris,  1ère ch. 2ème Sect. 5 févr. 2004. RG n°02/05814.

[21] TGI Paris,  1ère ch. 2ème Sect. 19 févr. 2004 RG n°02/06768.

[22] CA Paris, 25ème ch. B. 16 févr. 2001. D 2001 p. 2343. Note Y. Dagorne-Labbe.

[23] Civ. 1ère, 2 nov. 2005, n° 03-14.862. Bull. civ. I, n° 401, D. 2006.1016, note J-Y. Maréchal ; JCP 2006.II.10018, note M. Poumarède ; Civ. 1ère, 13 déc. 2005, Bull. civ. I, n° 504, note P. Jourdain,RTD Civ. 2006 p. 329.

[24] J.Y. Maréchal, précité.

[25] P. Jourdain, précité.

[26] Civ. 1ère 19 mars 2009 n° 07-17802.

[27]Civ. 1ère,  15 mars 2005 pourvoi n° 02-15940. Bull. civ. n° 138 p. 119.

[28] Civ , 1ère 22 mai 2007, pourvoi n° 05-18221.

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