Les règles définies par les articles L. 410-1 et suivants du Code de commerce visent à sanctionner la mise en œuvre de moyens déloyaux destinés à s’approprier la clientèle d’un concurrent. Comme tout autre opérateur économique, ces dispositions légales peuvent concerner les associations lorsqu’elles sont victime ou auteurs d’actes de concurrence déloyale. Dans les deux hypothèses, le fondement juridique de l’action visant à obtenir réparation de son préjudice économique repose sur l’existence d’une faute du concurrent déloyal (C. civ., art. 1382).

En matière associative, décision rendue en date du 2 avril 2008 par la chambre civile du Tribunal de grande instance d’Annecy (ch. civ., 2 avr. 2008, n° 06/01809) nous éclaire sur la méthode retenue par le juge civil pour caractériser cette faute, laquelle repose désormais explicitement sur l’application de la règle des « 4 P » introduite par l’instruction BOI 4 H-5-98 du 15 septembre 1998 et confirmée depuis par l’instruction fiscale de synthèse BOI 4 H-5-06 du 18 décembre 2006.

En l’espèce, le syndicat professionnel des métiers de la danse, de la forme et du loisir en salle estime que l’association Querido Tango, dont l’objet consiste en la pratique et la promotion du tango et de toutes autres formes de danse, pratique une concurrence déloyale à l’égard des écoles de danse. A l’appui de ses prétentions, le syndicat fait valoir que « l’association n’ayant pas les mêmes charges que les écoles de danse, elle leur cause un dommage qui les oblige à fermer, alors que l’association a mis en six ans près de 7000 euros de côté. » Il indique également que « l’association détourne des écoles de danse (…) une clientèle qui veut apprendre le tango et toutes autres formes de danse, cette dernière ayant multiplié, en six ans, par quatre son nombre d’adhérents ». Ce à quoi rétorque l’association que « le rattachement de la concurrence déloyale à la responsabilité civile, et donc à l’article 1382 du code civil, suppose la réunion de trois éléments, à savoir des agissements déloyaux constitutifs d’une faute, un préjudice, et un rapport de causalité entre les agissements déloyaux et le préjudice. »

Comment, dès lors, matérialiser l’existence d’une faute préjudiciable commise par une association en droit de la concurrence ? En effet, d’aucuns (1) considèrent que les associations sont par nature une source de distorsion de concurrence, dès lors que celles-ci ne sont pas assujetties aux impôts commerciaux (IS, TVA, TP) et qu’elles bénéficient de subventions. Le choix de la forme associative pour intervenir sur un secteur d’activités économiques est-il en soi constitutif d’actes de concurrence déloyale ?

Conformément à la position de la Cour de Justice des Communautés Européennes (2), le Conseil de la concurrence a successivement émis plusieurs avis indiquant que l’adoption des statuts d’association et non de ceux d’une société commerciale pour intervenir sur le Marché ne doit entraîner aucune conséquence au regard des règles de concurrence (3). Bien plus, il précise, à propos d’entreprises d’insertion par l’économie, que rien n’établit que l’octroi de subventions vient fausser le jeu normal de la libre concurrence sur les marchés concernés (4).

Néanmoins, il semblerait que la présomption de faute soit établie lorsqu’une association :

  • n’est pas assujettie à l’ensemble des obligations des commerçants ;
  • s’adresse de manière habituelle à des tiers, c’est-à-dire à des personnes extérieures à l’association ;
  • a pour but de réaliser un profit ou de rentabiliser la prestation offerte aux membres de l’association ;
  • concurrence directement des activités commerciales similaires, dès lors que le chiffre d’affaires réalisé avec les tiers n’est pas marginal.

Toutefois, en offrant une lecture extensive de la notion de paracommercialité (5), la circulaire du 12 août 1987 relative à la lutte contre les pratiques paracommerciales va incontestablement au-delà de ce que permet législateur pour qui « aucune association (…) ne peut de façon habituelle, offrir des produits à la vente, les vendre ou fournir des services si ces activités ne sont pas prévues par ses statuts » (6).

Aussi, dans l’arrêt du 02 avril 2008, la chambre civile du Tribunal de grande instance d’Annecy confirme que la notion de paracommercialité doit désormais être abordée sous l’angle de la fiscalité : « il convient d’appliquer la règle des « 4 P » (produit, public, prix, publicité) afin de déterminer si [l’organisme à but non lucratif] est en situation de concurrence déloyale ».

En l’espèce, la juridiction civile retient que :

  • sur le produit : « lors des séances réunissant les membres de l’association, leurs savoirs sont échangés, selon leur niveau, sans aucun professeur attitré, les plus aguerris donnant particulièrement des conseils » ;
  • sur le public : « l’association regroupe un public souhaitant mettre en commun sa pratique du tango argentin dans un cadre de partage et de convivialité » et afin de « nouer des contacts » ;
  • sur les prix : les tarifs pratiqués « permettent de toucher un large public, notamment des personnes plus modestes » ;
  • sur la publicité : une publicité pour un stage de tango argentin « pourrait s’assimiler à une publicité concurrentielle, s’il s’agissait d’un acte isolé ».

Enfin, le Tribunal souligne que :

  • « l’association [Querido Tango] est gérée par des personnes bénévoles, et donc non rémunérées, n’ayant aucun intérêt dans les résultats de l’exploitation » ;
  • « les 7.348,84 euros d’excédents (…) sont légitimes et ne signifient pas que l’association dégage des profits comme une entreprise peut le faire »

C’est donc tout naturellement que la juridiction civile conclut que « la situation de concurrence déloyale à l’encontre du syndicat professionnel de la danse (….) ne saurait être retenue », ce dernier ne rapportant pas la preuve que « les agissements non fautifs de l’association » sont à l’origine du « préjudice subi par les écoles de danse d’Annecy (…), à savoir une perte de clientèle et une baisse de leur chiffre d’affaires ». Cette décision nous éclaire particulièrement sur la façon de procéder des juridictions civiles qui, désormais, n’hésitent pas à recourir à la méthodologie fiscale introduite par l’instruction BOI 4 H-5-98 du 15 septembre 1998 (7) pour caractériser une situation de concurrence déloyale, dont un organisme sans but lucratif serait suspecté.

Une jurisprudence qui, une fois encore, confirme l’influence grandissante de la doctrine fiscale dans la définition des grandes orientations du secteur associatif (8).

 

Cet Edito ISBL consultants fait l’objet d’une publication aux éditions LAMY ASSOCIATIONS – Bulletin actualités septembre 2008 n°163 : Voir en ligne

 

Colas AMBLARD
Directeur des publications ISBL consultants

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Documents joints:

la-actu163



Notes:

[1] Amblard, Concurrence et paracommercialisme, Ed. Juris associations, n°384, 15 janvier 2008, p. 43 et s.

[2] Voir notamment CJCE, 16 novembre 1995, aff. C-244/94, D. 1996, jur. p. 317 note Bergeres, à propos d’un organisme d’assurance vieillesse

[3] Voir par exemple Avis du 10 février 1998, BOCCRF 15 septembre 1998, p. 486 et s. à propos d’une association de protection animale

[4] Avis du 5 janvier 1994, BOCCRF

[5] Lapierre, La paracommercialité, Rev. Juris. Com. 1980, n° spécial, p. 113 : « ce sont toutes les activités commerciales exercées par des (…) organismes qui n’ont pas le statut de commerçant ou qui n’en supportent par les obligations et les charges »

[6] C. com. art. L 442-7 ; Loi 1901, art. 1

[7] Cette méthodologie a, depuis, été reprise par l’instruction BOI 4 H-5-06 du 18 décembre 2006

[8] Amblard, La gouvernance associative : un nouveau champ d’intervention pour l’administration fiscale ?, Publication ISBL consultants : https://institut-isbl.fr/La-gouvernance-associative

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