L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 28 avril 2015 rendu sur le fondement de la responsabilité du fait des choses confirme une jurisprudence aujourd’hui bien établie (L. 321-3-1 du code du sport, qui fait barrage  à l’application de l’article 1384 alinéa 1 pour les dommages matériels, mais n’a pas vocation à s’appliquer aux courses automobiles lorsque le pilote est le préposé du propriétaire du véhicule.

1-Les collisions entre pilotes et les sorties de route constituent le lot habituel des accidents de courses automobiles. En l’occurrence, un des concurrents a quitté la piste en tête à queue pour finir dans le bac à gravier projetant  des gravillons qui ont endommagé le véhicule d’un autre concurrent. L’assureur du véhicule endommagé, subrogé dans les droits du propriétaire qu’il a indemnisé, fait assigner la société employant le pilote et son assureur sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er et subsidiairement de l’article 1384 alinéa 5 du code civil. Débouté en 1ère instance, il forme appel de la décision et obtient la réformation du jugement.

2-On écartera d’emblée la demande formée sur le fondement de la responsabilité des commettants. Sans doute, le pilote employé par la société propriétaire du véhicule avait-il bien la qualité de préposé. Mais, contrairement aux prétentions de l’appelant, les tribunaux subordonnent l’application de l’article 1384 alinéa 5 à une faute de sa part. En effet, l’immunité créée par l’arrêt Costedoat en faveur du préposé ne s’applique que dans ses rapports avec la victime, mais n’a pas affecté ceux de la victime avec le  commettant, comme l’a révélé l’arrêt de la 2ème chambre civile du 13 mai 2004, (n° 03-10.222).  L’incident étant survenu lors d’une course automobile, il aurait donc fallu établir l’existence d’une faute du pilote, caractérisée par une violation du règlement de l’épreuve. En effet, dans un arrêt du 8 avril 2004, ayant trait au tacle litigieux d’un joueur de football professionnel, la Cour de cassation a non seulement rappelé l’exigence d’une faute du préposé pour engager la responsabilité du commettant (en l’occurrence de son club), mais également confirmé que, s’il s’agit d’un compétiteur, sa faute doit présenter un certain degré de gravité[1]. Une faute technique involontaire ou une maladresse font partie des risques normaux de la pratique sportive que les joueurs sont censés avoir acceptés. Il faut donc établir que le pilote a pris un risque anormal.  Il est probable que la sortie de route a été la conséquence d’une vitesse élevée. Mais ce qui serait constitutif d’une faute pour un conducteur ordinaire ne l’est pas pour un compétiteur à la recherche de la meilleure performance. Il ne peut pas y avoir d’excès de vitesse dans une course automobile, comme l’avait justement relevé le tribunal correctionnel du Mans à propos des 24 heures du Mans[2].  C’est donc sans surprise que la cour d’appel n’a fait aucune allusion à l’article 1384 alinéa 5 qui n’avait pas vocation à s’appliquer ici.

3-En revanche, l’accident s’étant produit lors d’une épreuve motorisée, il fallait s’interroger sur la mise en œuvre de  la 4 janvier 2006 sans remettre en cause ce traitement inégal, avait exclut l’application de la loi aux accidents  survenant entre concurrents « évoluant sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive » au motif qu’il ne s’agissait pas d’accidents de la circulation. C’est à cette jurisprudence que fait référence la cour d’appel de Lyon en relevant que les parties ont d’un commun accord écarté l’application de la loi de 1985

 

4-Le débat avait donc pour cadre unique l’article 1384 alinéa 1 du code civil. Mais l’article Mais l’article  L. 321-3-1du code du sport, que l’arrêt passe sous silence, ne faisait-il pas barrage à son application ? On rappellera que ce texte a été conçu en  réplique à l’arrêt du 4 novembre 2010 qui avait fait sauter le verrou de l’acceptation des risques.  On se souvient, en effet, que la Cour de cassation neutralisait l’article 1384 alinéa 1 entre compétiteurs, contraignant ainsi les victimes à établir la preuve d’une faute de l’auteur du dommage sur le fondement de l’article 1382. On expliquait cette jurisprudence en faisant remarquer que les compétiteurs acceptent les aléas de la compétition de sorte qu’ils n’ont pas droit à  la protection offerte aux victimes par la responsabilité du fait des choses. L’article L. 321-3-1du code du sport a donc eu pour objet de limiter la possibilité qui leur était désormais offerte de faire usage de l’article 1384 alinéa 1. Il prévoit que « les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont sous leur garde, au sens du premier alinéa de l’article 1384 du Code civil, à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique. » Les circonstances paraissaient réunies en l’espèce pour son application. L’accident était survenu lors d’une compétition automobile ; un pilote avait endommage le véhicule d’un autre concurrent ; l’accident s’était produit sur un circuit fermé. Pourtant une des conditions faisait défaut. En effet, l’article L. 321-3-1 du code du sport s’applique aux dommages causés par « le fait d’une chose » qu’un des pratiquants à « sous sa garde ». Il suppose donc que l’auteur du dommage soit gardien de la chose ayant provoqué le dommage. En l’espèce, celui-ci était préposé de la société propriétaire du véhicule. Or il est acquis que les qualités de gardien et de préposé sont incompatibles : le préposé n’est pas gardien des choses qu’il détient. C’est le commettant, en l’occurrence la société employant le pilote, qui avait la garde du véhicule accidenté. Dans ces conditions, il n’y avait pas place pour l’application de l’article L. 321-3-1 du code du sport, contrairement à ce que prétendait l’intimé.

 

5-La mise en œuvre de l’article 1384 alinéa 1 est subordonnée à la preuve du rôle causal de la chose dont la charge incombe à la victime. A elle d’établir qu’elle a été l’instrument du dommage, ce qui revient à démontrer son rôle actif. La société intimée soutenait que le dommage ayant été causé par une chose inerte, elle ne pouvait en être l’instrument, sauf à rapporter la preuve de sa position anormale ou de son état défectueux. Ce raisonnement n’est pas suivi par les tribunaux. Ceux-ci admettent de longue date qu’il n’est pas nécessaire que la chose ait été en contact direct avec le siège du dommage pour avoir eu un rôle actif, comme l’attestent plusieurs arrêts de la Cour de cassation à propos d’accidents provoqués par le jet de gravier ou de gravillons par un véhicule automobile[3]. La situation est équivalente dans la présente espèce.  C’est assurément la projection de gravillons provoquée par la manœuvre du véhicule qui a endommagé celui de l’autre concurrent. Son rôle actif est donc bien établi.

 

6-L’application de l’article L. 321-3-1 du code du sport ayant été écartée, les parties se trouvaient dans les prévisions de l’arrêt du 4 novembre 2010 de sorte que l’intimé ne pouvant opposer l’acceptation des risques à l’appelant, plus rien ne s’opposait à l’application de l’article 1384 alinéa 1. Il en eut été autrement si l’épreuve avait été organisée avec des pilotes amateurs. Dans ce cas, en effet, l’auteur de la sortie de route aurait été considéré comme gardien du véhicule avec pour conséquence l’application de l’article L. 321-3-1. Mais ceci est une autre histoire !

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
 
 

 

En savoir plus : 

 

 CA Lyon 28 avril 2015

 

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012
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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Lyon 28 avril 2015



Notes:

[1] Lire, à ce sujet, la chronique de P. Jourdain « La faute du joueur de football engageant la responsabilité du club en tant que commettant ». RTD Civ. 2004 p. 517.

[2] Gaz Pal 1961, 2, 113.

[3] Civ 2, 4 octobre 1961. Bull civ 2, n° 627 et 20 novembre 1974 n°73-12274 . Bull civ  n° 306  p. 252.JCP 1975, IV, p. 10.

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