La responsabilité du fait des choses est une nouvelle fois en lice à l’occasion d’une collision mortelle entre une automobile et un cycliste qui avait perdu le contrôle de son engin après avoir heurté la roue d’un co-équipier lors d’une sortie entre cyclotouristes.  Le recours subrogatoire de l’assureur de l’automobiliste formé contre le co-équipier de la victime sur le fondement de la responsabilité du fait des choses est rejeté par la Cour d’appel de Rennes (arrêt du 12 mars 2014). C’est l’occasion de rappeler que le gardien d’une chose peut bénéficier d’une exonération totale de responsabilité en établissant une faute de la victime présentant les caractères de la force majeure. 

1-Une banale sortie entre amoureux de la petite reine se termine tragiquement. Un des participants qui progressait en avant du peloton est rattrapé par deux autres cyclistes. Au moment du dépassement l’homme de tête surpris fait un écart sur la gauche, heurte la roue arrière de son camarade qui achevait le dépassement, perd le contrôle de son engin et heurte un véhicule automobile qui roulait en sens inverse.

2-L’assureur de l’automobiliste après avoir indemnisé les ayants droits de la victime décédée des suites de cette collision exerce son recours en garantie contre l’assureur du cycliste qui avait dépassé son camarade. Débouté par le tribunal de grande instance de Rennes, il interjette appel sans plus de succès.

3-Notons d’abord que l’automobiliste était de plein droit responsable de l’accident dans les conditions prévues par la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation. Sa responsabilité était engagée même en l’absence de faute de sa part. Bien mieux, l’article 2 de la loi ne lui permettait pas d’opposer la force majeure à la victime dont la chute, au moment où il le croisait, était normalement imprévisible et en tout cas irrésistible pour lui. Par ailleurs, si l’automobiliste  conservait la possibilité de lui opposer son imprudence, c’est à condition que celle-ci revête les caractères d’une faute inexcusable au sens de l’article 3 de la loi de 1985. Or la perte du contrôle de son engin par la victime n’était en rien constitutive d’une telle faute. Aussi, n’est-il pas surprenant que son assureur ait indemnisé sans discuter les ayants droits de la victime en application de l’article  L. 211-9 du code des assurances.

4- Son recours contre l’assureur de l’autre cycliste était fondé sur le mécanisme de la subrogation légale instituée par l’article 121-12 alinéa 1 du code des assurances qui permet à l’assureur de recueillir les actions dont l’assuré est titulaire.

5- Une action fondée sur la responsabilité pour faute de l’article 1382 du code civil n’aurait guère eu de chance d’aboutir dès lors que le cycliste qui avait effectué le dépassement n’avait pas dévié de sa ligne et que son camarade l’avait heurté alors qu’il achevait de le doubler. Comme l’observe, à juste titre la cour d’appel, il n’avait pas à le prévenir du dépassement alors qu’ils effectuaient une sortie à vélo en groupe. Il n’est pas de coutume dans les sorties en peloton que chaque cycliste avertisse celui qui le précède qu’il va être doublé !

6-La perte de contrôle de l’engin et le heurt qui s’en était suivi entre les deux vélos offrait une autre alternative à l’assureur : celle d’un recours fondé sur l’article 1384 alinéa 1 C civ. En effet, bien avant qu’elle ne mette fin à l’éviction de la responsabilité du fait des choses pour les accidents survenus en compétition, la Haute juridiction avait admis que les dispositions de l’article 1384, alinéa 1er s’appliquaient à « l’accident survenu à l’occasion d’une sortie dominicale, organisée entre amateurs animés du seul désir de s’entraîner »[1] comme c’était le cas, en l’espèce.

7-La mise en œuvre de ce régime de responsabilité est subordonnée à deux conditions. D’une part, la personne mise en cause doit être gardienne de la chose, c’est-à-dire en avoir l’usage, le contrôle et la direction. D’autre part, la chose doit avoir été la cause du dommage. Or, il y avait désaccord entre les parties sur le rôle du tiers. L’assureur du cycliste mis en cause prétendait que le vélo de son client n’avait eu qu’un « rôle passif » alors que la partie adverse soutenait le contraire.

8-Rappelons ici que l’intervention matérielle de la chose dans la survenance du dommage est présumée du seul fait qu’elle soit en mouvement et ait été en contact avec la victime. Or les deux vélos sont bien entrés en collision. L’assureur de l’automobiliste se trouvait donc dispensée par le jeu de cette présomption de la preuve du fait de la chose. En revanche, s’il n’y avait pas eu de collision entre les deux co-équipiers,  il aurait dû  établir la preuve du rôle actif de la chose avec peu de chance d’y parvenir dans les circonstances de l’espèce puisque le cycliste qui doublait son camarade n’avait pas dévié de sa ligne au moment du dépassement.

9-La présomption de causalité n’est pas irréfragable. Le gardien peut la combattre en démontrant que la chose dont il a la garde n’a pas été la cause déterminante du dommage, autrement dit qu’il n’y a pas de lien de causalité entre celle-ci et le dommage ce qui revient à établir l’existence d’une cause étrangère comme la force majeure. En l’occurrence, la question se posait dans les termes suivants : le cycliste qui doublait son co-équipier pouvait-il éviter la collision ? Le coup de guidon donné par la victime présentait-il pour lui les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure ? La condition d’extériorité était manifestement remplie. De même, le geste de la victime était normalement  imprévisible pour son co-équipier qui avait effectué le dépassement en conservant sa ligne et ne s’était pas encore rabattu au moment du heurt. Enfin, il était irrésistible puisque, comme le relèvent les juges  il « ne pouvait pas anticiper ou prévenir la réaction de la victime ni agir sur la conduite du vélo de celle-ci ». Dans ses conditions, le recours de l’assureur de l’automobiliste était assurément voué à l’échec comme cela a été jugé en première instance et confirmé en appel.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 
En savoir plus :
Cour d’Appel de Rennes, 12 mars 2014

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Rennes 12 mars 2014 Cyclisme



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