Dans son arrêt du 2 octobre 2006, le Conseil d’Etat se penche sur la notion de gestion désintéressée des organismes sans but lucratif. Cette décision récente vient utilement rappeler les précautions à prendre par les dirigeants en matière de remboursement de frais et les incidences fiscales éventuellement liées à leur rémunération en qualité d’administrateurs.

L’arrêt présente incontestablement l’intérêt de rappeler les principes fondamentaux qui gouvernent la fiscalisation (ou la non-fiscalisation) de ces organismes. Néanmoins, il est important de préciser que la décision concerne des faits antérieurs aux textes actuellement applicables aux associations (1).

1 – Les faits

En l’espèce, il s’agissait de l’Association ACOONEX, laquelle avait pour activité principale d’apporter une assistance juridique aux personnes faisant l’objet d’une expropriation.

A la suite d’une vérification de comptabilité, il est apparu que cette association se devait de supporter des suppléments d’impôts sur les sociétés ainsi que des compléments de taxe sur la valeur ajoutée au motif qu’elle exerçait une activité lucrative.

Le recours formulé successivement devant le Tribunal administratif de Paris le 30 mai 2001, puis par la suite devant la Cour d’appel de Paris le 3 mai 2001 à l’encontre de cette imposition supplémentaire, par l’Association ACOONEX, était rejeté.

C’est dans un tel contexte que la décision du Conseil d’Etat était attendu.

2. – La décision

Le Conseil d’Etat nous livre une décision particulièrement limpide en rappelant, d’une part, les principes qui gouvernent la fiscalité des associations et, d’autre part, les points particuliers ayant traits à la rémunération des dirigeants associatifs.

– Rappel des principes fiscaux des OSBL :

Après un débat d’ordre procédural (1er moyen), il rappelle que :

  • Aux termes de l’article 206 du Code général des impôts, « sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, toutes personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif »,
  • En application de l’article 261 du CGI, « sont exonérés de la TVA : b/ les opérations faites aux bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l’autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient ».

En l’espèce, l’activité réalisée par l’Association ACOONEX n’entrait pas dans le champs d’application de ces textes d’exonération de l’IS et de la TVA et présentait un caractère lucratif à titre principal.

– La question de la rémunération des dirigeants

En préambule, le Conseil d’Etat rappelle les principales caractéristiques de la notion de gestion désintéressée : « (…) d/ le caractère désintéressé de la gestion résulte de la réunion des conditions ci-après » :

  • « l’organisme doit être géré et administré à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation ;
  • l’organisme ne doit procéder à aucune distribution directe ou indirecte de bénéfice, sous quelque forme que ce soit ;
  • les membres de l’organisme et leurs ayants droit ne doivent pas pouvoir être déclarés attributaires d’une part quelconque de l’actif, sous réserve du droit de reprise des apports ».

Il ressort de l’analyse des circonstances de l’espèce que,

  • « le versement de rémunérations aux dirigeants d’une association ne fait pas obstacle en soi au caractère désintéressé de sa gestion ; que toutefois, les rémunérations versées doivent être proportionnées aux ressources de l’association et constituer la contrepartie des sujétions effectivement imposées à ses dirigeants dans l’exercice de leur mandat ».
  • « pour écarter le caractère non-lucratif de l’activité de l’association, la cour s’est fondée sur la seule circonstance que sa gestion ne présentait pas un caractère désintéressé, en relevant que des prélèvements sans contrepartie avaient été effectués sur ses recettes durant les années 1986 à 1988 par la présidente de l’association et son époux ; que, si la requérante fait valoir, d’une part, le faible montant des prélèvements en cause, soit 35 771 F (5 453,25 euros) en 1986, 45 830 F (6 986,74 euros) en 1987 et 138 300 F (21 083,70 euros) en 1988, celui-ci doit être apprécié au regard des recettes de l’association, qui se sont établies pour ces trois années, respectivement, à 136 416 F (20 796,49 euros), 314 782 F (47 988,21 euros) et 287 700 F (43 859,58 euros) ; que si elle soutient, d’autre part, que les sommes prélevées au titre des années 1986 et 1987 correspondaient à de simples défraiements, elle n’établit ni même n’allègue que ceux-ci constituaient la contrepartie d’un travail effectif ou le remboursement de frais engagés.

Ainsi, eu égard aux ressources de l’association et à l’absence de contrepartie des prélèvements effectués, le Coonseil d’Etat a pu en déduire que l’association avait consenti à ses dirigeants des avantages matériels directs et indirects dont le montant faisait obstacle à la reconnaissance du caractère désintéressé de sa gestion.

Dans ces conditions, les arrêts rendus par les juges du fond ont été confirmés, en conséquence de quoi, l’Association ACOONEX a été condamnée à supporter les suppléments d’impôts sur les sociétés ainsi que les compléments de taxe sur la valeur ajoutée dont elle a été jugée redevable.

3. – Analyse

C’est finalement une décision sans surprise qui a été rendue par le Conseil d’Etat le 2 octobre 2006 au regard des textes applicables en matière de régime fiscal des associations et des organismes sans but lucratif antérieurs à 1998.

Cette association a consenti à ses dirigeants des avantages matériels directs et indirects dont le montant fait obstacle à la reconnaissance du caractère désintéressé de sa gestion.

En outre, les représentants de l’association n’ont pas été en mesure de démontrer que ces prélèvements correspondaient à de simples défraiements, ni qu’ils constituaient la contrepartie d’un travail effectif ou encore des remboursements de frais qu’ils avaient engagés.

À noter que les magistrats rappellent que le caractère non-lucratif de l’activité d’une association peut être

Néanmoins, si l’arrêt rendu vaut particulièrement par la démarche pédagogique empruntée par le Conseil d’Etat, deux observations nous semblent devoir être faites :

  • d’une part, sur le plan fiscal, il n’est certain que des faits identiques, mais commis après 1998, auraient conduit le Conseil d’Etat à conclure dans le même sens : en effet, compte tenu du montant des prélèvements, l’application de la tolérance administrative des 3/4 du SMIC brut annuel nous semblerait aujourd’hui pouvoir être utilement invoquée (2) ;
  • d’autre part, et sur un plan juridique cette fois, de tels prélèvements contreviennent à l’interdiction de partage des bébéfices entre membres d’une même association, telle que prévu
    e à l’article 1 de la loi du 1er juillet 1901. En l’occurence, il convient de rappeler que de tels prèlèvements exposent incontestablement l’association au risque de requalification en société créée de fait (3).
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Notes:

[1] Instruction fiscale BOI 4 H-5-98 du 15 septembre 1998

[2] Sous réserve du respect des autres conditions posées par l’instruction fiscale du 15 septembre 1998

[3] La requalification d’une association en société créée de fait a notamment pour conséquence de rendre ses membres solidairement et indéfiniement responsables des dettes du groupement. Elle peut être demandée par la voie judiciaire par toute personne y ayant un intérêt (un créancier ou autres)

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