L’alpinisme est un sport dangereux. Les accidents mortels ne se comptent plus. Lorsque l’activité est encadrée par un professionnel,  les ayants droit des victimes ont pour habitude de rejeter sur lui la responsabilité de l’accident. Toutefois, ils subissent les aléas de la preuve dont ils ont la charge, tant au pénal où la partie poursuivante doit établir les éléments constitutifs du délit d’homicide involontaire, que sur le terrain des réparations civiles où le guide n’est tenu que par une obligation de sécurité de moyens. Le professionnel sera mis hors de cause si les circonstances du dommage sont indéterminées ou, dans le cas de poursuites pénales, si l’imprudence ou la négligence qui lui est reprochée n’atteint pas le seuil d’une faute caractérisée. C’est dans ces circonstances que deux guides de haute montagne ont été mis hors de cause par la cour d’appel de Chambéry. 

1-Voilà deux décisions qui devraient réjouir les professionnels de l’alpinisme confrontés à l’exercice d’un métier à haut risque et de ce fait particulièrement exposés à la mise en jeu de leur responsabilité. Les deux arrêts rendus, l’un par  la 2ème chambre civile et l’autre par la chambre des appels correctionnels de la cour de Chambéry, exonèrent de toute responsabilité le guide qui encadrait la cordée. Si la relaxe prononcée par la chambre des appels correctionnels (arrêt du 28 novembre 2012) s’inscrit bien dans la politique d’allégement du risque pénal voulue par le législateur pour les infractions d’imprudence et doit être approuvée, en revanche, l’arrêt prononcé par sa 2ème  chambre civile (arrêt du 7 mars 2013), fait preuve, à notre avis, d’un trop grande  mansuétude à l’égard du guide pour emporter l’adhésion.

2-Dans l’espèce jugée le 7 mars 2013, le guide et ses deux clients avaient perdu la vie en redescendant du mont Blanc. Leurs ayant droits reprochaient au guide de ne pas avoir respecté le jour de repos préconisé par le bureau des guides, d’avoir commis une erreur d’itinéraire et de ne pas s’être équipé du matériel adéquat. Leur demande fut rejetée par le tribunal en l’absence  de preuve des manquements allégués. Le jugement a été confirmé en appel.

Dans l’autre espèce, un des membres du groupe d’alpinistes qui manifestait des signes de fatigue avait souhaité s’arrêter pour ne pas retarder les autres membres. Il convint  avec le guide d’attendre son retour sur une plate forme. Reprenant seul la progression pour des raisons inexpliquées, il fut victime d’une chute mortelle. La condamnation du guide par les premiers juges pour homicide involontaire a été infirmée en appel et le prévenu relaxé pour absence de preuve d’une faute caractérisée.

3-Relevons d’emblée que dans la première espèce (arrêt du 7 mars 2013), les ayant droits avaient assigné l’assureur devant un juge civil alors que le guide était poursuivi devant le juge pénal dans la seconde (arrêt du 28 novembre 2012). Cette remarque de  procédure n’aurait guère porté à conséquence à l’époque où s’appliquait le principe d’identité des fautes civiles et pénales. En revanche, elle a une incidence directe sur la solution du procès pénal depuis que la loi du 10 juillet 2000 a rompu avec ce principe.  Désormais, le seuil de la faute n’est plus le même selon que l’affaire est jugée au pénal ou au civil. Au civil une faute quelconque suffit. Au pénal, la faute doit être qualifiée (c’est-à-dire être délibérée ou caractérisée) si la causalité est indirecte, c’est-à-dire si l’auteur de l’infraction en a créé les conditions ou n’a pas pris les mesures ayant permis de l’éviter. Il en résulte que si l’affaire est portée devant un juge répressif, celui-ci peut relaxer le prévenu sur l’action publique, si la faute qui lui est reprochée n’atteint pas le seuil d’une faute qualifiée et prononcer une condamnation civile puisque une faute simple suffit à engager la responsabilité de son auteur sur le terrain de l’action civile.

 

La mise hors de cause du guide au civil

4-L’organisateur d’activités sportives, faut-il le rappeler, n’est assujetti qu’à une obligation de sécurité de moyens. En conséquence, c’est à la victime qu’incombe la charge d’établir la preuve de son inexécution.  En l’occurrence,  elle a joué en faveur de la compagnie des guides et de son assureur en responsabilité dans l’arrêt du 7 mars 2013. Tantôt, les juges ont considéré qu’il n’y avait pas faute, contrairement aux allégations des appelants, tantôt, ils ont estimé que, s’il y avait faute, celle-ci n’était pas la cause du dommage.

5-Les constatations des gendarmes chargés de l’enquête préliminaire n’ont guère eu de poids. En effet, leur remarque sur les mauvaises conditions météorologiques susceptibles de rendre l’ascension « très aléatoire » -ce qui sous-entend une prise de risque de la part du guide- n’a pas été suivie par les juges qui se sont refusés à y voir un comportement fautif dès lors que quatre autres cordées avaient fait le sommet. La cour de Chambéry applique ici sa jurisprudence sur le risque d’avalanche où elle admet que le bulletin météo n’est qu’une aide à la décision[1] et qu’il appartient au professionnel d’apprécier si, en dépit de mauvaises conditions météo, mais compte tenu des circonstances locales, la course peut être maintenue. Cependant, elle va encore plus loin dans la présente espèce puisqu’elle s’en remet tout bonnement  à l’appréciation des professionnels. Le fait que plusieurs d’entre eux aient fait la course suffit à la cour d’appel pour considérer qu’il n’y avait pas de contre-indication formelle à l’ascension. C’est, à notre avis, sous estimer le contexte particulier des courses de haute montagne où le client qui a payé souvent cher et veut « en avoir pour son argent » fait naturellement pression sur le professionnel pour que celui-ci exécute le contrat.

6-Lorsque les conditions météos sont défavorables, le risque d’erreur d’itinéraire augmente, comme l’ont relevé les gendarmes dans leur rapport d’enquête. Il était, ici, d’autant plus élevé que le guide n’était pas équipé de boussole, ce qui révèle un manque de professionnalisme de sa part. Mais  les juges esquivent une nouvelle fois l’argument en relevant que différents petits matériels jonchaient la zone. De surcroît, ils estiment que la preuve de la perte de la trace  (le guide aurait bifurqué à droite du refuge Vallot alors qu’il fallait rester sur le sommet de l’arête des Bosses) n’est pas établie  « en l’absence d’éléments précis sur la praticabilité des deux itinéraires ce jour là ».  Autrement dit, dans leur esprit,  rien ne prouve que l’itinéraire normal (voie de droite) était plus praticable « eu égard à des difficultés qui auraient surgi sur la voie de gauche ». Mais tout cela n’est que conjecture alors qu’il est objectivement acquis que la voie de droite était plus exposée car la pente y est plus raide.

7-Lorsqu’il y a eu faute, les juges ont à chaque fois estimé qu’elle n’était pas la cause du dommage. Ainsi, les appelants font-ils valoir que le contrat n’a pas été respecté par le guide qui n’a pas octroyé de jours de repos aux victimes, contrairement à ce qui était annoncé dans le document publicitaire édité par le Bureau des Guides.  L’argument est écarté au motif qu’aucun élément -ni la difficulté des ascensions effectuées les jours précédents, ni le niveau  des alpinistes- n’imposait de prendre un jour de repos. En somme, si le guide n’avait pas respecté le contrat, ce manquement à son obligation contractuelle était sans lien de causalité avec le dommage et ne pouvait pas être attribué à l’état de fatigue des victimes.

8-Les gendarmes ont constaté que les membres de la cordée se servaient d’un bâton lors de leur progression. On n’enraye pas un dévissage avec des bâtons ! Néanmoins, les juges repoussent à nouveau l’idée d’une faute imputable au guide en relevant que les membres de la cordée disposaient d’un piolet à leur portée et que rien ne prouve qu’ils ne l’aient pas eu en main au moment de l’accident. Pourtant, il ne s’agit là que d’une supposition  … on aurait tout aussi bien pu soutenir le contraire !

9-Enfin, les gendarmes ont relevé que le guide était directement encordé à la taille sans être équipé d’un baudrier. Là encore,
les juges considèrent que le défaut d’équipement est sans incidence sur le drame puisque la chute d’un alpiniste entraîne toute la cordée. Les gendarmes ont également relevé qu’une « faute technique de cramponnage » était la cause déterminante du drame  et  « certainement à l’origine de la chute de toute la cordée ». Cette constatation exonère a priori le guide sauf s’il était établi que ses clients étaient débutants ce qui ne ressort pas des circonstances de l’espèce. Cependant, le guide ne devait-il pas prévenir un tel événement dès lors qu’il n’ignorait pas qu’une faute de cramponnage d’un client est toujours possible ?  N’y aurait-il pas eu alors un manque de vigilance de sa part ayant eu une incidence directe sur la survenance de l’accident? Cette question aurait mérité d’être approfondie à moins que, comme l’ont encore relevé les gendarmes, la circonstance du dévissage de la cordée soit indéterminée ce qui viendrait contredire leurs précédentes constatations et mettre hors de cause le guide.

10-L’acceptation des risques d’accident par les victimes est en toile de fond de cette décision, même s’il n’y est jamais fait allusion. Pourtant, elle doit être écartée.  L’alpiniste qui s’adresse à un guide  recherche une protection accrue. Il est peu probable qu’il accepte le risque d’accident comme peut le faire celui qui pratique sans encadrement.

11-Les partisans de l’obligation de résultat trouveront dans les circonstances de cette espèce une raison supplémentaire de militer pour la suppression de l’obligation de moyens. L’obligation de moyens renforcée qui a l’avantage de renverser la charge de la preuve en faisant présumer une faute du guide pourrait être une autre alternative.  Elle pourrait se justifier pour les sports à environnement spécifique comme l’alpinisme. Elle permettrait aux ayants droit des victimes de  faire l’économie de la preuve d’une faute du moniteur, difficile à établir comme le relève la présente décision, tout en assurant une garantie de réparation. Sans doute s’en suivrait-il une augmentation des primes d’assurance. Mais une telle hausse, susceptible de mettre en difficulté les petits clubs sportifs, ne devrait pas avoir d’effet dissuasif sur une clientèle habituée à des tarifs  élevés.

 

La relaxe du guide au pénal

11-Le contexte juridique est différent dans la seconde espèce où il n’était plus question de responsabilité civile mais de responsabilité pénale. Dans l’affaire précédente, les juges n’avaient pas eu à s’interroger sur le degré de gravité de la faute. Ici, au contraire, c’était le cœur du débat, puisque les auteurs indirects ne répondent que de leurs fautes qualifiées c’est-à-dire délibérée ou caractérisée. Néanmoins ce débat ne doit pas occulter la discussion préalable sur le lien de causalité. En effet, l’exigence d’une faute qualifiée ne concerne que la causalité indirecte. Une faute simple suffit pour retenir la responsabilité de l’auteur direct.  Il fallait donc, en préalable, déterminer la qualité d’auteur direct ou indirect du guide pour savoir si sa responsabilité était soumise à une faute simple ou à une faute caractérisée.

11-Le législateur n’ayant  pas défini la causalité directe, la doctrine s’est divisée sur cette question. Pour les uns, la cause directe du dommage est « le fait qui est le plus proche de sa réalisation » -autrement dit sa cause immédiate- ou sa cause unique et exclusive. Pour les autres, le lien de causalité est direct chaque fois que le comportement fautif relevé est le facteur déterminant de l’atteinte à l’intégrité physique de la personne »[2]. La Cour de cassation a donné raison aux partisans de la cause prépondérante, en considérant qu’une « défaillance initiale peut être regardée comme une cause certaine lorsqu’elle contient en elle-même la probabilité de l’issue finale », ce qui en fait un « paramètre déterminant »[3] même si, chronologiquement, elle n’est pas la cause immédiate du dommage.  En l’espèce, les juges  n’entrent pas dans la controverse.  Quelle que soit la définition retenue, le guide n’est pas un auteur direct. Le fait d’avoir laissé son client sans surveillance n’a été ni la cause immédiate ou exclusive ni la cause déterminante du dommage. Le client n’a pas chuté de la plate forme, mais après avoir repris l’ascension. La causalité n’est donc pas immédiate. En outre, elle n’est pas la cause exclusive du dommage qui est à mettre également au compte de la désobéissance de la victime qui n’a pas appliqué les consignes du guide lui intimant de l’attendre sans bouger. Enfin, elle n’est pas la cause déterminante du dommage. En effet, si la victime n’avait pas repris l’ascension, l’accident ne serait pas survenu. C’est bien son imprudence qui est la cause décisive du dommage.

Le guide étant considéré comme un auteur indirect, la loi du 10 juillet 2000 qui subordonne, comme il a été dit, sa responsabilité à une faute délibérée ou caractérisée trouve donc à s’appliquer. La faute délibérée est, sans surprise, immédiatement écartée, les enquêteurs n’ayant relevé aucun manquement à une loi ou un règlement. Il leur restait donc à vérifier si son comportement entrait dans la définition de la faute caractérisée.

12-Le législateur n’a pas donné d’indication sur le seuil de gravité de la faute caractérisée. Il a laissé cette tâche aux tribunaux qui l’assimilent tantôt à une faute inadmissible tantôt à une accumulation de fautes. En l’occurrence, les premiers juges ont retenu l’addition de faute : mauvaise appréciation du niveau des clients, décision du guide de laisser seule la victime non sécurisée et absence de réaction de sa part lorsqu’elle a repris l’ascension.

13-Deux des fautes alléguées et écartées justement par les juges d’appel n’appellent guère de commentaire. On s’étonnera seulement que le tribunal y ait vu un comportement fautif. Curieusement, il reproche au guide d’avoir mal évalué le niveau de  la victime alors que celle-ci n’était pas débutante puisqu’elle avait à son actif une liste de courses réputées « assez difficiles » et que le parcours emprunté le jour de l’accident était côté « peu difficile ». La cour d’appel a donc pleinement raison d’observer « que l’objectif envisagé le jour des faits était loin d’être en inadéquation avec le niveau de cet alpiniste ». Par ailleurs, il est facile de démontrer que l’absence de réaction du guide n’est pas fautive lorsque la victime a repris l’ascension. C’est, en effet, bien mal connaître les conditions d’une course en haute montagne que d’y voir une faute. L’appel d’un téléphone cellulaire (en supposant que la victime en soit elle-même équipée, qu’il soit allumé et qu’il y ait du réseau) n’avait guère de sens dans un tel environnement  où en puisant dans une poche pour récupérer son portable, la victime  pouvait lâcher une prise et perdre l’équilibre. Pas plus d’ailleurs, que des signaux ou des cris dont elle  aurait été bien incapable de décrypter le sens, compte tenu de la distance qui la séparait du guide et qui auraient pu perturber sa progression.

14-La prévention d’avoir laissé son client sans surveillance et sans avoir pris de mesure pour assurer sa sécurité paraissait plus fondée. En effet, la même cour d’appel avait déjà eu l’occasion de  retenir une faute caractérisée à l’encontre d’un accompagnateur bénévole d’une course alpine ayant laissé seul un membre de son groupe faire demi tour alors selon ses dires « qu’il est constant qu’
un responsable de l’encadrement d’une cordée en montagne, amateur ou professionnel, ne doit jamais laisser seule une ou des personnes de sa cordée sauf pour porter assistance ou aller chercher du secours 
»[4]. Pourtant, dans la présente circonstance, l’arrêt considère qu’il n’y a pas faute. Les juges se contrediraient-ils ?

15-A l’examen, les circonstances des deux espèces ne sont pas comparables et même radicalement différentes. Dans la première, la victime était un alpiniste débutant ne maitrisant nullement la technique du cramponnage et inapte à poursuive l’ascension en raison de son état de fatigue. Le jour de l’accident, la température était négative de moins 10° à moins 15°. La neige était dure et glacée. Néanmoins l’accompagnateur l’avait autorisée à faire demi-tour et à entreprendre seule la descente alors qu’il est acquis que la difficulté du cramponnage est accrue à la descente et « que l’exercice de l’alpinisme en solitaire demande des qualités techniques et morales supérieures à celles d’un premier de cordée ».

16-Dans la présente espèce, au contraire, la victime est un alpiniste confirmé. Elle est parfaitement lucide. La plate forme est spacieuse. Les conditions météos parfaites. Elle ne doit se retrouver seule que pendant un temps limité (25 minutes). Surtout elle a reçu la consigne d’attendre le guide. Rien dans les circonstances de l’espèce ne laisse apparaître un manquement quelconque à sa sécurité. En définitive, c’est bien l’inobservation des consignes données qui a été le  fait générateur du dommage. Or il est de droit constant que la faute de la victime  exonère le prévenu lorsqu’elle a été la cause unique du dommage. La relaxe du guide apparaît donc parfaitement fondée. Non seulement aucune faute caractérisée ne peut lui être reprochée, mais bien mieux son comportement est vierge de toute faute.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, « Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur« , Collec. PUS, septembre 2010 :/le-contentieux-des-accidents-sportifs-responsabilite-de-lorganisateur/ » target= »_blank »> pour commander l’ouvrage

Jean Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 

Print Friendly, PDF & Email
Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA – Chambéry – 07/03/2013 – 12/00181 – ch. 02
Cour d’Appel de Chambéry, 28 novembre 2012



Notes:

[1] « Le but des bulletins de neige avalanche n’est pas d’interdire ou d’autoriser la pratique de la montagne, mais de fournir à l’usager des éléments lui permettant d’adapter son itinéraire et son comportement aux conditions de neige et aux risques prévus » CA Chambéry 11 juin 1977 n° 97/378.

[2] « La responsabilité pénale des décideurs en matière de délits non intentionnels depuis la loi du 10 juillet 2000 ». D. Commaret. Gaz. Pal. 10 et 11 sept. 2004, p. 6.

[3] B. Cotte et D. Guihal,. « La loi Fauchon, cinq ans de mise en oeuvre jurisprudentielle » Rev. dr. pénn° 4, avr. 2006, étude 6.

[4] CA Chambéry, 16 janv. 2002, JCP 2002. IV. 2642.

© 2024 Institut ISBL |  Tous droits réservés   |   Mentions légales   |   Politique de confidentialité

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?